2021, un bon cru pour les séries télé ? "Je n'ai pas été aussi marqué que les années précédentes, mais j'ai des coups de cœur"
Selon Mathieu de Wasseige, professeur à l'Ihecs et chercheur en séries télévisées, Squid Game est la sortie marquante de cette année.
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Publié le 01-01-2022 à 11h44 - Mis à jour le 01-01-2022 à 22h58
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Que retenir de cette année en matière de séries télé ? "L'exercice était beaucoup plus simple par le passé. Avec la multiplication des plateformes et le développement fou du nombre de productions, c'est devenu périlleux", rétorque directement Mathieu de Wasseige. Ce professeur à l'Ihecs, chercheur en séries télévisées, précise que, "rien qu'aux Etats-Unis, il y en a plus de 500 qui sortent chaque année". Mathieu de Wasseige a malgré tout accepté de dresser le bilan de 2021. Mais il prévient : "Je les regarde sous un prisme particulier car je suis aussi chercheur en questions de genres". Interview.
Quels sont vos coups de cœur de 2021 ?
Je n'ai pas été aussi marqué que les années précédentes, où étaient sorties des séries comme Unbelievable ou Gevoel voor Tumor. Mai j'ai été heureux de découvrir Grace and Frankie, qui a proposé sa sixième saison. Les protagonistes, incarnés par Jane Fonda, Lily Tomlin, Sam Waterston et Martin Sheen, ont tous les quatre plus de 70 ans mais ils ne sont pas là parce qu'ils sont grands-parents. J'imagine que le succès actuel s'explique notamment par le confinement, qui a incité des personnes plus âgées à se brancher sur une plateforme comme Netflix.
J'ai aussi eu un coup de cœur pour The Queen's Gambit, qui retrace le parcours d'une prodige des échecs : très bien fait, très bien monté, très beau... Evidemment, The Crown a confirmé tout le bien qu'on pensait d'elle. Je citerais aussi la série sur la psychanalyse En Thérapie, sur Arte. Elle est vraiment pas mal mais elle souffre d'un gros défaut : Carole Bouquet. Alors que j'ai beaucoup d'admiration pour cette actrice, quasiment tous les épisodes où elle incarne le personnage principal sont mauvais.
Quelle est la série la plus marquante de l’année ?
On ne peut pas passer à côté de Squid Game, qui a été énormément regardé. Cette série a un côté ovni car elle nous vient de Corée, elle surfe sur le côté "local" qui se démarque des grosses productions américaines en situant clairement son histoire dans son pays d'origine. Ce n'est pas une dystopie, on est dans le temps présent, et ça parait à la fois réel et totalement irréel. C'est très gore, très froid, sans tension qui monte. Le commentaire social et l'illusion du choix sont des aspects intéressants. Ce n'est pas un chef-d'oeuvre, mais elle mérite d'être étudiée.
Etes-vous surpris par le succès rencontré par Squid Game ?
A moitié. On sait à quel point l'algorithme de recommandation de Netflix est puissant. On l'a vu avec La Casa de papel, qui n'est vraiment pas une très bonne série, qui contient plein d'erreurs. Elle a été surévaluée et sur-regardée par rapport à ce qu'elle méritait. Ici, c'est presque l'inverse : c'était moins sexy mais la puissance du buzz lui a donné cette visibilité.
Quelle est la déception majeure de l'année ?
J'ai eu la chance de ne pas devoir en voir. Il y a tellement de bonnes choses qu'on n'a plus le temps de voir passer les flops.
The Crown a quasiment tout raflé aux Emmy Awards. Ce succès est-il mérité ?
Oui, grandement ! La série est très impressionnante. Le casting est excellent, les actrices sont incroyables : Olivia Colman, Gillian Anderson, Helena Bonham Carter... Je trouve très intéressants les inserts de photographies ou de courts passages vidéos de la vie réelle de la royauté parce que ça perturbe. Dans la dernière saison, on est toujours dans l'Histoire, mais quasi contemporaine. On peut donc davantage constater ce qui relève de l'interprétation des créateurs. Cela montre que ça reste une fiction. Cette série a aussi comme intérêt de s'attarder sur des relations humaines dans des situations qui amplifient tout vu le statut de membres de la famille royale.
