L’avenir du documentaire s’écrit (aussi) au "Sunny Side of the Doc"
Publié le 19-06-2021 à 07h40 - Mis à jour le 20-06-2021 à 17h14
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Pour sa 32e édition, le Sunny Side of the Doc de La Rochelle, incontournable marché international de coproduction du documentaire et des expériences narratives, se tiendra à nouveau en ligne du 21 au 24 juin. L’occasion pour Mathieu Béjot, directeur du développement et de la stratégie du Sunny Side, de faire le point sur un marché qui continue de se développer, notamment avec la montée en puissance d’acteurs comme le géant Netflix.
Quelles sont les grandes tendances de cette 32e édition ?
Il est compliqué de déterminer une tendance majeure, parce que l’on représente des genres différents, qu’il s’agisse d’Histoire, de sciences, de Wildlife, ou d’arts et cultures. Ce qu’on sent, c’est que nombre de documentaires collent à ce hasthag emblématique que l’on a défini, #StorytellingMatters, qui désigne notamment une responsabilité de l’industrie documentaire de faire entendre des voix qui ne sont pas toujours entendues et des histoires différentes. Il s’agit, par exemple, de revisiter des événements historiques par le prisme du rôle des femmes, ou d’avoir des communautés moins représentées. Sans parler des questions liées aux enjeux de dérèglement climatique, ou à l’impact de la pandémie. Ces global issues explorées avec notre "Global pitch" de février, qui concernent l’investigation, les current affairs, les grands sujets de société, en matière géopolitique, sanitaire, économique ou de développement, trouvent aussi leur prolongement au Sunny Side. Le #StorytellingMatters était également une manière de faire remonter des projets qui ne se contentent pas de lister le scénario noir de tout ce qui va mal dans la société, mais regardent comment se construit l’avenir. Avec cette notion de film à impact, ce côté combatif du documentaire, pour essayer d’éclairer l’avenir.
Cette dernière tendance est-elle liée à une nouvelle génération de documentaristes, de producteurs ? Ou à l’évolution du documentaire, aux avant-postes de la société ?
Les deux. La tendance, c’est que le documentaire n’est pas seulement un reflet, qui se contente de montrer, mais il décrypte, trouve des pistes pour construire le monde de demain. Un documentaire engagé qui participe au renouvellement des talents, avec des voix différentes, des jeunes réalisateurs. Avec la session de pitchs "Talent Hub Women in Doc", nous mettons l’accent sur des projets portés par des réalisatrices. Nous avons aussi un focus sur l’Europe centrale et orientale, une manière d’accueillir des talents qu’on a moins l’habitude d’entendre dans un monde documentaire souvent dominé par l’Europe de l’Ouest, l’Amérique du Nord en tout cas, en matière de docs pour la télé. On sent que ce renouvellement des talents contribue aussi à un renouvellement nécessaire des histoires.
Le documentaire s’affranchit-il des codes et des formats ? Notamment grâce au développement des formats web natifs ?
Complètement. Nous avons une session sur comment produire nativement avec le mobile, avec le patron de Tik Tok France, Eric Garandeau. L’impact des plateformes est évident puisque l’on sort des formats de 52 ou 90 minutes, qui collent aux cases horaires de la télévision. Alors qu’on peut avoir des 73 minutes, des mini-séries de 4 épisodes, qui, clairement, viennent bouleverser les formats, et les codes narratifs. Les chaînes elles-mêmes ont évolué grâce à une diversification des supports qui montrent et produisent des documentaires. Lundi, nous avons une session avec les représentants de Netflix, très attentifs au storytelling, à l’histoire, davantage qu’aux sujets.
Il fut un temps où l’on craignait que les tuyaux ne prennent le pas sur les contenus. Là, ces tuyaux deviennent des supports d’évolution du contenu.
