"Small Axe" : si les Antillais de Londres m’étaient contés
Série En cinq volets, le cinéaste oscarisé Steve McQueen retrace la présence et la lutte antillaises à Londres. Be1, 20 h 30.
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Publié le 09-06-2021 à 19h23 - Mis à jour le 10-06-2021 à 11h58
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À peine remis de la claque magistrale assénée par la série historique The Underground Railroad imaginée et mise en images par Barry Jenkins, cinéaste oscarisé, voilà qu’un autre brûlot historique contemporain est proposé en télévision. Le décor n’est pas celui des États-Unis de la guerre de Sécession mais le Swinging London de 1960 aux années 1980. Dans Small Axe , la thématique demeure identique : celle d’un racisme systémique poussant des anonymes à entrer en résistance.
C’est le cas des Neuf du Mangrove, simples citoyens forcés de monter au créneau pour dénoncer la brutalité policière et le ciblage ethnique dont ils font l’objet en tant que propriétaire et clients d’un restaurant de cuisine antillaise. Une histoire qui révèle l’autre visage du quartier de Notting Hill, à l’époque où il n’était pas encore hanté par les amours so chic de Julia Roberts et Hugh Grant, mais bien l’épicentre des populations noires de Londres… Bien décidés à faire entendre leurs voix, ces neuf anonymes, soutenus par le mouvement des Black Panthers, ont organisé une marche pacifique violemment réprimée par la police, qui donna lieu à un procès largement médiatisé. Cette histoire, Steve McQueen a résolu de la raconter parce que ses parents, originaires de Trinité et de La Grenade, connaissaient l’un des protagonistes de ce fameux procès.
Une histoire oubliée découpée en cinq volets
"C’est une histoire que le cinéma a jusqu’ici presque totalement ignorée", souligne Steve McQueen qui en a profité pour mettre en lumière des comédiens largement sous-employés par le cinéma britannique, à quelques exceptions près : Letitia Wright (Black Panther) et John Boyega (Star Wars). "La série offre aussi l’occasion à certains de revisiter leur propre histoire familiale", souligne le réalisateur.
Plus que de série, il vaut mieux parler de collection tant les personnages, les tonalités et les formats diffèrent d’un récit à l’autre au sein de cette anthologie qui ausculte la communauté caribéenne de Londres, au fil de cinq récits de vie.
Conçu au départ, il y a onze ans déjà, comme une série linéaire, véritable plongée au sein de la trajectoire d’une famille, de 1968 à 1984, le projet a fini par prendre un aspect plus éclaté. En résultent cinq chapitres (d’une durée de 1 h à 2 h 08) conçus comme autant de reflets du quotidien des Antillais de Londres. Musique, littérature, éducation, en commençant par les sujets qui fâchent : leurs rapports avec la police et la justice.
Petit lexique antillais
Une mini-série qui partage la même préoccupation pour l’Histoire que son précédent film, Twelve Years a Slave, oscarisé en 2014. Disponible sur la plateforme Salto, elle est désormais visible sur Be TV. Les deux premiers films de la collection - Mangrove et Lovers Rock - devaient être montrés à Cannes l’an dernier.
Le titre de la collection Small Axe est tiré d’une chanson de Bob Marley dont les paroles exaltent la force du collectif. "Si tu es un gros arbre, nous sommes de petites haches", chante-t-il. Sous-entendu : "et nous pouvons t’abattre". Comme on le dit en Belgique, "l’union fait la force".
Des populations ignorées, brimées
Lorsqu’en 1970, Frank Crichlow (Shaun Parkes), propriétaire du Mangrove, et huit de ses clients et amis comparaissent devant le tribunal d’Old Bailey pour troubles à l’ordre public et rébellion, il s’agit d’une grande première dans l’histoire du Royaume-Uni : ils sont les tout premiers Noirs à se défendre eux-mêmes devant un tribunal.
Le deuxième volet, Lovers Rock, se concentre sur la communauté jamaïcaine. On y suit Martha (Amarah-Jae St. Aubyn) qui fait le mur pour se rendre à une fête en compagnie de son amie Patty. Au cours de cette soirée d’anniversaire qui s’abreuve à la source du Lovers Rock, branche du reggae sensuelle et mielleuse, elle croise le séduisant Franklyn. Autour du morceau Silly Games, de la chanteuse Janet Kay, les corps entrent en transe, les visages s’illuminent. Toute une communauté, exclue des clubs londoniens, s’adonne au plaisir de la danse. Steve McQueen offre aux spectateurs un moment de cinéma suspendu, sublimé par le travail de son excellent directeur de la photographie, un jeune d’Antigua (Barbade) à qui il a donné sa chance : Shabier Kirchner. Et il glisse un clin d’œil à sa tante qui lui avait raconté ses mémorables soirées.