Comment expliquer la pauvreté de l'offre francophone belge cette année ?
C'est le Covid, qui a entraîné du retard dans les réalisations. Par exemple, le tournage de Pandor, avec Anne Coesens et Yoann Blanc (vu dans La Trève), a dû être postposé. Mais cette série s'annonce d'un très haut niveau qualitatif. J'en attends beaucoup. J'espère même que ça devienne une grande série internationale revendue sur Netflix après.
Estimez-vous qu'une tendance s'est dégagée ?
C'est très difficile de répondre vu l'abondance de l'offre. Mais je dirais que les personnes sous-représentées pour leur âge, leur sexe, leur origine, leur identité ont pris de l'importance. Arte, par exemple, propose la série Un mètre vingt, dont la protagoniste a un handicap lourd.
La diversité est aussi ressortie à travers MJ Rodriguez, qui est la première actrice transgenre à avoir été nommée aux Emmy Awards comme personnage principal, pour son rôle dans Pose.
Dans la guerre des plateformes, Netflix sort-il grand gagnant de 2021 ?
Oui et non. Netflix a tellement d'avance qu'il l'a emporté. Mais Apple TV a quand même pris un paquet d'Emmy Awards et de nominations. Le succès de Ted Lasso, sur un entraîneur de football sans expérience, mérite vraiment d'être souligné car il s'agit d'une comédie. Or, faire rire, c'est beaucoup plus compliqué que faire pleurer.
Dans le registre des séries, Disney reste-t-il à la traîne ?
Oui. Disney a un catalogue impressionnant destiné aux enfants. Mais pas tellement dans son offre de nouvelles séries. A mon avis, ils vont plus gagner à moyen terme quand leurs films sous contrat avec Netflix vont venir à expiration. Il faudra voir quelle sera leur stratégie. Mais je crois qu'ils vont devoir être patients ou alors décider d'investir plus d'argent dans cette offre. Ca va être compliqué, mais je ne suis pas inquiet pour eux, ils ont les reins solides. Mais c'est aussi un des éléments marquants de cette année : cette difficulté à savoir à quelle plateforme s'abonner. Personne n'aura cinq abonnements donc le spectateur ne sera pas gagnant en termes de disponibilité de la qualité. Dans cette bataille, on retrouve aussi Amazon, auquel ont accès ceux qui paient pour recevoir leurs colis plus rapidement. Cette plateforme propose des séries phares comme The Underground Railroad (sur la lutte clandestine contre l'esclavage américain) ou Transparent (sur un père qui change de sexe). Mais pour Amazon, la plateforme n'est qu'un produit complémentaire à une offre économique à 360 degrés.
Vu la surabondance de l’offre, le succès d'une série est-il plus éphémère qu’avant ?
C'est un risque, oui. C'est très frustrant de voir des choses incroyables ne plus être disponibles nulle part, comme Gevoel voor Tumor qui n'a que deux-trois ans. Les algorithmes des plateformes poussent certaines séries vers le haut et en font redescendre d'autres. Des titres disparaissent aussi tout simplement des catalogues car les accords de diffusion arrivent à échéance.
Les plateformes s'arrachent les productions plus anciennes comme The Office, Friends, How I Met your mother… Est-ce surprenant ?
On est entré dans une économie de l'attention, comme le dit Reed Hastings, le directeur de Netflix. Il veut que les gens restent sur sa plateforme. Donc de très bonnes choses qui ont quelques années et qui ne coûtent pas très cher, c'est intéressant pour tout le monde.
Quelles sont les sorties les plus attendues de 2022 ?
Pour la Belgique, outre Pandor, je citerais 1985, sur les tueurs du Brabant. Sinon, l'énorme sortie, c'est Lord of the Rings. J'attends aussi impatiemment la dernière saison de The Crown, de The Handmaid's Tale, ou de Grace and Franky. J'espère un regain de qualité pour Sex Education. Harlem va aussi sortir : une sorte de Sex and the City mais avec plus de diversité. Et puis, il faudra voir si les grands noms du cinéma vont encore se démarquer dans des séries. Rien qu'en 2021, on a vu Kate Winslet, Ewan McGregor, Michael Douglas ou Hugh Grant remporter de grands prix...