Domee Shi: "Je suis fière de faire partie de la nouvelle génération de Pixar"
Publié le 11-03-2022 à 11h19 - Mis à jour le 11-03-2022 à 16h19
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Dans les cultures asiatiques, le panda symbolise la paix et la bonne fortune. Il représente aussi la valeur des émotions et l'importance de la patience. Le panda roux géant d'Alerte rouge, le nouveau film d'animation des studios Pixar, sera à n'en pas douter un porte-bonheur pour Domee Shi, la réalisatrice.
Dans son long-métrage disponible sur Disney + depuis le 11 mars, une jeune adolescente, Mei, se métamorphose en panda roux sous le coup de ses émotions, elle se métamorphose. Métaphore du passage à l'adolescence, l'animal incarne aussi dans Alerte rouge l'origine chinoise de Mei, qui vit au Canada avec ses parents. Cohabiter et accepter ce nouveau moi est l'enjeu du film qui parle de manière burlesque mais très pertinente de l'adolescence féminine.
Une pionnière
À 33 ans, la réalisatrice Domee Shi est le nouveau talent en vue d'un studio qui en compte de nombreux. D'origine chinoise, elle s'est distinguée en 2017 avec son premier court-métrage, Bao. Cette histoire d'un ravioli vapeur qui prend vie et compense le manque d'affection d'une mère dont les enfants ont grandi a été couronnée d'un oscar.
Née en 1989 à Chongqing, en Chine, avant d’immigrer au Canada avec ses parents à l’âge de deux ans, Domee Shi a grandi à Toronto, comme son héroïne Mei.
Cette animatrice talentueuse incarne la nouvelle génération Pixar : celle qui a grandi avec Woody, Buzz l’Éclair et Nemo.
Domee Shi est pionnière à plus d'un titre. Elle a été la première réalisatrice d'un court-métrage chez Pixar avant de devenir la première réalisatrice solo d'un long-métrage (Brenda Chapman n'était "que" coréalisatrice de Rebelle, en 2012). Benjamine parmi ses pairs au sein du studio, elle est la première canadienne, d'origine chinoise de surcroît.
Pourtant, quand elle s’exprime, la jeune femme n’en fait pas une montagne. Modeste et tout à la joie d’avoir mené à bien à son projet, elle s’exprimait à l’intention d’un panel de journalistes, dont nous étions, lors d’une rencontre par Zoom, il y a deux mois.
"Je crois que les grands studios d'Hollywood commencent à accueillir des histoires de la diversité" analyse la réalisatrice. "Pixar a toujours été à l'avant-garde dans l'art de raconter des histoires. Quand la tendance du cinéma d'animation était encore aux histoires de princesse sous forme de comédie musicale, ils ont proposé des films d'aventures animés par ordinateur, tels que Toy Story. Ils se sont toujours efforcés de livrer des histoires différentes et pleines de sens. Ils se tournent maintenant vers une nouvelle génération de conteurs. Je suis fière d'en être."

Une relation mère-fille
L'idée d'Alerte rouge est née alors qu'elle faisait la promotion de Bao, en 2017. "Beaucoup de personnes me demandaient pourquoi Bao est-il un garçon ? Ma réponse était que je ne disposais que de huit minutes pour raconter cette histoire et qu'il me faudrait tout un film pour développer l'histoire d'une relation mère-fille !"
Cette opportunité s'est présentée lors d'un exercice fréquent au sein de Pixar. Les producteurs du studio demandent à leurs équipes de proposer des idées d'histoire pour des longs-métrages. "Quand on m'a proposé d'y participer, j'ai sauté sur l'occasion. Lors de ces séances, chacun soumet trois idées. Toutes les miennes tournaient autour de l'éveil d'une adolescente. C'est le genre d'histoire que je ne voyais pas dans les médias ou les films d'animation."
La réalisatrice résume la portée universelle de son film. "Alerte Rouge est inspiré par ce dilemme entre le fait de grandir et de respecter ses parents tout en suivant son développement personnel. Pour Mei, dans le film, le panda roux est l'étincelle magique qui déclenche son conflit intérieur. D'un jour à l'autre, elle se réveille poilue, avec une drôle d'odeur et ses émotions à fleur de peau. D'une certaine manière, nous sommes toutes passées par là."
