Dylan, le retour du cow-boy

Depuis tant d'années, tant de lustres, que Bob Dylan fascine, enchante ou déçoit, tour à tour ou à la fois, son public est toujours bien là. De tout âge mais les tempes quand même de plus en plus argentées, remontant jusqu'aux parcelles chauves où ne repousseront plus les cheveux tombés depuis Woodstock, au fil des soucis générés par la civilisation "bobu", bourgeoise bureaucratique.

Eric de Bellefroid
Dylan, le retour du cow-boy
©D.R.

Depuis tant d'années, tant de lustres, que Bob Dylan fascine, enchante ou déçoit, tour à tour ou à la fois, son public est toujours bien là. De tout âge mais les tempes quand même de plus en plus argentées, remontant jusqu'aux parcelles chauves où ne repousseront plus les cheveux tombés depuis Woodstock, au fil des soucis générés par la civilisation "bobu", bourgeoise bureaucratique.

Le cow-boy descend de la montagne en habit noir, liseré d'argent, et chapeau blanc. Les santiags avec lesquelles il va scander sa musique une heure et demie durant, seul indice visible de son être vivant. Hors évidemment sa voix lancinante, grêle et déchirée, lacérée, martyrisée, les cordes engluées de goudron, avec ces râles magnifiques affleurant du fond des tripes.

Bob n'est pas la piètre et fausse réplique d'un Dylan comme tombé des étoiles; c'est le vrai, là, face à nous. On a la chance de le capter, un soir, à Bruxelles. Escale entre mille d'un "never ending tour" - tournée sans fin - entamée il y a cent cinquante ans, pour cent cinquante autres années au moins.

Parfum ambiant

No smoking. On ne fume plus dans l'enceinte acoustique de Forest-National. Mais le parfum très sûr des herbes potagères exotiques a tôt fait de monter à la tête de ceux mêmes qui ne pratiqueraient que le tabagisme passif. C'est alors qu'on saisit pleinement combien ce concert du poète de Duluth, Minnesota, sera "sup-herbe". A tout le moins, d'aucuns l'aimeront. D'autres en coulisses regretteront que, de ses vingt-cinq plus francs succès, il n'en ait pas même joué cinq. Les nostalgiques peut-être, à juste titre certes, des "I want you", "Mr Tambourine man", "Lay lady lay" ou "Knockin'on heaven's door".

Bob Dylan ne peut pas chaque soir nous rejouer toute sa vie. L'homme, sinon en son jardin secret, ne cultive pas l'éperdue nostalgie de son passé. Et il lui faut donc faire l'impasse sur la fine fleur de quelques-uns de ses albums, "John Wesley Harding", "Time out of Mind" ou même, selon nous, "Blood on the tracks", le génial "raté" de 1975. D'autant que le disciple de Dylan Thomas et Woody Guthrie, né le 24 mai 1941, sonnera bientôt la cloche de ses 66 ans. Respect, de grâce, pour les anciens.

Quand s'annonce l'orchestre au point de la nuit sur l'intro du dernier opus dylanien, "Modern Times", modèle musical de précision et de netteté, aux accents jazz assez prononcés, juste un peu monocorde à la rigueur, c'est l'Amérique des grandes rivières, des cascades, des ballades et des cavalcades qui déferle sur la salle à flots perdus, dans un feu endiablé de blues et de rock.

Le saint et son mystère

On n'aura plus le temps de bâiller. Car l'expérience nous enseigne que les apparitions de Dylan sont toujours furtives. Entre les quelques plages qu'il nous sert patiemment de son dernier album, "Spirit on the Water" ou "Nettie Moore", l'artiste ayant alors troqué la guitare pour les synthés, il nous rabat les vents d'Ouest de quelques grands classiques électriques, "Stuck inside of Mobile with the Memphis Blues again", ou le canonique "Like a rolling stone", frisson toujours garanti depuis quarante ans, riffs entêtés tempérés tantôt de quelque douce et triste "Ballad of a thin Man".

Impassible, impavide, le saint reste le saint; et son mystère intact avec lui. Jusqu'au rappel ultime de "All along the Watchtower". Jusqu'au bout, envers et toujours, on attendra de lui un message. Celui qu'il s'est continûment défendu de nous avoir délivré au temps de la guerre du Vietnam et de toutes les dérives impérialistes. Cela restera à jamais l'amertume enchantée de ses fiers, fidèles et inconditionnels partisans. Qui attendent désespérément un mot d'amour de ce père ô combien ingrat mais attachant.

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