Ils font un si beau couple...
Deuxième des trois nouvelles productions en France du «Couronnement de Poppée» de Monteverdi - après celle de René Jacobs et John McVicar au Théâtre des Champs Elysées, avant celle d'Ivor Bolton et David Alden à l'Opéra Garnier - celle proposée en ce moment à l'opéra de Lyon déborde de qualités, liées au type de distribution, à l'intense investissement théâtral et aux audaces de la direction musicale.
- Publié le 24-01-2005 à 00h00
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Deuxième des trois nouvelles productions en France du «Couronnement de Poppée» de Monteverdi - après celle de René Jacobs et John McVicar au Théâtre des Champs Elysées, avant celle d'Ivor Bolton et David Alden à l'Opéra Garnier - celle proposée en ce moment à l'opéra de Lyon déborde de qualités, liées au type de distribution, à l'intense investissement théâtral et aux audaces de la direction musicale.
Façon «Jardin des Voix»
Aucune vedette (contrairement au casting mirobolant des Champs Elysées) mais un groupe de jeunes chanteurs internationaux, sélectionnés durant des mois par William Christie et l'équipe lyonnaise et se présentant à la première avec neuf semaines de répétitions derrière eux... On y retrouve certains anciens (si l'on peut dire) du Jardin des Voix de Christie et tous attestent d'une appartenance à l'école de «Bill», où l'affect surgit comme par miracle d'une technique totalement sous contrôle et d'une esthétique de la simplicité. Rien, dans cette manière, ne vient encombrer ni distraire le flux entre l'écriture (ici de Monteverdi) et l'expression des chanteurs et le résultat est miraculeux. Si l'on y ajoute le choix d'un vrai (et fort beau) ténor pour le rôle de Néron, le cadeau de la plus belle, la plus sensuelle, la plus talentueuse des Poppée, et la prodigieuse direction d'acteur de Sobel, on comprend aussi pourquoi on est amené, de façon irrépressible, à aimer ce couple réputé monstrueux. Rarement on a mieux compris à quel point le livret de Busenello protège les amants, de bout en bout, faisant de Néron une sorte de Titus clément lorsqu'il laisse à Othon la vie sauve, lui offre l'exil (fait historique) et lui permet d'emmener avec lui Drusilla sa complice, et, pour ce qui est de la «pauvre Octavie», mettant en évidence que, somme toute, il n'était pas, de sa part, très joli non plus d'avoir commandé à Othon le meurtre de Poppée... Même dans les passages comiques - lorsque, Valetto se charge de tourner Sénèque en bourrique, et on ne parle pas de la berceuse d'Arnalta: qui pourrait ne pas aimer Poppée après pareil chant d'amour? - tout converge à rendre Néron et Poppée les plus attachants des amants. Sans passé et sans lendemain, glorieux de leur pure passion, libres et beaux sous un ciel enfin dégagé (du lourd décor), ouvert et lumineux...
Coupole céleste
Une des rares réserves sur cette production touche en effet à une disparité flagrante entre les intentions perceptibles des maîtres d'oeuvre - en double (et paradoxale) référence au monde des sphères, d'une part, et à la naissance de l'individu, de l'autre - et la lourdeur, au sens propre, du décor (Lucio Fanti). Autant l'idée de jouer sur une déclinaison, genre papier peint, d'étoiles et de constellations peut se justifier, autant les mouvements d'expansion ou de rétrécissement de la coupole (céleste) de formes enchevêtrées ont un formidable pouvoir d'évocation cosm(ogon)ique, autant on peut regretter que le choix du matériau - d'épaisses planches en MDF - et des couleurs - mates et ternes - crée un environnement opaque et encombrant que ne sauve pas tout à fait le jeu habile des lumières (AJ Weissbard)...
Une autre réserve touche à la conduite résolument univoque de l'affaire, vidant progressivement l'opéra de sa part salutaire de doute, le piège étant alors de mener une justification de la passion tout aussi moralisante que ce qu'on croit dénoncer par ailleurs. Ce qui, de la part de Sobel, serait un comble...
Seize musiciens en tout, un parti de dépouillement esthétique, le recours à des timbres très caractérisés, la confrontation régulière au silence: par ses choix, Christie réalise un environnement à la fois raffiné et puissant, dont à certains moments la parcimonie sonore renforce encore les aspects âpres, parfois violents, du discours musical (totalement alternatif par rapport aux continuos symphoniques de Jacobs).
Quant aux voix, que dire encore? Toutes belles, justes, bien conduites, avec des mentions particulières pour Danièle De Niese (Poppée), Marc Molomot (Arnalta), Tim Mead (Othon), Joao Fernandez (Sénèque) et Judith Van Wanroij (Drusilla), sans doute la plus belle voix, mais aussi la plus mûre, d'un cast dont la moyenne d'âge ne dépasse pas 25 ans!
Question: ce bel esprit soutenu par l'actuel directeur de Lyon, notre compatriote Serge Dorny, cet esprit «de troupe» hérité du théâtre, dont Peter Brook, pour ne citer que lui, a aussi donné de magnifiques exemples, pourra-t-il se maintenir dans l'opéra de demain, en termes de temps, de moyens et... d'ego?
«Le couronnement de Poppée» de Monteverdi, jusqu'au 30 janvier à l'Opéra de Lyon. Tél.: 0033.4.72.00.45.45
Webhttp://www.opera-lyon.com
© La Libre Belgique 2005