Les grandes voix d’Europe 1 s’étranglent : "On voit que le groupe Vivendi-Canal tisse sa toile et a pris la main sur la grille"
Vincent Bolloré transplante les figures de CNews dans la grille d’Europe 1.
Publié le 08-08-2021 à 19h20 - Mis à jour le 16-09-2021 à 13h24
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"Europe 1 est en train d'être colonisée par CNews", constate Olivier Samain, journaliste d'Europe 1 depuis 40 ans. Depuis la reprise du groupe Canal Plus par l'homme d'affaires Vinent Bolloré, la chaîne d'info en continu est décrite comme une Fox News à la française. Pour étayer son constat, le délégué syndical SNJ précise : "À la rentrée, la quasi-totalité des tranches d'infos d'Europe 1 seront présentées par des journalistes venus de CNews et de Canal tout en continuant à présenter leur tranche, aussi, chez eux." Romain Desarbres remplace Patrick Cohen parti sur France Culture. Thomas Lequertier occupe la mi-journée du week-end. Dimitri Palanquin, journaliste de Radio Classique aux côtés d'Éric Zemmour sur CNews, remplacera Matthieu Belliard à la matinale d'Europe 1. Laurence Ferrari animera une émission commune entre Europe 1 et CNews, de 18 heures à 19 heures. Sonia Mabrouk est nommée à la tête du Grand Rendez-vous politique du dimanche sur Europe 1. Mouloud Achour, de Canal plus, fait son entrée en soirée.
L’inquiétant départ de Canteloup
En juin dernier, les journalistes avaient exprimé leur refus de voir leur radio généraliste devenir "un média d'opinion". Le départ précipité de Nicolas Canteloup ravive leurs craintes. "Bolloré n'aime pas l'humour quand il se fait à ses dépens", ironise l'un d'eux. Ce rendez-vous majeur de l'antenne, comme l'étaient les Guignols sur Canal, est supprimé. L'humoriste Christine Berrou a démissionné d'Europe 1 après que sa hiérarchie lui a demandé de retirer une blague sur Éric Zemmour. "La direction a assuré que Zemmour ne viendrait pas sur l'antenne d'Europe 1, face à la crainte exprimée par les journalistes", se rassure un confrère.
Europe 1 compte un peu plus de 300 salariés, dont environ 130 journalistes incluant les pigistes. D’autres départs sont à prévoir, notamment dans le cadre de la rupture conventionnelle collective en cours. Cette procédure permet de réduire la masse salariale et de redresser l’entreprise. En 2020, pour la deuxième année de suite, la station a perdu 26 millions d’euros. Pour un plan limité à 42 départs, 72 personnes ont déjà candidaté. Parallèlement, à partir du 25 août, une négociation devrait s’engager entre la direction et les syndicats d’Europe 1 pour bâtir l’équivalent d’une clause de conscience. Ainsi, selon l’article L7112-5 du Code du travail, les journalistes en désaccord avec le changement de ligne éditoriale pourront quitter la station et bénéficier d’indemnités de licenciement.
Le deal Bolloré-Lagardère
Le 30 juin dernier, lors de l'assemblée générale des actionnaires du groupe Lagardère, Arnaud Lagardère abandonnait la commandite qui lui donnait les pleins pouvoirs sur le groupe hérité de son père, Jean-Luc Lagardère. "En échange, il a offert des gages à Vincent Bolloré : je te donne la main sur Europe 1 et tu vas en faire ce que tu veux, explique un proche du dossier. Même si, facialement, Arnaud Lagardère est toujours le patron, le groupe Lagardère est devenu une société anonyme ordinaire dans laquelle les actionnaires pèsent de leur poids réel. Et qui est le plus gros actionnaire du groupe ? Vincent Bolloré, 27 % du capital. Ce statut de commandite rendait indéboulonnable le patron de Lagardère, même s'il détenait une toute petite part du capital. En contrepartie, il était responsable de la marche du groupe sur ses deniers personnels. Très endetté, Arnaud Lagardère a abandonné ce statut protecteur. En échange, il a perçu deux cents millions d'euros d'actions et le titre du PDG du groupe Lagardère jusqu'en 2026. Dans la réalité, qui a le pouvoir ? Vincent Bolloré."
Un épisode a marqué les esprits à Europe 1, le défilé du 14 juillet. "Pendant 2 h 50, Europe 1 a abandonné son antenne à CNews. Nos auditeurs se sont retrouvés à devoir écouter quelque chose de totalement inécoutable, avec des blancs à l'antenne qui, pour certains, dépassaient une minute. Cette décision ne nous a pas été annoncée en interne par la hiérarchie d'Europe 1. Nous l'avons apprise deux jours plus tôt, le 12 juillet, par un communiqué de CNews. S'il fallait démontrer que l'antenne est maintenant conçue par CNews, voici chose faite avec cet exemple du 14 juillet. Interrogée sur cet épisode, notre direction nous a répondu que c'était quelque chose de tout à fait normal et que ça se reproduirait. Clairement, on voit que le groupe Vivendi-Canal tisse sa toile et a pris la main sur la grille d'Europe 1", prévient Olivier Samain.
Jointe par nos soins, la direction ne fait aucun commentaire, mais évoque les règles du mercato : "Certains journalistes de CNews sont déjà passés par Europe 1." Elle rappelle le maintien à l'antenne de figures telles que Stéphane Bern ou Olivier Lacroix et annonce, "non officiellement" la venue de la Belge Bérénice Bourgueil, de Bel RTL, à la matinale du week-end.