Alex Vizorek, un "gros bosseur qui s'adapte à tout": "Mais c’est vrai que j’ai un défaut de garçon bien éduqué"
Bon camarade, l’hyperactif humoriste belge, qui navigue entre l’intello et le populo, fait sa rentrée sur RTL après une décennie sur France Inter.
- Publié le 10-09-2023 à 15h00
:focal(2336x1564.5:2346x1554.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/IO6HIA7VPFBEXITNW64R66OJG4.jpg)
"Il aura fallu que je déménage sur une radio de droite pour que le journal de gauche veuille enfin faire mon portrait!" Il n’a pas tort, Vizorek, quand il nous balance ça, emoji clin d’œil, en réponse à notre proposition de lui tirer la der. Dans le troupeau d’humoristes de France Inter portraiturés à travers les âges, pourquoi Libé a-t-il attendu si longtemps pour se pencher sur le cas du blagueur belge, boucles savantes et paupière tombante, pilier de la rigolarde "bande à Charline" neuf années durant ? Pas assez politique ? Moins symptomatique de son époque ? Si on s’y met maintenant, en tout cas, c’est bien parce que son arrivée sur RTL crée un nœud dramatique inextricable : électeur potentiel de Philippe Poutou s’il avait eu la nationalité française, Alex Vizorek est, en cette rentrée, la recrue-star de la station qui vient de perdre Pascal Praud. Déconcertant.
'Y a de l’enjeu, convient-il. Mon interrogation, c’est : est-ce que je suis capable de jouer dans une autre équipe ?' Dans un pub irlandais tenu par un ancien camarade du cours Florent, Alex Vizorek enchaîne les métaphores footballistiques et les demis de pils. Barbe buissonnière et sandales aux pieds, détendu, en prérentrée. Après avoir "mouillé le maillot" dix ans pour Inter, c’est comme si l’ancien journaliste sportif "quittait le PSG pour l’OM". On se marre, mais son transfert n’est pas si improbable : caricaturé comme le plus à droite de la bande d’affreux gauchos d’Inter, son départ pour l’antenne des Grosses Têtes était devenu une blague récurrente entre eux. Son nouveau patron Régis Ravanas aurait pu la faire, lui qui demandait à le rencontrer à chaque fin de saison, tant il trouvait ce "talent rare RTL-compatible". "Et pour cause, ma mère écoute toujours RTL, dit Vizorek. Je connais ses auditeurs." Enfin à la maison ?
Pas tout à fait. Parce qu’il quitte une famille et un couple de radio avec Charline Vanhoenacker : "Mais je suis certaine qu’on se retrouvera, dit-elle. Après notre troisième semaine ensemble, il m’avait sorti un truc mignon : 'S’il fallait signer pour travailler cinquante ans avec toi, je signerais.' Moi aussi. C’est comme si on s’était mariés professionnellement." L’arrêt de la quotidienne par la nouvelle directrice Adèle Van Reeth l’a contrarié : mal justifié, jusqu’à évoquer des audiences prétendument en érosion. Football toujours : "C’est pas grave, je peux comprendre : si tu changes d’entraîneur, t’as peut-être plus besoin de ton numéro 9. Mais ton numéro 9, s’il ne boite pas, tu ne dis pas qu’il boite !"
Deux choses à saisir avant d’aller plus loin. D’abord, Alex Vizorek est un chasseur d’autographes. L’ado faisait le pied de grue devant les quatre étoiles bruxellois pour attraper les griffonnages de célébrités plus ou moins décaties. Ses parents, qui ont fait fortune dans la chaussure, l’emmenaient le dimanche à Paris. Pendant que sa mère visitait les grands magasins, lui passait son après-midi au théâtre. Elle le récupérait à l’entrée des artistes. "Après ça, j’ai quand même découvert les femmes et arrêté de courir après Paul Préboist !" De ces vagabondages parisiens, lui est resté une passion pour la rive gauche. Après Saint-Germain-des-Prés, le quadra est désormais proprio dans le chiquissime VIIe arrondissement. Encore quinze ans à rembourser "mais on est quand même très bien payés pour faire des blagues", admet-il.
