Elle vaut quoi la série dans laquelle Zelensky était (déjà) président de l’Ukraine ?
Les vingt-trois épisodes de "Serviteur du peuple" sont disponibles sur Arte.tv.
Publié le 10-03-2022 à 07h46 - Mis à jour le 11-03-2022 à 11h10
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Dans une période "normale", la série Serviteur du peuple* serait, sans doute, restée dans un relatif anonymat. Une série TV ukrainienne en version originale (russe et ukrainien) sous-titrée, dont les premiers épisodes datent de 2015, à première vue, ça ne casse pas vraiment les scores. Disponibles actuellement sur la plateforme Arte.tv, les vingt-trois épisodes ont, pourtant, comptabilisé 1,8 million de vues en une semaine, selon l'AFP. La chaîne culturelle a fait le choix d'avancer sa mise en ligne après l'envahissement de l'Ukraine par la Russie. Idem du côté de Channel 4 en Angleterre. Des téléspectateurs évidemment intrigués par le pitch de cette satire dans laquelle Volodymyr Zelensky, actuel président ukrainien et ancien comédien, interprète un anonyme parvenu à la tête de son pays.
Moi, Président…
L'anonyme en question, c'est Vassili Petrovitch Goloborodko. Ce prof d'histoire trentenaire, père célibataire, est retourné vivre chez ses parents. Il est totalement révolté par son maigre salaire (il gagnerait plus au chômage) et la corruption gangrenant son pays à la veille des élections. " On choisit entre deux enfoirés. Ça fait 25 ans que ça dure. Et puis, ces enfoirés arrivent au pouvoir et nous piquent tout ce qu'on a. […] Si j'étais à leur place une semaine, je leur montrerais. Fini les cortèges, les primes. Fini les résidences secondaires. Fini les conneries", s'emballe-t-il durant une discussion avec un collègue filmée, à son insu, par un élève et mise sur Internet. Résultat : un clic, des millions de vues, un crowdfunding, la magie du Web. Sans s'y connaître en politique, Vassili Petrovitch Goloborodko se retrouve donc Président. Une histoire parfaite pour lever le voile sur les arcanes du pouvoir ukrainien, un peu à la manière de la série Parlement de Noé Debré qui immergeait les téléspectateurs à Bruxelles dans les institutions européennes.
Le tableau dépeint par la série ukrainienne est on ne peut plus sombre. C’est simple, toutes les personnes gravitant autour du pouvoir sont véreuses. Dès son premier jour, Vassili roule en limousine, doit choisir une montre de luxe, un parfum, des costumes. Seuls les journalistes qui envoient leurs questions à l’avance ont accès au micro. Un simple appel lui permet de rembourser un prêt à la banque, de trouver un emploi à ses proches, qui en profitent pour s’en mettre plein les fouilles. En sous-main, ce sont bien les oligarque qui tirent les ficelles via des enveloppes d’argent sale. Les conseillers de la Banque centrale, eux, sirotent des coupettes de champagne, alors que trois étages plus bas des manifestants ruinés portent des pancartes à bout de bras. Le peuple trinque. Le nouveau chef d’État va faire tout son possible pour tenter de changer les choses, malgré des bêtises.
Une série cathartique
Quand on visionne la série d’ici, on se dit évidemment que le Studio Kvartal 95 - la boîte de production montée par Volodymyr Zelensky et ses amis en 2003 - a fait quasiment fi de toute nuance. Et puis, lorsque l’on jette un œil sur l’indice de la perception de la corruption (IPC) établi par Transparency International, on est moins critique vis-à-vis de ce manichéisme. En 2021, en effet, l’Ukraine était classée 122e pays sur 180, derrière la Zambie, le Népal, la Thaïlande ou l’Égypte. Pas étonnant, donc, que ce discours anti-élite, certes un peu simpliste, ait pu séduire et avoir un effet cathartique sur une large partie de la population. Ce succès médiatique sur la chaîne 1+1 a encouragé Zelensky à se lancer en politique en créant le parti "Serviteur du peuple" en 2018, alors que la série a été diffusée jusqu’en 2019. Le natif de Kryvyi Rih, ville du centre du pays, avait finalement été élu avec 73,2% des voix en avril de la même année.
Terrible écho à la réalité
Si la série pèche par ses longueurs et la lourdeur de certaines scènes, elle permet, en revanche, de s’immerger dans le quotidien des Ukrainiens et de mieux comprendre ce peuple. La géographie du territoire (l’influence du port d’Odessa), sa richesse (notamment les terres noires), ses coutumes (la chemise Vyshyvanka) ou encore sa gastronomie (le bortsch).
La sitcom écrite par l’actuel président ukrainien permet, surtout, de mieux cerner sa personnalité. Force est de constater que Zelensky avait déjà cette verve et ce charisme avant de se lancer en politique. Pour s’en rendre compte, il faut regarder son discours acerbe sur le système ukrainien dans l’épisode 15. Assez bluffant.
Certaines scènes de Serviteur du peuple font terriblement écho à ce qu'il se passe, aujourd'hui, notamment les menaces des hommes de Wagner et le courage affiché par le Président dans ses vidéos. C'est le cas lorsque son personnage cite Gandhi ("Si je dois mourir de la main d'un fou, je mourrai avec le sourire.") ou d ans une scène anachronique où il rencontre Ivan le Terrible. Le tsar de Russie veut l'aider à se libérer du joug des Polonais et des Lituaniens (République des Deux Nations, NdlR). Réponse de Vassili Petrovitch : "On va en Europe. Vous choisissez votre chemin et nous le nôtre. On se reverra dans 300 ans et on en parlera." C'est le cas, enfin, de son discours d'investiture : "Il faut agir de telle sorte qu'on n'ait pas honte de regarder ses enfants dans les yeux plus tard."
Impossible, aussi, de ne pas avoir l'estomac noué en observant Zelensky déambuler tranquillement sur une selle dans Kiev le sourire aux lèvres et sous le soleil dans le générique débutant par ces mots : "J'aime mon pays, j'aime ma femme."
À noter que la chaîne russe TNT (propriété de Gazprom-Media) avait diffusé trois épisodes de la série en 2019. Avant de rapidement la supprimer de sa grille en raison d’une blague qui visait directement Vladimir Poutine. Surpris ?