Qui est-on sans appartenir à un genre ?
Le podcast visuel "Somos" donne la parole à des jeunes de 9 à 25 ans transgenres.
Publié le 10-06-2021 à 22h07 - Mis à jour le 11-06-2021 à 17h29
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Transgenres, différents et comme tout le monde. C’est le propos de la Belge Laura Krsmanovic, réalisatrice du podcast "Isola" qui avait pour thème "l’invisibilité", elle explore l’identité avec la photographe belge Lydie Nesvadba. Ensemble, elles réalisent un podcast visuel avec les portraits filmés des participants à l’écoute sur Spotify et visionnable sur YouTube et https://isola.lepodcast.fr/
Laura Krsmanovic donne la parole à 13 jeunes âgés de 9 à 27 ans, écoliers, étudiants, qui questionnent leur identité et reconstruisent les normes du genre.
Que signifie transgenre ?
C’est une personne dont l’expression de genre s’écarte des attentes traditionnelles qui reposent sur le genre assigné à sa naissance. C’est la différence entre le genre assigné dès le départ et le genre ressenti ensuite. Le mouvement trans remet en question l’idée fondatrice que le monde est divisé en deux catégories, celle des hommes et celle des femmes. Pour eux, sexe, genre et sexualité sont alignés par défaut. L’organe génital n’a rien à voir. Je peux me sentir homme avec un vagin et je ne suis pas moins viril qu’un autre homme. Il n’y a plus cette nécessité de passer par la chirurgie.
Quelle question vous êtes-vous posée en abordant la transidentité ?
La question de la légitimité, car je ne suis pas directement concernée. Je me suis alors tournée vers Trans Kids, la seule association qui accompagne les enfants transgenres en Belgique francophone.
Il faudrait être transe pour parler des transes ?
Je suis une personne cisgenre, je me reconnais dans mon genre de naissance. Avec ce regard-là, je veux me positionner comme alliée, en donnant la parole, en provoquant de l’empathie pour que nos enfants, nos parents, nos voisins, nos amis concernés par la transidentité soient mieux compris et acceptés. Vous n’imaginez pas toutes les microviolences commises tous les jours, par des personnes malintentionnées ou maladroites, sur les victimes de transphobie. Au cinéma, dans les documentaires ou séries, les œuvres des personnes non concernées sont souvent intrusives et violentes pour celles qui sont touchées. Le film "Girl", par exemple, a été très mal vécu par les jeunes que j’ai interviewés. La transidentité n’est pas une souffrance en soi. C’est le fait de ne pas être accepté et respecté pour qui l’on est qui est une souffrance.
Ce qui n’empêche pas ces jeunes d’adhérer aux stéréotypes.
Au tout début, la petite fille, Rose, tourne en ridicule les clichés sur les petites filles : porter des talons, avoir des longs cheveux, se maquiller. Et pourtant, elle a l’impression de devoir quand même rentrer dans les stéréotypes existants. Soit on est trop féminine et on vous reproche de renforcer des stéréotypes, soit vous ne l’êtes pas assez et ça dérange.
Cis", "trans", pourquoi créer autant de catégories alors même que l’on souhaite s’en délivrer ?
C’est le fardeau humain de vouloir catégoriser. Finalement, ça rassure quand on peut s’identifier à une certaine catégorie pour mieux définir certaines notions. Le terme transsexuel lui-même n’est plus approprié. Les transgenres ont longtemps été définis comme des personnes malades. En mai 2019, l’OMS a retiré la transidentité de la classification des troubles mentaux.
Freud a émis "l’hypothèse de la bisexualité originelle de l’individu" et l’a introduite ainsi dans le champ de la réflexion psychanalytique. Alors, si l’identité ne passe ni par le genre, ni par le sexe, comment se construit-elle ?
Aujourd’hui, ces jeunes déconstruisent les normes, inventent une nouvelle culture, créent un contexte où le genre ne serait plus assigné, mais exprimé et développé selon des codes individuels et propres à chacun. L’un des participants disait : "Je me considère de genre fluide parce que la plupart du temps, je me sens garçon, mais la fois où je me sens femme, même si c’est deux jours par an, je n’ai pas envie de faire une croix dessus et je me laisse la possibilité d’être sur un spectre plus large." Dans le système binaire, on doit choisir entre homme et femme. Dans l’intersexe, par exemple, dès la naissance, les bébés possèdent des caractères sexuels, génitaux ou chromosomiques qui ne correspondent pas aux définitions binaires. Ils dérogent aux figures normatives gonadiques mâle ou femelle. Et c’est bien plus répandu qu’on ne le pense. À l’hôpital, les parents choisissent pour eux parce qu’il n’y a pas d’autre manière d’imaginer que l’on peut ne pas choisir.