Elisabeth Quin (Arte): "Je n’avais ni plan de carrière, ni envie d’être journaliste"
La journaliste et écrivaine Elisabeth Quin éclaire le magazine "28 minutes" depuis dix ans sur Arte. Mais qui est-elle ? Entretien.
Publié le 20-02-2022 à 16h28 - Mis à jour le 22-02-2022 à 08h55
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Elisabeth Quin ne regarde ni la télé, ni les réseaux sociaux. Elle aime s'allonger dans l'herbe, les yeux fermés, en étoile de mer : "C'est dément, le corps s'amplifie !". Génération Gutenberg, mais pas Zuckerberg, elle anime pourtant sur Arte un magazine d'actualités diffusé sur tous les écrans. Du lundi au vendredi, à 20h05, 28 minutes résiste à la vision mortifère et belliqueuse du monde, une vilaine tentation médiatique. Mais qui est donc Elisabeth Quin ?
Le glaucome qui altère votre vue remodèle-il votre vision journalistique ?
Ça rend plus aiguë la jouissance du métier, plus mélancolique parfois. Si jamais ma vue se dégrade, ce ne sera peut-être plus possible… Dans l’existence, ça exacerbe cette joie de voir. La maladie est une sorte d’accélérateur de l’essentiel. Ça me rend aussi très sensible, jusqu’à la colère, la révolte, par rapport à la prise en compte des personnes qui sont vulnérables, malades ou atteintes d’un handicap, dans les villes, aux journaux télévisés.
Dans "Le grand livre de la guérison", Jean-Philippe Brébion explique que le glaucome est une invitation à regarder son histoire avec bienveillance jusque dans ses plus petits détails.
Cette approche à la fois psychanalytique et holistique est intéressante. Mais à 58 ans, porter un regard rétrospectif me semble beaucoup moins important. J’ai envie de rester fixée dans une sorte de jouissance du présent et peut-être, dans une forme de désolation et de modestie aussi. Peut-on encore se projeter vers un futur tout de même assez sombre ? Je sais que la réconciliation avec soi, L’Assomption, la bonté vis-à-vis de soi-même sont fondamentales par rapport à la maladie. Mais je n’irai pas jusqu’à mener un travail psychanalytique par rapport à mon histoire familiale.
Vous l’avez pourtant accompli puisque votre thérapeute est même décédé durant la thérapie.
Si l’on part du principe que la somatisation, ou l’impression dans le corps, est quelque chose qui n’a pas été résolu, il semblerait que ce soit un foirage total puisque je suis quand même miro ! La maladie est là, prenons-la comme partie de moi. Ce qui est intéressant, ce sont les autres. C’est aujourd’hui, éventuellement après après-demain, sans aller beaucoup plus loin.
Quelle est votre histoire familiale ?
Je suis l’enfant d’une famille un peu compliquée, recomposée, décomposée J’adorais mon père. Il est né à Alger, dans une famille de la grande bourgeoisie. Il ne s’est jamais vécu comme un rapatrié. Il est venu vivre à Paris bien avant l’indépendance. Il dirigeait plusieurs sociétés dans l’aéronautique et dans l’argenterie. Il est mort, il y a sept ans. C’est comme un membre disparu. On est amputé, mais on continue à avancer. Ma mère, d’un milieu très bourgeois, ne travaillait pas. J’ai dégagé de l’appartement pour cause de relation très conflictuelle avec elle. À 16 ans, j’habitais seule dans un studio. Comme ça, je n’avais plus à faire le mur. C’était formidable, je vivais ma vie comme je voulais. Depuis, je me suis réconciliée avec elle. Je ne peux pas dire que j’ai fermé ses yeux. Elle est toujours en vie, elle a perdu la tête. Mais j’ai fermé les yeux moi-même, comme une grande, sur un passé de fils de fer barbelés entre elle et moi. C’était vraiment une relation dégueulasse. J’ai réussi à regarder ma mère autrement, comme une victime plus qu’un bourreau.
Et vos grands-parents ?
Les deux grands-pères travaillaient dans le vin. Ma grand-mère paternelle, une Écossaise anglicane, était au jardin toute la journée, tout comme ma grand-mère maternelle. Aucune ne travaillait. Ces deux caractères forts étaient dans une sorte de miroir l’une de l’autre. J’ai hérité de ce rapport au vivant très particulier, très puissant.
