Les nourritures spirituelles de François-Régis Gaudry : "Sang Hoon Degeimbre tient un super restaurant"
La stylistique du critique gastronomique et producteur de l’émission "On va déguster" nourrit 1 800 000 d’auditeurs, tous les dimanches, de 11h à 12h, sur France Inter.
- Publié le 31-10-2021 à 17h13
- Mis à jour le 31-10-2021 à 17h14
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C'est sans doute le critique gastronomique le plus connu de l'Hexagone. Chaque dimanche dans On va déguster sur France Inter, dans Très Très Bon sur Paris Première et dans des capsules sur YouTube pour des recettes, François-Régis Gaudry parle de nourriture avec passion et des bons mots. Durant le confinement, avec ses amis, le journaliste a publié, On va déguster l'Italie aux Éditions Marabout pour présenter les saveurs de la cucina italiana.
Pourquoi êtes-vous devenu critique gastronomique plutôt que chef étoilé ?
J’ai souvent caressé l’espoir de devenir chef. Jeune, j’étais fasciné par cette figure tutélaire, par son autorité, la toque sur la tête, le cérémonial. Mon père, qui était lyonnais, avait toujours le guide Michelin dans la boîte à gants. Il m’a fait découvrir à un âge assez précoce des restaurants étoilés. Mes parents fêtaient les grandes occasions au restaurant, quand chacun de nous dans la fratrie de quatre enfants obtenait un diplôme. Le chef venait saluer tout le monde à la fin et vous demandait en direct vos impressions que vous deviez formuler en ayant un petit peu la boule au ventre…
Qui vous a dissuadé de vous lancer dans la cuisine ?
Mes parents. Mon père, professeur d’espagnol, a dirigé des lycées. Ma mère était professeur d’histoire géographie. J’étais assez bon à l’école, alors ils m’imaginaient à Normale Sup. Je suis né en 1975. À l’époque, choisir le métier de chef signifiait que l’on avait échoué dans ses études. Ce qui est un paradoxe, en France, où l’on considère la gastronomie comme un art majeur.
Diplômé de Sciences Po, vous vous lancez alors dans le journalisme…
Ça permettait à la fois de s’intéresser au monde, de voyager et d’écrire. La gastronomie qui a toujours été une passion familiale est venue après. Ma mère, originaire de Corse, cuisinait de façon assez admirable une cuisine simple, du quotidien, avec pour seule fonction de bien nous nourrir et de nous faire du bien. Ma mère cuisine comme elle respire, au doigté, sans livre de recettes, même si de temps en temps elle s’aventure sur un terrain d’expérimentation plus ambitieux.
La lignée maternelle vous initie-t-elle à la gastronomie ?
Mon arrière-grand-mère maternelle avait le geste sûr, déjà. Mon arrière-grand-père, lui, dirigeait une société qui fabriquait du Roquefort en Corse. Dans la famille de ma mère, nous sommes davantage issus de milieux terriens, avec des pêcheurs, des chasseurs, des gens très proches de la terre, des cueillettes sauvages. Du côté paternel, mon grand-père était fils de postier dans le Nord. Il a fait polytechnique et s’est retrouvé à diriger Saint-Gobain. Nous étions davantage dans une certaine bourgeoisie, nous prenions plaisir à table, au restaurant. Savoir et saveurs ne vont pas l’un sans l’autre. Les deux termes sont issus de "sapere", la même racine latine qui signifie : apprendre à connaître. Samedi dernier, je dégustais dans une auberge corse l’A rivia, une sorte de grosse brochette censée récupérer tous les abats des agneaux et des cabris tués pour Noël, entourés d’une crépinette et enroulés dans des boyaux. Ce qui est un peu mystérieux, c’est que l’A rivia est le cousin de kokoreç et kokoretsi, une préparation turque et grecque. J’ai rencontré un professeur d’Université pour vérifier le lien. J’aime ce genre d’énigme, ce type de ricochets. C’est un très bon moyen d’appréhender ce qu’il ya de populaire et d’universel dans la culture.
Vos émotions passent-elles forcément par l’intellect ?
Nourrir l’esprit m’intéresse parfois plus que nourrir le corps. D’ailleurs, avec mon métabolisme, je ne suis pas le mieux équipé du monde. J’arrive à satiété assez rapidement. Ce que j’aime, dans la gastronomie, ce sont les passerelles avec l’histoire, la géographie, la langue. "Cardinaliser" est l’un des plus beaux mots. Il est utilisé quand on plonge le homard dans l’eau chaude. Il prend une couleur rouge, celle de la robe de cardinal.
De quel critique gastronomique vous êtes-vous inspiré ?
J’ai pris un peu de François Simon, le plus respectueux d’une certaine déontologie. Pendant longtemps, j’allais au restaurant de façon totalement incognito. Ensuite, ça s’est corsé parce que j’ai commencé à faire des émissions à la radio et ensuite à la télévision. Je paye systématiquement mes additions, je réserve sous un faux nom. Je tiens à mon indépendance. Et je ne m’associe à aucune marque. Je ne suis pas communicant, mais journaliste.
Vous pouvez faire ou défaire une réputation et vous permettre de tacler l’édition 2021 du guide Michelin.
Faire son travail de critique gastronomique, c’est porter un regard à la fois exigeant et bienveillant sur le restaurant, donc ne pas se laisser enfermer dans la figure du critique acerbe. Au début, pour essayer de faire mon trou dans le milieu, j’ai pu me montrer piquant. Mais avec les années, on gagne en rondeur, en expérience. Écrire un article positif, participer à un succès, c’est aussi très réjouissant. On peut rester à sa place de critique sans l’idée de détenir un pouvoir, mais on peut aussi avoir la dent dure. Effectivement, le guide Michelin qui sanctionnait des restaurants dans une période de crise sanitaire manifestait, selon moi, un peu d’abus de pouvoir.
Votre métier est-il dangereux pour la santé ?
Oui, par rapport à la consommation d'alcool. Quand j'avais une trentaine d'années, que je rédigeais deux pages pour L'Express, je mangeais six à huit fois par semaine au restaurant. En soirée, je faisais parfois deux à trois restaurants. Ça veut dire deux plats dans un restau, puis deux plats dans un autre… Il faut se ménager. Mes deux séances de yoga par semaine participent de mon équilibre.
Pourquoi Alain Passard est-il votre chef étoilé préféré ?
J’aime l’homme dans sa dimension humaine et ce qu’il incarne aussi sociologiquement. J’aime sa cuisine à base de légumes, sa grande technique avec des méthodes de cuisson de dingue. Ce qui me touche, c’est qu’il arrive à ce niveau culinaire par le geste, par l’artisanat. D’ailleurs, il appelle son restaurant "maison de cuisine". Il aurait pu se lancer dans des business en Asie comme la plupart de ses confrères, mais il a refusé. C’est un choix courageux.
Un chef belge vous a-t-il surpris ?
Sang Hoon Degeimbre tient un super restaurant, très contemporain, L'air du temps avec un potager en permaculture. Il a associé le kiwi et l'huître et a travaillé avec un professeur belge qui fait de la gastronomie moléculaire. Il a ainsi montré que les produits avaient en commun 17 molécules aromatiques. J'ai prévu de lui proposer de venir dans On va déguster.