Elle, Christiane F., 59 ans, ancienne droguée et prostituée

Nous sommes en 1975. Christiane F. a 13 ans. Elle vit avec sa sœur et leur mère. Les parents se sont séparés. Un soir, une copine lui propose de filer au Sound, la fameuse discothèque. Là-bas, Christiane F. tombe amoureuse d’un garçon. Dans les spots de lumière et la musique enivrante, elle se découvre une nouvelle famille. Comme beaucoup de ceux qui fréquentent l’établissement, son amoureux est accro à l’héroïne. Pour acheter ses doses, il se prostitue près de la gare. Mais l’héroïne n’est pas triste, d’abord. C’est la vie de Christiane F. qui l’emplit de tristesse. Alors, progressivement, elle glisse dans cet autre monde dessiné par les médocs, le haschisch, l’héroïne qu’elle sniffe, d’abord, puis commence à se piquer. Premier amour, premier fix, première seringue, première passe pour dépanner son amoureux, puis pour son propre usage.

Un film adapté du best-seller mondial

Le film d'Uli Edel (diffusé par Arte à 20 h 55) adapté de sa biographie Christiane F. - Wir Kinder vom Bahnhof Zoo (Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée), frappe par ses images crues traversées de visages adolescents encore intacts, exaltés par ce qui les détruit. Des corps inertes et des esprits tout puissants chimiquement.

Il montre la fissure qui s’élargit entre le monde des "toxicos" et celui des braves gens qui prennent le métro. Christiane F. les regarde avec crudité, lisant la peur sur leur visage. Consciente que sa vie est dure, qu’elle peut mourir du jour au lendemain, elle revendique pourtant cette vie-là. Le livre, traduit en dix-huit langues, devient un best-seller mondial.

La jeune Christiane F. existe bien. À la fin des années 1970, le magazine Stern publie chaque semaine le récit de son quotidien. En 1979, les journalistes Kai Hermann et Horst Rieck publient le livre tiré du témoignage de Christiane Felscherinow dont on découvre le beau visage impassible, avec ses grands yeux clairs qui nous fixent, longtemps, comme s'ils entrevoyaient autre chose, plus loin, très loin, derrière. Elle ne ressemble pas à l'image que l'on se fait du "junkie", ce terme qui signifie "déchet".

Une analyse sociologique et historique

Le documentaire Moi, Christiane F., droguée, prostituée. Une génération perdue réalisé par Claire Laborey et diffusé dans la foulée, offre une lecture sociologique et historique de la RFA de ces années-là. Kai Hermann, journaliste au Stern et coauteur du livre, raconte comment il avait remarqué la jeune Christiane sur une des places du centre-ville. À l'époque, il n'était pas convenable de parler de la drogue, ça ne correspondait en rien à l'image bourgeoise de ce que devait être la jeunesse. Le rédacteur du Stern, lui-même, trouvait le sujet répugnant. Kai Hermann, a trouvé cette fille "tout simplement fascinante".

Pour la réalisatrice Annette Hesse, ces enfants de la gare de Berlin Zoologischer Garten étaient déjà précurseurs du mouvement "No future" en Allemagne. Le livre était vraiment une référence. Enfin, thérapeutes, travailleurs sociaux, éducateurs de rue racontent comment l'Allemagne a tant bien que mal tenté d'enrayer la consommation de stupéfiants chez les jeunes. Pour ces témoins de l'époque, Christiane F. traverse une page sombre de la République fédérale. En 2013, elle a publié un autre ouvrage, Moi, Christiane F., la vie malgré tout dans laquelle elle évoquait ces années d'errance. Elle a aujourd'hui 59 ans.