Que vous exprimez dans le Pays d’Auge, en Normandie, où vous possédez une maison.
Pour mes ruches, je plante des arbres avec un ami apiculteur. Sur Arte, j’anime une émission vue par des gens de tous âges. On me parle de Spotify. Je ne sais même pas ce que c’est ! Je suis un dinosaure technologique revendiqué. Les contradictions sont riches.
Pourquoi êtes-vous devenue journaliste ?
Je n'en ai pas la moindre idée. Soyons raisonnables, je ne fais pas du journalisme d'investigation, indispensable plus encore aujourd'hui qu'avant. Je ne suis pas reporter de guerre. Je suis une dame qui pose ses fesses autour d'une table tous les soirs, qui fait parler des invités, ce qui me passionne, et qui anime des débats avec des gens archi-compétents. Je voulais être vétérinaire, j'étais nulle en maths. Il a bien fallu faire quelque chose. C'est une succession de rencontres et de hasards. Je me suis dit : tiens, la radio c'est marrant. J'ai vu une petite annonce dans Libération. J'ai commencé en 1986 au sein de la radio associative SOS racisme. J'ai appris sur le tas. Cette radio a mué. Je suis restée et je me suis dit : on va faire parler des gens. Comme je lis beaucoup, c'étaient des écrivains. Je n'avais ni plan de carrière, ni envie d'être journaliste.

En interview, quelle question vous obsède ?
Comment faites-vous pour vivre, comment vous débrouillez-vous dans ce laps de temps aussi fugace qui vous est imparti et qui semble éternel ? Et je me laisse surprendre par les gens qui sont en face de moi. Je suis obsédée, aussi, par la "solastalgie", le concept de Glenn Albrecht. Nous sommes bouleversés par ce que nous avons aimé, qui a été détruit et que nous ne retrouverons jamais : des jardins, des forêts sont devenus des parkings, des lotissements. Je suis hantée par ça. On se sent violé, révolté par le massacre des choses qui ont été belles et qui ont fait de vous des amoureux du vivant et du beau.
Vous avez recouru à la magie blanche parce qu’un ami voulait vous protéger des regards malveillants à travers la vitre de la télévision, racontez-vous dans "La nuit se lève".
C’était une sorte de crédit absolu donné à ce diagnostic assez foutraque, presque absurde. Il y avait de la bonté dans cette protection qu’on voulait me donner. Tout en étant parfaitement rationnelle, je faisais un petit clin d’œil à l’invisible. Des phénomènes nous échappent. Il existe, comme ça, des vibrations, des présences.
Quelle est votre définition la culture ?
C’est ce qui reste quand tout a foutu le camp. C’est un socle, une espèce de sédimentation lente à l’insu de vous-même. C’est tout ce que vous avez absorbé, emmagasiné. Dans le rapport à l’autre, c’est ce qui permet de ne pas sauter à la gorge, de fabriquer une relation généreuse apaisée, esthétique. Autour d’un objet esthétique, on communie. Ça vous réconcilie avec vous-même, à défaut de vous réconcilier avec votre prochain.
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Plus d'un million de fidèles
Rythmé, enlevé, acidulé, stimulant et spirituel, le magazine 28 minutes redonne ses lettres de noblesse à l'information et au débat. "Arte, c'est la chaîne de l'Europe. Mes camarades et moi avons 'une mission' : dire aux gens ce qui se passe en Birmanie, au Yémen, dans tel pays dont les journaux télévisés parlent très peu. Nous sommes là pour poser les problèmes, faire débat autour de ce qui se passe à l'international", affirme Elisabeth Quin. La formule séduit aussi les jeunes. Sa forte présence sur le numérique permet de toucher un public de moins de 35 ans. Ils représentent : sur YouTube 67 % du public ; sur Instagram 61 % ; sur Facebook 37 %. En 2021, l'émission du lundi au vendredi rassemblait en moyenne 726 000 téléspectateurs, soit 3,1 % de part d'audience. Sur la même année, l'émission du samedi présentée par Renaud Dély réunissait 584 000 téléspectateurs, soit 2,8 % de part d'audience. Le 13 janvier dernier, 28 minutes touchait 1 101 000 fidèles au poste.