Vincent Bolloré, le talon d’Achille des médias français
Des journalistes alertent sur les dérives éditoriales de l’homme d’affaires.
Publié le 30-06-2021 à 21h48 - Mis à jour le 08-08-2021 à 19h30
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/ASX46QIFTVGT3I3LU27GL4DY24.jpg)
Europe 1 et CNews appartiennent-ils à la même famille de média ? Non, ont exprimé, hier, avec force, devant le siège de Lagardère News rassemblant Europe 1, Paris Match, et le Journal du Dimanche, une centaine de journalistes et représentants de sociétés de rédacteurs issus de médias publics et privés : RMC, BFM TV, RFI, France Info, France Inter, France 3, RTL, Médiapart, TF1, L’Humanité…
"Nous refusons de devenir un média d’opinion."
Avec la prise en main du groupe Canal Plus par Vincent Bolloré, I-télé est devenue CNews, une chaine d’information qui s’est choisi pour tête de gondole Eric Zemmour. Depuis l’annonce de son arrivée à Europe 1, rien ne va plus au sein de la station. Dans une tribune parue dans Le Monde le 17 juin dernier, la Société des rédacteurs et l’intersyndicale d’Europe 1 demandait "à Arnaud Lagardère et à la direction de l’information de montrer clairement comment ils comptent assurer la pérennité de la pluralité d’expression." Le lendemain, grève inédite de cinq jours.
Anne Sinclair s’inquiète
Pression, management brutal, humoristes licenciés pour faire de l’humour… la gestion de Vincent Bollorré a été rapportée dans nos colonnes par des salariés préférant l’anonymat. Hier, des figures historiques d’Europe 1 se sont exprimées publiquement. Olivier de Rincquesen, journaliste à Europe 1, dès 1970 : "Nous sommes dans une configuration qui n’existait pas avant. Les journalistes ne doivent pas dépendre directement d’un actionnaire qui va opérer une transfusion de ses programmes entre C-News et Europe 1". En aparté, Anne Sinclair confie : "Regardez ce qu’I-Télé est devenu ! CNews n’est pas ce que j’appelle une chaine d’information. Je crains qu’Europe 1 devienne aussi une chaîne de controverses, de clash, de sensationnel et de débat orientés politiquement à droite et à l’extrême droite". Patrick Cohen présentateur du journal de 12 h 30 prend la parole en qualité de membre de la Société des rédacteurs d’Europe 1 : "Toutes les opinions sont respectables quand elles sont étayées par des faits. Le pluralisme, le débat d’idées sont au cœur de nos métiers. Mais dans le modèle qu’on nous oppose, on dresse une partie de la France contre l’autre y compris par des appels à la haine qui ont été jugés par des tribunaux. C’est une alerte à l’opinion. Mais j’ai peur que le combat ne soit perdu. Les règles actuelles ne permettent pas de faire reculer un homme d’affaires prêt à coloniser un média." nous avoue-t-il.
Vivendi entre au conseil d’administration d’Europe 1
Oliver Samain, délégué SNJ, a justifié cet appel du 30 juin par la fin de la commandite d’Europe 1. Au même moment, l’assemblée générale des actionnaires de Lagardère entérinait la transformation du groupe en société anonyme et la fin du contrôle absolu de son patron Arnaud Lagardère au profit de Vincent Bolloré, son premier actionnaire. Le patron de LVMH Bernard Arnault, également, est devenu actionnaire en 2020. Avec d’autres, il a dénoncé "l’emprise croissante de Vincent Bolloré sur les médias et, possiblement, sur les métiers du livre avec Hachette."
Sur les marches d’Europe 1, Julia Cagé, professeure à Science Po particulièrement aiguisée sur la question de l’indépendance et du financement des médias a lancé : "Bolloré est actionnaire de contrôle de Vivendi avec 27 % des actions du groupe. Il y a deux autres actionnaires, en particulier, la Caisse des dépôts et consignations (CDC), autrement dit l’État français. On devrait demander à l’État français jusqu’où il laisse aller Vincent Bolloré qui possède 29 % de Lagardère. Après les rédactions d’Europe 1, de Canal Plus, il vient d’acquérir Prisma Presse, c’est-à-dire Capital, Femme actuelle, Gala, Voici, Télé Loisirs… Quand vous avez un acteur qui devient dominant dans le secteur des médias et de l’édition, un actionnaire qui n’a pas de comportements normaux, qui a recours à la censure, il faut s’inquiéter."
Heureusement, il existe une solution, la loi de 1944 qui s’appelle "La loi d’agrément" lance-t-elle à l’assemblée ragaillardie : "Quand vous avez un changement d’actionnaire majoritaire, la rédaction peut, par un vote, décider ou non d’agréer ce nouvel actionnaire. Si elle ne l’agrée pas, elle a trois mois pour trouver un actionnaire alternatif, au prix de marché. Cette loi existe déjà, elle peut être décidée par décret. J’en appelle au CSA et au Ministère de la Culture pour mettre en place un certain nombre de règles et de régulations. En France, le ministre de la Culture ne fait pas son boulot sur les médias. Europe 1 perd à peu près 20 millions d’euros par an. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a qu’un seul modèle industriel qui s’appelle Vincent Bolloré. Entrer au capital d’Europe 1 pour en prendre le contrôle, Bolloré en rêvait depuis longtemps. À un an de la présidentielle, il veut renforcer sa position dans les médias privés et peser dans le débat public."
Selon l’AFP, hier, Arnaud Lagardère introduisait "sans nostalgie" l’assemblée générale visant à "tourner une page" du groupe hérité de son père et récupéré quelque 7 % des parts de son entreprise en compensation de la perte de son statut. L’héritier a aussi défendu la stratégie d’Europe 1 visant à s’allier avec CNews : "On a besoin de faire des partenariats sur l’information, sur le sport, sur la musique, sur le cinéma, et qui mieux que le groupe Canal + peut nous offrir ce genre de partenariats", assurant qu’Europe 1 et Canal + faisaient partie de la même "famille".