Niko Tackian, créateur de la série Alex Hugo: "On n’écrit pas un roman comme une fiction télé"
Niko Tackian, créateur de la série Alex Hugo, nous parle de La lisière, son nouveau roman qui mêle fantastique et enquête policière.
Publié le 01-04-2023 à 19h39
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Rien ne destinait Niko Tackian, de son vrai nom Nicolas Tackian, à écrire des histoires. Et, pour cause, enfant, le Parisien était dyslexique. Grâce aux jeux de rôles, dont il s'est découvert une véritable passion, le jeune Tackian a poussé la porte de l'écriture et de la lecture en racontant des histoires. Aujourd'hui, cela fait plus de 20 ans que l'homme fait voyager à travers ses histoires. Que ce soit via des bandes dessinées, via le petit écran - il est notamment le scénariste d'Alex Hugo (voir article ci-contre) - mais également via des romans dont le dernier, La Lisière, qui mêle le policier au fantastique, est sorti en mars. Celui-ci raconte l'histoire de Vivian, une mère de famille qui perd son mari et leur fils après s'être arrêtée en voiture sur une route des monts d'Arrée. Ne les voyant plus, la femme se rend vers la forêt pour les retrouver mais se fait poursuivre par un homme muni d'une hache. Elle réussit finalement à se faire aider par un camionneur qui l'accompagne à la gendarmerie la plus proche. Une équipe est envoyée sur le lieu des faits mais il n'y a plus aucune trace de la voiture. Celle-ci sera retrouvée inhabitée un peu plus loin dans un marais. Désemparée, Vivian se pose beaucoup de questions et a le sentiment que ses rêves tentent de lui dire quelque chose… "Il y a une double enquête dans ce bouquin, explique Niko Tackian. D'un côté, il y a une enquête réelle avec un gendarme et des moyens policiers et de l'autre, une enquête dans les rêves de la victime, à savoir Vivian."
Pourquoi avoir choisi les monts d’Arrée comme décor pour votre histoire ?
"Je ne voulais pas rester à 100 % dans le réel. Je voulais un côté onirique autour du folklore, qui puisse paraître fantastique. Dans une ville comme Paris, ça aurait été moins crédible. Il y a toute une mythologie autour des monts d’Arrée qui me semblait intéressante. J’ai compris que c’est ce qui allait faire l’âme du roman."
Vous intéressiez-vous déjà à la mythologie bretonne avant de vous lancer dans cette histoire ?
"Non, j’ai découvert cela en visitant la région des monts d’Arrée. Sur place, je me suis rendu compte que la mythologie autour de l’Ankou était toujours présente. Depuis toujours, on raconte que les prêtres de l’Église catholique jetaient les gens supposés aliénés à l’intérieur d’un trou. Toutes les grands-mères bretonnes ont quelque chose à raconter autour de l’Ankou. La lisière, qui est le nom du bouquin, c’est la frontière entre la réalité et les rêves."
Est-ce que vous avez écrit cette histoire pour qu’elle puisse un jour être adaptée sur le petit écran ?
"Quand j’écris, je ne pense pas à ça. Je devrais me poser trop de questions. Autant quand j’écris un scénario, je dois intégrer toutes les contraintes de la télé, autant dans le roman, j’ai une liberté totale. Le scénariste, c’est quelqu’un qui est le premier maillon d’une chaîne de fabrication. Souvent, il doit revenir sur ce qu’il avait décidé au début pour respecter telle ou telle contrainte. Dans le roman, l’auteur est le seul maillon. L’éditeur peut lui donner son avis sur le bouquin mais c’est à lui seul de décider s’il veut le suivre ou pas. Dans le roman, si tu réussis, c’est seul mais si tu te plantes aussi. En tout cas, si un jour ce bouquin est adapté sur le petit écran, ce n’est pas moi qui m’occuperais de l’adaptation. Je ne veux pas être l’auteur qui doit couper dans son texte pour s’adapter à la télévision. Je préfère que quelqu’un d’autre fasse cela à ma place."
Vous avez commencé à écrire des romans après avoir démarré votre carrière de scénariste. Est-ce que l’un apporte à l’autre ?
"Tout s’apporte. Les séries ont une influence sur le roman. Dans le roman, on fait un peu ce qu’on veut mais si on fait du thriller, on doit donner aux gens l’envie de tourner les pages. Ma musicalité d’écriture s’est forgée avec la télé. J’ai donc utilisé les outils que je connaissais : faire des chapitres assez courts. Quand une scène est finie, je passe à la suivante. À la télévision, on peut perdre des téléspectateurs à partir des 5 premières secondes. Dans le roman, c’est pareil. Si après 4 ou 5 chapitres, il ne se passe rien, le lecteur s’ennuie et ne continue pas. Mais, il faut faire attention à une autre chose. Cueillir tout de suite le lecteur est facile. Mais après, il faut savoir garder le même niveau de tension tout au long du bouquin. On doit avoir des munitions parce que si tu tires les grosses balles tout de suite et que tu n’as rien après, les gens partent."