L'idée initiale d'Alerte rouge était "la plus personnelle", confie Domee Shi. "Elle est inspirée de ma relation avec ma mère." "Je suis fille unique et j'ai toujours été très proche de mes parents, notamment ma mère, parce que mon père voyageait beaucoup pour son travail. Je faisais tout avec ma mère. Nous faisions la navette vers mon école, nous partions en vacances à deux. Mais, comme tous les enfants, j'ai grandi peu à peu. J'ai tiraillé entre ça et mon sentiment de loyauté envers mes parents et ma mère."
Une métaphore burlesque
De surcroît, il y a une trace des origines asiatiques de Domee Shi. "Le panda roux représente une métaphore tendre des changements étranges, désagréables et parfois inquiétants que l'on traverse à l'adolescence. Je souhaitais aussi y intégrer des nuances liées aux rapports entre des enfants et des parents asiatiques, ainsi que le conflit de générations et son impact sur ce qu'on devient. Alerte rouge est surréaliste et burlesque, mais en son cœur c'est l'histoire d'une mère et sa fille qui acceptent chacune les changements même si cela implique de faire leur deuil du rapport qui était le leur jusqu'alors."
La jeune réalisatrice souhaitait se "démarquer de tous les films précédents de Pixar". "C'est le premier film de Pixar avec une protagoniste féminine contemporaine et je souhaitais que son environnement reflète sa personnalité : colorée, mignonne, audacieuse et franche."

Souvenirs d’adolescence
Domee Shi a demandé à toute l’équipe de puiser dans ses souvenirs d’adolescence afin de nourrir le film d’anecdote. Elle-même est venue cuisiner des mets asiatiques au studio afin d’inspirer les animateurs pour les scènes domestiques du film.
Elle confie que deux épisodes d'Alerte rouge sont directement inspirés de son adolescence. "Tout comme Mei, j'avais un cahier secret caché sous mon lit. Mes parents ne l'ont jamais trouvé. Je ne sais pas où il se trouve aujourd'hui. Il faudrait que je remette la main dessus et que je le brûle ! (Rires) Et j'ai vécu la même chose que Mei le jour de mon entrée à l'école secondaire. Une amie m'a tapoté l'épaule et m'a demandé qui était cette femme avec des lunettes de soleil, qui nous observait, cachée derrière un arbre… C'était ma mère, qui s'inquiétait de savoir si tout allait bien pour moi…"
La réalisatrice ancre son histoire dans le Toronto du début des années 2000, où elle a grandi. "Pas uniquement parce que c'est là que j'ai passé mon adolescence, mais aussi parce que cette époque est celle du sommet de ma pop mania chez les ados. On avait tous ces boys bands et ces icônes pop. On voulait aussi éviter les réseaux sociaux et raconter une histoire au temps des CD, des téléphones portables à clapet et des tamagochis."
De même, le groupe d'amies truculentes de Mei est lié aux souvenirs de Domee Shi. "Elles reflètent la diversité de mes propres amies à l'école. J'ai eu la chance de grandir entourée de nombreux enfants d'origine immigrée ou asiatique comme moi. Peut-être de par le fait que j'étais fille unique, j'ai toujours veillé à m'entourer d'amies qui me soutenaient, comme Mei avec ses amies."
Domee Shi espère que sa fable burlesque aidera certaines adolescentes à composer avec ce qu'elles traversent. "L'adolescence n'est pas toujours un long fleuve tranquille. On y est parfois grincheux, en colère ou mal à l'aise. Mais tout ira bien. On finit par s'en sortir. Il faut parfois dire au revoir à des choses que l'on chérissait, mais c'est normal et après tout ira bien. J'espère que les ados qui verront mon film prendront conscience de cela."
Elle formule un autre souhait : "Qu'elles comprennent qu'une femme, et une femme racisée, peut diriger avec succès un projet ambitieux. Je trouve cela super cool."