Adamo, mot par mot
Moins de trois ans après "Zanzibar", Adamo sort "La part de l'ange". Une collection de chansons poétiques qui, au détour des rimes, sentent bon le Sud. C'est "en toute modestie", une de ses expressions favorites, que le Belgo-sicilien vient présenter 14 nouvelles chansons.
Publié le 01-01-2007 à 00h00
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ENTRETIEN
Quarante-deux ans de carrière et une image de monument national. Deux faits objectifs que peu de chanteurs peuvent revendiquer. Pourtant, Salvatore Adamo s'excuserait presque d'être encore là. C'est "en toute modestie", une de ses expressions favorites, que le Belgo-sicilien vient présenter 14 nouvelles chansons. Il y parle évidemment beaucoup d'amour et de rêves, ses deux sources d'inspiration essentielles. La nostalgie est également présente, normal à 63 ans, tout comme, en toile de fond, ses racines latines. Mais il fait aussi sourire quand il se lance dans un duo amusant avec Olivia Ruiz.
Loin d'être un vieux chanteur qui fait juste partie des meubles, Adamo prouve tout simplement avec "La part de l'ange" qu'il fait toujours partie des grands auteurs-compositeurs francophones.
Pour en discuter avec lui, nous avons choisi de nous parler de ses meilleurs amis, les mots. Ceux qu'il choisit minutieusement et agence parfaitement dans des textes qui ne peuvent laisser insensible quiconque se sent une âme de poète.
Le premier mot est "Ange", comme dans "La part de l'ange", le titre de votre album. Vous pensez avoir un ange gardien ?
Je touche du bois parce qu'avec tout ce qui m'est déjà arrivé, je commence à le croire. Je suis passé au travers d'événements qui auraient pu m'être fatals dès mon enfance, comme une méningite à l'âge de sept ans. En 1984, j'ai eu un infarctus et, vingt ans plus tard, une hémorragie cérébrale. Je me souviens aussi d'un accident : je sortais de chez Brel et je rentrais à Jemappes. L'autoroute Bruxelles-Mons n'existait pas encore et je prenais l'ancienne route où il y avait des rails de tram. Je double une voiture et je vois une roue qui me double. Première réaction : je rigole. Jusqu'à ce que je réalise que c'était ma propre roue. Devant moi, un camion. J'essaye de braquer pour me rabattre sur la droite et je me rends compte que le disque du frein est encastré dans le rail. J'ai fermé les yeux en attendant le choc et, miracle, le rail tournait. Je me suis retrouvé dans une rue perpendiculaire dans un état que vous pouvez imaginer. Je suis sorti de la voiture et, je vous le jure, quelqu'un est venu me demander un autographe.
Second mot : calculette, dans la chanson "Au café du temps perdu".
J'ai hésité pendant très longtemps à l'utiliser parce que c'est un mot prosaïque et que je n'arrivais pas à bien le prononcer. Finalement, je n'ai rien trouvé d'autre pour le remplacer. Mais j'ai la nostalgie d'une époque où on calculait moins. Les choses étaient réalisées avec plus de spontanéité et sans se soucier des conséquences commerciales qu'elles pourraient avoir. On peut toutefois faire semblant de continuer à y croire. Je suis un peu de ce genre-là. Il est trop tard, on ne me changera plus.
On essaye encore ?
Mon entourage essaye de me donner plus de contenance et de confiance en moi. Peut-être que cette timidité naturelle vient du fait d'être immigré, d'avoir vécu pendant quelques années en sachant que je n'étais pas chez moi. C'est ancré en moi. Dans la cité de baraquements où nous vivions, il y avait un Algérien, qui s'appelait Barak en plus, qui était le seul à parler français autour de nous. C'est lui qui m'aidait à faire mes devoirs et, un jour, je l'ai vu menotté et embarqué parce qu'il n'avait pas eu son permis de séjour. Ce sont des images qui marquent.
Il y a beaucoup d'allusions à la mer dans vos textes. Vous avez la nostalgie de votre île natale ?
J'ai lu un bouquin de Bufflino, un auteur sicilien, né à Comiso comme moi, qui s'appelle "Etre ou être à nouveau". Il m'a fait comprendre la nature du Sicilien qui est coupé de tout parce que sur une île, et qui garde une certaine méfiance de ce qu'on lui apporte depuis le continent. Mais, en même temps, il veut découvrir le monde et cela n'est possible que par la mer.
Vous retournez souvent en Sicile ?
Depuis une quinzaine d'années, j'y vais au moins une fois par an. J'avais boudé mon pays depuis la disparition de mon père. J'y suis retourné grâce à un concours qu'avait organisé la revue "Story" et dont le premier prix était un voyage en Sicile avec, en toute modestie, moi. Avec trente touristes, j'ai gravi les pentes de l'Etna, j'ai revisité Taormina et je me suis rendu compte de ma stupidité d'avoir boudé mon pays pour quelques personnes qui n'avaient pas été très élégantes. Quand j'y suis, il y a dans l'air quelque chose qui évoque une appartenance.
Un autre mot : Olivia, comme Olivia Ruiz. C'est un bon choix de duo au vu de son succès actuel...
Avant qu'elle n'éclate vraiment, elle m'avait promis de faire quelque chose avec moi et j'apprécie qu'elle ait tenu parole, malgré son succès. Au départ, on devait faire un duo sérieux, sur "Le féminin sacré", mais j'ai insisté pour qu'on aille plutôt dans l'humour et elle m'a fait un numéro à la Arletty, avec une de ces gouailles... (Rires) "Ce George(s)" vient, au départ, d'une dame qui est venue me voir après un spectacle et qui m'a dit "Ma maison est tapissée de vos photos". J'ai vu la tête de son mari s'allonger... (Rires) Je voulais en faire une chanson mais je ne savais pas comment. L'idée m'est venue en me rappelant que mon épouse est fan du feuilleton "Urgences". J'ai alors extrapolé en jouant le mari jaloux de Georges Clooney.
Un dernier mot : poète. Pour le soin apporté à vos textes.
Je reste un puriste qui remet cent fois sur le métier son ouvrage. Avant que j'accepte qu'une chanson soit terminée, c'est un terrible travail sur moi-même. C'est vrai que je suis resté très sensible à la poésie : dans un texte, l'utopie est autorisée, on peut se laisser aller à rêver à des mondes qui seraient plus parfaits. J'espère juste que je n'en abuse pas.
Album "La part de l'ange" (Universal).