Oui, les supports accompagnent ou déclenchent une évolution des formats, des histoires qu’on raconte. Les évolutions sont contrastées. Il y a à la fois énormément d’investissements, tous ces grands mécanos industriels au niveau mondial, et en même temps des facteurs de fragilité pour le documentaire. Les syndicats, l’USPA et le SPI, présents au Sunny Side, sont inquiets sur l’évolution réglementaire en France, et sur le nouveau Programme Médias au niveau européen, dont certains pensent qu’il n’est pas tout à fait adapté au genre documentaire. Mais nous vivons une période incroyable, dynamique, avec des formats nouveaux, des opportunités, du financement disponible.
Netflix apporte du sang frais, mais provoque aussi des inquiétudes du côté des petits producteurs, comme dans le secteur de la fiction ?
Il y a des problématiques similaires, notamment en termes de répartition des droits, de contrôle des droits d’exploitation des programmes. Des réponses réglementaires peuvent être apportées par le décret Smad pour la France (pour services de médias audiovisuels à la demande, NdlR) parmi les plus en pointe en Europe pour essayer de réglementer l’écosystème de l’audiovisuel. Ensuite, il y a un énorme pragmatisme de ces plateformes, qui apprennent vite. Les "business models" actuels ne sont pas forcément ceux de demain. De toute façon, ils ont besoin de contenus issus de la production indépendante. L’avenir reste largement à écrire.
Vous avez créé un prix en partenariat avec Netflix, le New Voices Award ?
Il s’agit d’un prix de 3 000 euros attribué par Netflix à un talent, ce n’est pas un pré-achat de Netflix. L’idée est de mettre en avant, tous genres confondus, des talents émergents, des gens de communautés qu’on a moins l’habitude de voir derrière la caméra dans le doc. Cela rejoint les thématiques de la diversité, de l’inclusion, de la parité.
Le fait d’être en ligne depuis 2020 n’a pas réduit votre impact ?
Le top 10 des pays représentés est inchangé : France, Canada, Allemagne, USA, Italie, Royaume-Uni, Japon, Espagne, Belgique, et Pologne. Avec une forte progression de l’Europe centrale et orientale, objet de notre coup de projecteur. Nous sommes cependant sur une jauge légèrement inférieure à l’an dernier, on se recentre sur les gens qui vont être les plus actifs sur le marché, avec des projets en développement ou des programmes finis pour lesquels ils recherchent du financement à l’international. Nous sommes par ailleurs à 65 % de participants internationaux, contre 55 l’an dernier, nous permettant d’avoir aussi des intervenants ponctuels, producteurs, décideurs ou distributeurs qui n’y participeraient pas d’habitude par manque de temps.
Quid de la présence belge ?
Deux projets belges seront présentés : Slave Island dans la catégorie "Global Issues", et Queerying Nature, qui propose un regard sur l’homosexualité dans le monde animal, dans le cadre de notre "Talent Hub - Women in Doc". Notons que la RTBF sponsorise la session de pitchs sur les Global Issues , notre thématique phare. On voudrait faire émerger des projets qui décryptent un monde de plus en plus complexe, parfois à partir de sujets locaux mais à résonance internationale, sans s’enfermer dans une case. Six projets vont être présentés en public à un panel de décideurs. Et nous en avons sélectionné six de plus, qui feront l’objet de rendez-vous individuels arrangés par nous, avec des décideurs.
C’est aussi la cinquième édition du Pixii Festival dédié aux expériences immersives (réalité virtuelle, augmentée…). Un marché en expansion ?
Oui, cela se développe bien. Nous avions un espace de 500 m2 ouvert au public à l’espace Encan. Cette année, Pixii investit les lieux emblématiques de La Rochelle, dès ce week-end, pour le grand public. Nous avons pas mal de participants qui sont dans le monde de l’immersif et dans celui du doc linéaire. L’idée est de créer des passerelles, de favoriser les synergies entre les deux univers. Ubisoft, par exemple, a recréé en images de synthèse le Paris médiéval ou l’Italie au temps de la Renaissance, images qui peuvent intéresser les documentaristes.