Deuxièmement : Alex Vizorek est un businessman. Sorti de l’école de commerce Solvay, le HEC belge. Dernier de sa promotion, certes, mais il en a gardé un certain sens des affaires, qui compense peut-être son absence d’odorat. Anosmique, il lui est déconseillé de cuisiner au gaz. Sans être du tout du genre calculateur, il a instinctivement cerné la loi de l’offre et de la demande médiatique. Là, son emploi du temps est surblindé, comme d’habitude. Par son "vrai métier", la scène, en tournée tous les week-ends. Par un deuxième conte pour enfant sur un suppositoire qui parle (le premier s’est vendu à 55 000 exemplaires). Par une chronique dans Télématin et, enfin, par un nouveau talk-show d’humour pour France 2, avec Philippe Caverivière. L’émission s’est invitée à la dernière minute dans son agenda. Pas grave, il trouvera le temps, il l’a toujours trouvé.
"C’est un gros bosseur, qui s’adapte à tout, confirme Guillaume Meurice. Le premier qu’on appelle quand il faut remplacer en urgence un chroniqueur malade." Alex Vizorek est une PME. S’il écrit ses spectacles seul, avec la complicité de sa metteuse en scène Stéphanie Bataille, il bosse avec un pool de quatre à cinq auteurs pour le reste. "Je compare ça à de la cuisine : c’est moi qui ai l’idée de recette et qui fais le plat, mais ce sont eux qui font le marché, le fond de sauce, les épices. A la fin, c’est aussi moi qui dois assumer si c’est pas bon !"
La marque Vizorek, c’est cette faculté à glisser habilement d’un registre à l’autre : du chansonnier au standuppeur, du bon au mauvais goût, de la culture classique à la populaire. Son dernier spectacle, Ad Vitam, en est l’exemple parfait : une heure trente sur la mort, avec une ou deux "blagues de teub" au milieu d’un exposé comique sur le concept heideggerien du Dasein. Inspiration Fabrice Luchini, une révélation à ses débuts. La plasticienne Sophie Calle ou la chanteuse Mylène Farmer sont venues applaudir celui qui se dit aussi à l’aise à la Fiac qu’au bar à fléchettes, sa passion extrême. Zéro snobisme. Son précédent spectacle sur l’art moderne, joué pendant dix ans, avait à la fois recueilli les faveurs de Télérama… et de Valeurs actuelles – ça, ça l’emmerde un peu. "Mais c’est vrai que j’ai un défaut de garçon bien éduqué : j’aime bien plaire à tout le monde."
A l’aise Vizorek, bon camarade d’humeur toujours égale, détestant le conflit. Faut pas s’fâcher chantait d’ailleurs son éphémère crooner de père Yves Wiczorek, une scie psyché-synthé à la Plastic Bertrand. Pour le futur, ce dont il est à peu près sûr, c’est qu’il n’aura pas d’enfant. Ça va de pair avec son angoisse des tatouages. Trop définitif. Rencontrée en travaillant pour Ardisson, sa compagne, avec laquelle il n’habite pas, est plus âgée que lui. "J’ai toujours aimé ça. Et les femmes qui ont 45 ans aujourd’hui ont un truc particulier. J’aime bien qu’elles sachent ce qu’elles veulent." Plutôt old school, il se demande à quelle génération d’humoristes il appartient, "le petit-neveu de l’ancienne ou le grand-oncle de la nouvelle". Se dit "impressionné" par cette dernière, dont il repère les talents, notamment dans les deux comedy clubs bruxellois qu’il a cofondés. Mais se retrouve aussi coopté par les vétérans de la télé, Drucker, Ardisson, Arthur. "Il n’avait pas le plan de carrière d’aller côtoyer Michèle Torr chez Drucker, observe Guillaume Meurice. Mais il adore cet univers, et aujourd’hui, il se régale : il vit dans son carnet d’autographes."
Alex Vizorek en quelques dates:
21 septembre 1981 Naissance à Bruxelles.
2009 Spectacle Alex Vizorek est une œuvre d’art.
2014 Début de son émission quotidienne avec Charline Vanhoenacker sur France Inter.
2021 Deuxième spectacle, Ad Vitam.
Septembre 2023 Rentrée sur RTL.