Quand Chostakovitch s'encanaille

J e vais régulièrement aux répétitions de mon opérette. Je meurs de honte. Si tu voulais assister à la première, je te conseille de changer d'avis. Ce n'est pas la peine de perdre ton temps pour être témoin de mon déshonneur. C'est ennuyeux, sans talent, stupide».

NICOLAS BLANMONT
Quand Chostakovitch s'encanaille
©D.R.

ENVOYÉ SPÉCIAL À LYON

J e vais régulièrement aux répétitions de mon opérette. Je meurs de honte. Si tu voulais assister à la première, je te conseille de changer d'avis. Ce n'est pas la peine de perdre ton temps pour être témoin de mon déshonneur. C'est ennuyeux, sans talent, stupide». Ce sombre constat autocritique dressé par Dimitri Chostakovitch en 1958, quelques jours avant la création de «Moskva Tcheremuchki» fut finalement revu par le compositeur, surtout lorsqu'il vit le film tiré de son opérette par Gerbert Rapaport: un film qui allait devenir une sorte de «Grande vadrouille» dans l'Union soviétique. Il n'empêche: «Moscou, quartier des cerises» est tombé dans l'oubli. Bien moins représenté que «Le nez» ou «Lady Macbeth», l'ouvrage semble n'avoir jamais été donné en Belgique, et la création française a eu lieu vendredi à Lyon.

Dialogues en français

Initiateur de cette redécouverte réalisée en coproduction avec l'ORW (le spectacle sera donné début 2007 à Liège), le Belge Serge Dorny, souvent donné par certains comme successeur possible de Bernard Foccroulle à la Monnaie. Pour faciliter la compréhension, l'oeuvre est représentée pour moitié en russe (les chansons et choeurs) et pour moitié en français (les dialogues parlés). On découvre une musique d'un abord bien plus aisé que celui de certaines des symphonies de Chostakovitch, consonante et éminemment dansante. La partition est sans réelle surprise, triviale même parfois. Mais, sans avoir la légèreté des opérettes viennoises ou l'abattage des musicals américains, elle est empreinte d'un tel sens aigu de la mélodie qu'on se surprend longtemps après à fredonner les thèmes principaux, d'autant que le compositeur les réutilise plusieurs fois. Et il y a aussi ce génie de l'orchestration qu'on connaît à Chostakovitch, notamment dans l'emploi des cuivres comme allitérations.

Leçon d'histoire

Pour les moins de trente ans, les tribulations de ces familles relogées bon gré mal gré dans une barre de béton flambant neuve, obligées de composer avec la bureaucratie, l'incompétence et la corruption pour entrer dans leur appartement, peut paraître farfelue, mais telle était vraiment la réalité soviétique: une des vertus de cette oeuvre plaisante est donc aussi qu'elle est une vraie leçon d'histoire. Jusque et y compris dans la fin politiquement correcte pour l'époque, condition indispensable sans doute à l'acceptation de cette satire par la censure de l'époque: le fonctionnaire corrompu qui voulait annexer un appartement voisin du sien parce que sa maîtresse exigeait un quatre pièces plutôt qu'un deux pièces sera démis de ses fonctions, et la camarade constructrice pourra vivre son amour avec le camarade chauffeur.

Deschiens

Pour la mise en scène, Dorny a fait appel à Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff, couple de théâtre et de télévision (les Deschiens!) mais aussi d'opéra, puisqu'on apprécia récemment leur «Enlèvement au sérail» aixois. Ils ordonnent avec verve et intelligence cette saga aux personnages multiples, campant l'action dans une URSS kroutchevienne plus vraie que nature avec gardienne de musée modèle éducatrice sadique, maquette de spoutnik, toile constructiviste et couleurs sixties. La plupart des chanteurs sont russes, mais parlent presque tous avec assez d'aisance le français pour donner du rythme aux dialogues. Dans la fosse, Alexander Lazarev dirige avec élégance et entrain l'Orchestre et les choeurs de l'Opéra de Lyon, excellents eux aussi.

Lyon, Opéra, jusqu'au 2 janvier. www.opera-lyon.com

© La Libre Belgique 2004

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