Arnaud Poivre d’Arvor : "La limite se trouve dans le voyeurisme"
Présentateur et producteur, le fils de Patrick Poivre d’Arvor débarque sur AB3 avec "Enquête chrono", une émission consacrée aux faits divers.
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- Publié le 03-09-2023 à 13h14
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Magazine Un à un, les médias font leur rentrée. AB3 n'échappe pas à la règle. Parmi les nouveautés de la chaîne pour cette saison 2023-2024, figure Enquête chrono. Un rendez-vous dédié à des faits divers qui, pour la plupart, n'ont pas fait autant de bruit dans la sphère médiatique que les plus grands dossiers mais n'en sont pas moins interpellants. Diffusé en primeur en Belgique, le premier numéro de ce programme est consacré à un criminel belge : Willy Van Coppernolle. Le second, également diffusé ce lundi 4 septembre, s'intéressera à l'affaire Marie Varnerot, une jeune femme assassinée la veille de ses 18 ans.
Enquête chrono est produit, réalisé et raconté par Arnaud Poivre d'Arvor et sa société de production, Phare Ouest Productions. À 51 ans, le fils de Patrick Poivre d'Arvor en connaît un rayon sur les faits divers. C'est une de ses marottes, tout comme l'histoire et les faits de société. La très grande majorité de ses émissions gravite autour de ces trois thèmes. C'était le cas avec Toute l'histoire, Nos ancêtres les Gaulois et Babylone, proposés sur France 2, Dossier Scheffer, dédié à la criminalistique sur France 5, etc.
"C'est ce que j'ai envie de raconter à la télévision, confie-t-il à La Libre. L'intérêt d'Enquête chrono, c'est d'aller chercher des affaires qui n'ont pas forcément été traitées ailleurs, qui a priori ont été résolues dans un temps court et de proposer une écriture un peu nouvelle avec un récit rythmé, heure par heure. L'originalité est de découvrir une affaire comme si on la vivait dans la peau des enquêteurs qui nous la racontent dans les moindres détails. Et de traiter d'affaires qui se sont passées soit en Belgique, soit dont les protagonistes sont belges."
Vous évoquez des affaires résolues rapidement, mais on est loin des Experts Manhattan, Miami, etc., qui bouclent les dossiers criminels presque en claquant des doigts. La réalité est tout autre…
Dans les émissions, j’aime faire preuve de pédagogie en me plongeant dans le quotidien, par exemple, du métier d’enquêteur. L’idée est de montrer sa réalité, sa complexité et l’urgence dans laquelle les policiers se trouvent. On sait que les premières 24 ou 48 heures d’une enquête sont déterminantes. Elles vont figer beaucoup de choses. Tous les policiers que j’ai rencontrés me l’ont dit : si on rate ces premiers moments, l’affaire risque de s’enliser pendant des mois.
Il y a la hantise chez ces enquêteurs de voir les choses s’enliser comme dans l’affaire Grégory ou celle d’Outreau ?
Ils ont tous ça à l'esprit. Personne ne souhaite se retrouver dans ces situations qui finissent par hanter les policiers parce qu'ils ne trouvent pas la solution. Faire les bons choix, c'est une des difficultés du métier d'enquêteur. Avoir les bonnes intuitions aussi, tout en respectant une procédure. Parce que cette dernière impose également beaucoup de contraintes. Dans Les Experts, les choses peuvent être faites en claquant des doigts alors que dans la réalité, il y a plein d'étapes à suivre. C'est intéressant de comprendre dans quel état d'esprit sont les enquêteurs, comment ils vivent et ressentent les événements. On n'y arrive pas forcément parce qu'ils ne se livrent pas toujours. J'aime l'aspect très humain de tout cela.
C’est difficile pour eux de se replonger dans ces dossiers toutes plus sordides les uns que les autres ?