On retrouve la montagne dans plusieurs de vos œuvres. Cela veut-il dire que vous y êtes particulièrement attaché ?
"Je ne suis pas du tout un gars de la montagne mais j’aime les huis clos à ciel ouvert. Je cherche une ambiance un peu étouffante ans laquelle on peut plonger les gens et faire qu’ils se sentent prisonniers. C’est pour ça qu’on retrouve souvent les montagnes ou les îles dans mes bouquins ou ailleurs."
Avez-vous besoin de vous imprégner du lieu pour écrire ?
"J’ai besoin d’aller sur place pour sentir l’atmosphère et noter les détails que je pourrais utiliser dans mon roman. J’aime écrire en immersion aussi parce que les gens qui vivent dans la région dans laquelle se déroule l’histoire vont vite se rendre compte si ce que je raconte ne correspond pas à la réalité. J’ai envie qu’ils me disent : "Génial, on a l’impression que vous êtes nés à cet endroit !"
Samuel Le Bihan est l’incarnation parfaite d’Alex Hugo
Scénariste pour le petit écran depuis près de quinze ans, Nicolas Tackian est à l’origine de la série Alex Hugo qu’il a créée aux côtés de Franck Thilliez. Devenue une véritable valeur sûre du petit écran français, cette dernière fêtera ses dix ans l’année prochaine. “Il n’y a pas beaucoup de séries françaises qui ont passé ce cap”, explique le scénariste. “À la base, Alex Hugo devait être un simple film. Mais le succès du pilote fait qu’il s’est finalement transformé en série.”
Selon lui, la pérennité d’Alex Hugo est due outre son décor montagneux exceptionnel, au fait que la série soit “construite comme un western.” “On ne voulait pas faire un polar classique. On voulait une histoire où le héros n’avait pas d’arme, pas de téléphone portable, ni de moyens policiers. On voulait juste mettre en avant un gars qui aimait les gens et parfois même certains coupables, ce qui lui donnait envie de les aider”, dit-il. “Alex Hugo n’est pas juste une série de bons sentiments avec un gars dans la montagne. Souvent, on s’est quand même bien tordu le cerveau pour sortir des histoires originales avec des surprises. On a essayé de donner une certaine complexité aux intrigues.”
Mais, le plus important, selon lui, reste le personnage d’Alex Hugo, incarné “à la perfection” par Samuel Le Bihan. “On n’avait pas du tout d’idée d’acteur pour jouer Alex Hugo. Un jour, on a rencontré Samuel Le Bihan dans un café près de la Gare du Nord à Paris et ça nous est paru évident. Dès qu’il est rentré dans le café, on s’est dit que c’était vraiment comme ça qu’on voyait le personnage, tant au niveau du physique que du comportement”, raconte-t-il. “Et, finalement, on ne s’est pas trompé. Le personnage d’Alex Hugo ressemble beaucoup à Samuel Le Bihan et inversement. Cette sincérité contribue au succès de la série. Il n’a pas besoin de travailler pendant des mois pour être Alex. Je ne vois pas qui aurait pu incarner ce personnage, à part, lui.”
Le scénariste tient toutefois à souligner l’importance du personnage campé des saisons une à neuf par Lionnel Astier, à savoir : Angelo Batalla. “Il était, à la base, un second rôle et est devenu un rôle principal. Il a amené du comique mais du touchant aussi. Il a donné une certaine réalité dans la série.”
Le personnage d’Alex Hugo n’a toutefois pas été inventé par les deux scénaristes mais inspiré par le roman La mort ou la belle vie de Richard Hugo. “C’est l’histoire d’un flic de Détroit qui a entraîné la mort d’un coéquipier et qui part donc vivre dans une réserve indienne. Alors qu’il pensait en avoir fini avec son job, un crime se produit près d’où il vit et il se met à enquêter”, explique Nicolas Tackian. “C’est un personnage qu’on a beaucoup précisé avec les années. À la base, ce flic est poète. On a proposé l’idée à Samuel Le Bihan mais il nous a tout de suite répondu : “La poésie, vous oubliez !” (rires) Par contre, il nous a dit qu’il dessinait. On a donc fait en sorte que le personnage dessine. Et j’avoue que ça nous arrangeait !”
Nicolas Tackian et Franck Thilliez n’écrivent désormais plus pour la série. “L’écriture a été reprise par une équipe qui travaillait déjà avec nous. Après dix ans, on avait envie de passer la main à d’autres et surtout envie de faire autre chose”, explique le scénariste qui a plusieurs projets sur feu. Parmi eux, l’adaptation de deux de ses romans mais également un long-métrage et la création d’un jeu de rôles.