"Dirty Lines" : la folie du téléphone rose aux Pays-Bas
La mini-série néerlandaise "Dirty Lines" raconte les prémices du téléphone rose aux Pays-Bas et bien plus que cela. Sur Netflix.
Publié le 06-05-2022 à 14h42 - Mis à jour le 06-05-2022 à 21h01
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"Avant d'être animatrice de Minitel rose, je n'étais même pas capable d'écrire une carte postale." Dans l'un des épisodes du podcast Bookmakers sur Arte, l'écrivain Philippe Jaenada, lauréat du prix de Flore pour Le Chameau sauvage, du Femina avec La Serpe, raconte comment il avait aiguisé sa plume en excitant les hommes qui tapaient un mot coquin derrière l'indicatif "3615".
À peu près au même moment, en 1989, du côté d'Amsterdam, le téléphone rose en était à ses prémices avec la société Teleholding. Une entreprise montée par deux frères (George et Harold Skene) grâce à laquelle ils ont engrangé des millions de florins. Le créateur de la série, Pieter Bart Korthuis (connu pour le succès de la série Penoza et qui va bientôt signer une série sur feu le politique Pim Fortuyn ) , s'est inspiré de leur histoire, leur grain de folie et d'un ouvrage pour signer la bonne surprise Dirty Lines .
La honte chez le marchand de journaux
Cette série néerlandaise est dans la même veine que The Deuce, série américaine racontant l'émergence de l'industrie pornographique à New York dans les années 1970. Dirty Lines nous plonge dans les coulisses de la success story du premier service téléphonique érotique des Pays-Bas (rebaptisé Teledutch). Avant quasi tout le monde, les deux frères Stigter (Frank et Ramon) ont bien compris que l'anonymat offert par les téléphones fixes était une aubaine. Car avant l'avènement du Web, de nombreux hommes avaient honte d'acheter un magazine ou un film porno chez leur marchand de journaux. Tout n'est pas si rose... L'argent, la drogue et les excès en tous genres, notamment ceux du flambeur Frank (campé par l'excellent Minne Koole) mettent en danger l'entreprise et l'amour fraternel. À l'instar des deux frères du film Belgica de Felix Van Groeningen.
Un cours de sexualité et d’émancipation féminine
L e showrunner néerlandais n'a pas choisi le point de vue des deux businessmen pour raconter son histoire. Il signe une série d'apprentissage en prenant comme narratrice et personnage principal une jeune étudiante en sexologie ayant grandi dans un quartier tranquille d'Amsterdam et originaire du Surinam. En quête d'indépendance, la prude Marly Salmon (Joy Delima) a besoin d'argent et se retrouve embauchée par Teledutch. Son boulot initial : écrire et enregistrer des scénarios érotiques pour les hommes au bout du fil. Un terreau incongru et fertile, évidemment, pour l'humour. Les blagues font quasiment tout le temps mouche sans verser dans la vulgarité. L'écriture est maligne et érudite, notamment, lorsqu'il s'agit de parler de sexualité et d'émancipation féminine. Joy Delima, chroniqueuse "sexe" au quotidien Volkskrant, a d'ailleurs participé à l'écriture des scènes dans lesquelles son personnage "vulgarise" ces questions. Autre réussite, la mise en scène permettant aux spectateurs de développer une complicité avec Marly grâce à des apartés, des regards caméras, etc.
Une soif de liberté
Né en 1971, Pieter Bart Korthuis réussit, aussi, à parfaitement restituer l'esthétique et l'atmosphère de sa jeunesse. Les points négatifs (les familles qui fumaient à côté des enfants, l'arrivée du sida, l'homophobie et le racisme prégnant…) mais surtout la soif de liberté dans les milieux underground amstellodamois. Le Second Summer of Love, l'émergence de la house, les rave parties, les squats, les looks impossibles, les deux chaînes de télé, l'Euro de foot et la volée légendaire de Marco van Basten, les premiers téléphones portables (encore plus rétro que le Nokia 3310, si, si…), les répondeurs ringards, les courses de pédalos dans les canaux et surtout la chute du mur de Berlin. Un vent de liberté qui a balayé cette période et est insufflé tout au long des six épisodes.