On termine souvent le programme avec un épilogue sur la façon dont l’affaire traitée les a marqués, et c’est dur. S‘ils parviennent à encaisser les choses, c’est parce que c’est un travail de groupe. Mais cela reste des métiers particuliers lors desquels vous côtoyez de près la mort et la violence, qui posent beaucoup de questions sur la psychologie humaine. Je ne sais pas si j’aurais aimé être policier mais à chaque fois que je traite de ces affaires, je trouve que c’est un métier très intéressant.
Pourquoi les crimes, souvent les plus odieux, crapuleux, fascinent tant les gens ?
Ce ne sont pas toujours les crimes qui font le plus peur qui fascinent le plus. Il y a évidemment les tueurs en série qui terrorisent les gens parce qu’on se dit qu’ils peuvent frapper à n’importe quel moment en choisissant leurs victimes au hasard. Je crois que si on est fasciné par les faits divers, c’est parce que ça peut arriver à tout le monde. Ces meurtres touchent toutes les catégories sociales. On s’interroge aussi sur le passage à l’acte, pourquoi et comment quelqu’un bascule tout d’un coup. Il y a forcément une petite part de voyeurisme mais toutes ces histoires sont très ‘concernantes’. C’est du quotidien, très proche de nous. Plonger dans ces destins, ces milieux, parfois, aussi, ça nous rassure également. On se dit que le malheur nous épargne. Enfin, il y a l’enquête, découvrir comment cela fonctionne, le principe de l’énigme criminelle, qui nourrit notre appétence pour le sujet.
Dans une enquête, la résolution tient parfois à un détail. Dans le cas de l’affaire Willy Van Coppernolle, c’est une note d’hôtel qui n’est pas payée, un viol commis ailleurs avec lequel on essaye de faire le rapprochement…
Même si aujourd'hui on a des outils très puissants de police technique et scientifique, c'est vrai le côté incroyable des enquêtes. On me demande souvent si le crime parfait existe. Sa réalisation est possible mais il y a toujours des petites erreurs. Au bout d'un certain nombre d'années, des gens finissent par se trahir… C'est compliqué de dissimuler totalement un crime. Je travaille aussi sur l'émission Non élucidé avec un ancien grand policier. Il me dit souvent qu'une enquête, c'est 99 % de travail et 1 % de chance. Cette chance est nécessaire…
Qu’est-ce que ça vous fait, à vous, de baigner dans cette ambiance criminelle quand on prépare ces émissions ? Psychologiquement, ça ne doit pas toujours être évident…
Je n’en cauchemarde pas la nuit mais certains dossiers traités, ceux concernant des enfants en particulier, sont très difficiles. C’est très dur quand vos propres enfants ont plus ou moins l’âge de la victime. Comme les policiers, je travaille en équipe. On échange beaucoup entre nous, ce qui permet de retirer une partie du poids de ces histoires lourdes. J’arrive à trouver le bon équilibre. Le plus difficile, c’est d’être en contact avec les familles des victimes, ce qui m’arrive régulièrement. Je suis très touché par leurs histoires et il faut trouver les mots justes. Dans les histoires non élucidées, ce sont des gens qui ont été doublement touchés par le malheur puisqu’ils perdent un proche dans des conditions extrêmement violentes et ils ne connaissent pas la vérité sur les circonstances exactes de la mort. Ces rencontres-là sont les plus fortes et dures. Maintenant, quand je travaille sur ces affaires en tant que producteur, mon défi est de construire le récit le plus efficace. Je prends donc un peu de recul par rapport à tout ça.
Peut-on traiter toutes les affaires à la télévision ?
C’est compliqué de savoir où se situe le curseur. Quand il y a acte de torture et de barbarie, comme ça peut arriver dans certaines histoires qui touchent à des enfants, j’ai beaucoup de mal. Mais il m’est arrivé de traiter d’histoires très dures ; tout dépend la façon dont on raconte les choses, si ce sont les policiers qui le font, etc. La limite se trouve dans le voyeurisme. C’est là où je m’interroge régulièrement sur mon travail. J’essaye d’être dans l’information, la pédagogie, parfois dans l’intérêt public.Charles Van Dievort