Laurent Delahousse, délit de belle gueule
Le présentateur des 20 heures du week-end de France 2 est un anxieux élégant et courtois qui se défie du bruit et de la fureur d’une actualité mortifère qu’il traite sans tapage.
Publié le 07-09-2022 à 13h49 - Mis à jour le 07-09-2022 à 13h50
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Il revient de l’hôpital militaire Percy. Son casque de scooter et sa veste à peine posés, Laurent Delahousse sort son portable, zoome sur le regard de Falco, 29 ans, engagé dans les forces spéciales qui apprend à vivre avec les jambes amputées jusqu’aux genoux. Témoignage qu’il a recueilli pour une émission spéciale de France 2.
Quatre ans qu'il dit non au portrait de Libération. "Si c'est pour m'enfermer dans un Laurent Delahousse que je ne suis pas en synthétisant des papiers de gens qui projettent ce qu'ils croient connaître de moi, à quoi bon ?" L'invite date de la sortie en salles de son film intitulé Monsieur, sur l'écrivain Jean d'Ormesson.
Depuis ses débuts en 2006 comme joker de David Pujadas, sa plastique lui est reprochée en une forme de discrimination à l’envers. Il est vrai qu’il n’a pas la raie sur le côté d’Alain Duhamel, ni le crâne ras de Jean-Michel Aphatie. Sa déambulation avec Emmanuel Macron pour un entretien promeneur a ulcéré ceux qui auraient aimé être à sa place et lui ont reproché une approche en douceur qui ne rime pas forcément avec complaisance. Et son regard de côté quand il pose ses questions énerve ceux qui ne jurent que par la brutalité frontale. Fatigué de ce fiel répété, Delahousse a fait vœu de silence. Au risque que l’incompréhension perdure, il se concentre sur son travail. Le week-end est son moment, entre présentation des 20 heures et magazine d’infos. Son plateau d’invités du dimanche soir aimante jusqu’à six millions de téléspectateurs.
Il prône l’élégance, la courtoisie et la retenue
Si la rencontre avait eu lieu dans son bureau à France 2 et non dans un hôtel de Saint-Germain-des-Prés, on aurait vu un joyeux bordel entre des tas de photos, son dada, et des piles de livres dont l'un de Sénèque, intitulé De la brièveté de la vie. Sarah Briand qui l'assiste depuis quinze ans, devenue rédactrice en chef de 20 h 30 le dimanche s'étonne de la dichotomie entre ce qui est écrit sur lui et la réalité : "Si quelqu'un le déçoit ou le blesse, il ne fait jamais d'éclat. C'est un timide, le contraire du mondain. Il a la colère rentrée et prend sur lui. Sa capacité de travail est colossale, il ne déconnecte jamais."
Quand on lui relit ce qui s'écrit sur lui, le vert de ses iris se voile, et il nous fait valoir qu'on le déçoit : "C'est un retour en arrière, vous me positionnez en défense." Laurent Delahousse qui tient Bernard Rapp, Jacques Chancel et Stéphane Paoli comme références, prône l'élégance, la courtoisie et la retenue. "Je ne me reconnais pas dans l'hystérie médiatique, la culture du clash et les certitudes assénées qui alimentent en continu les passions tristes et la confusion."
Cet anxieux de nature se préfère en rassembleur. Nostalgique de "ce que fut le métier de journaliste", le présentateur, rédacteur en chef, producteur et réalisateur de documentaires, semble en avoir lourd sur l'estomac. "L'incarnation du 20 heures impose une responsabilité. Je suis un journaliste d'idées, pas un idéologue. Je travaille avec une rédaction de service public ayant le factuel pour ligne de conduite et non l'opinion." Il a conscience que le fauteuil peut se transformer en siège éjectable : "Il suffit d'un grain de sable."
Par deux fois, les rumeurs l'ont placé à la chaire de TF1 dont il a battu les audiences le 1er juillet dernier. "Je ne suis pas un mercenaire de la course à la gagne, même si le 20 heures de France 2 était au début une façon de me prouver que j'en étais capable." Ce qui l'intéresse ? "Voir évoluer ceux avec qui je bosse, consolider les liens avec une équipe que j'aime et une direction qui nous laisse cette liberté de casser les codes avec des formats différents." Au moment de ses noces de cristal avec France 2, il n'a pas digéré que son émission Un jour, un destin, qui racontait la vie des connus, soit réduite à peau de chagrin, "décrétée obsolète, du jour au lendemain, sans autre explication".

Il imagine ouvrir son propre restaurant à Paris
Son inquiétude face à l'actualité du monde va crescendo. Pour s'en délester, il en vient à rouler sans but dans Paris certains soirs avant de rentrer chez lui. "Le rabotage perpétuel des moyens financiers et humains du service public et l'information envisagée comme un commerce, une téléréalité éditorialisée en fonction des audiences" le hérissent.
Il anime deux conférences de rédaction pour chaque JT, clope en écrivant ses lancements. Sa pharmacienne à qui il achète des patchs croit qu'il a arrêté le tabac. Pendant le Covid-19, il se maquillait seul dans l'ascenseur. Il croque des sandwichs devant son ordinateur, rapporte parfois le déjeuner à son assistante qui ajoute : "Pour chaque sujet c'est : 'Raconte-moi l'histoire'. Il n'est pas facile à convaincre mais pas buté. Il bouscule les frileux et assume. Il valorise les autres, ne s'attribue pas leurs idées et on est pris par son entrain."
Dix ans qu'il arrive à cet hypocondriaque, "pétri de doutes", d'aller chez le psy tenter de mater le trop-plein, l'angoisse du temps qui passe, la noirceur dans laquelle il peut vite tomber. Il se définit laïque, mais aussi tolérant et œcuménique, "de là à croire, [il a] encore du boulot". S'il s'est reconnu dans la génération Mitterrand de 1981, il refuse de parler isoloir. L'argent n'a jamais été un objectif mais un moyen pour financer ses documentaires dans lesquels il peut perdre des billes et faire avancer ses projets de films.
Très famille, il décrit la sienne ainsi : des pudiques de naissance, guidés par les valeurs de travail, d'accueil et d'honnêteté. Un père agent immobilier, une mère très "maman", ayant étudié l'histoire de l'art, conférencière dans les musées. Son frère aîné est avocat en droit du travail. Lui a fait une maîtrise en droit des affaires et du travail, DEA en droit privé. Étudiant, il lit Zweig, Hugo, regarde le Cinéma de minuit et tend l'oreille à la radio. À 24 ans, un stage au service politique de RTL le détourne de son rêve de devenir avocat pénaliste. Avant France 2, il y a aura M6, LCI, Europe 1.
Pressé six jours sur sept, il s'octroie le lundi pour souffler, hors pauses scolaires. Maître des temps de cuisson et sachant expliquer comment rôtir un jambon, il cuisine pour les siens et pour 17 à Noël, imagine même ouvrir son propre restaurant à Paris. Il ne badine ni avec les courses qu'il fait lui-même ni avec l'amour. "Sans état amoureux, il n'y a rien, je suis dévitalisé." Il est gaga de sa tribu. Deux filles aînées d'une première union, deux beaux-fils, puis une fille et un garçon avec celle qui partage sa vie. Alice Taglioni, actrice et pianiste, joue Rachmaninov sans partition et aussi ses propres compositions.
Manquerait plus qu’il soit sympa, qu’il invite des enfants à assister à son JT, que parmi ses amis certains soient célèbres. Même Michel Drucker a arrêté de dire du mal de lui. Forcément, il agace.
