Le camion de Cecilia
Elle enregistre peu d'intégrales d'opéra, n'apparaît que pour une ou deux productions par an sur les scènes lyriques, mais Cecilia Bartoli n'en reste pas moins une des chanteuses les plus demandées. C'est que, depuis 1999, tous les deux ans, elle sort des disques marquants, témoignages précieux d'une musicologie appliquée sortant joyeusement des sentiers battus.
Publié le 13-09-2007 à 00h00
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Elle enregistre peu d'intégrales d'opéra, n'apparaît que pour une ou deux productions par an sur les scènes lyriques, mais Cecilia Bartoli n'en reste pas moins une des chanteuses les plus demandées. C'est que, depuis 1999, tous les deux ans, elle sort des disques marquants, témoignages précieux d'une musicologie appliquée sortant joyeusement des sentiers battus. Après les airs d'opéras oubliés de Vivaldi (600 000 exemplaires vendus) suivis de ceux de Salieri, de Gluck ou de l'évocation de l'oratorio romain substitut d'un opéra interdit, voici donc... "Maria".
À Laeken
Callas ? Nullement, même si l'on peut se demander si la coïncidence est totalement fortuite. Maria, c'est la Malibran, chanteuse mythique du début du XIXe siècle : fille du célèbre ténor et pédagogue Manuel Garcia, soeur de Pauline Viardot, Maria Malibran (du nom de son éphémère premier mari) fut tout à la fois une extraordinaire chanteuse et une actrice hors pair, mais aussi compositrice, sportive accomplie, femme engagée et indépendante. Née en 1808 - bicentenaire en vue -, elle mourut prématurément à 28 ans des suites d'une chute de cheval, laissant inconsolable son second mari, le violoniste belge Charles de Bériot - elle est d'ailleurs inhumée au cimetière de Laeken. "Le disque s'appelle Aria, parce que ce prénom est finalement ce qui l'identifie le mieux. Elle s'est mariée à Malibran pour échapper à son père envahissant, elle a fait l'essentiel de sa carrière comme Maria Malibran, mais elle est devenue à la fin de sa vie Maria de Bériot, son grand amour. Et ce simple prénom de Maria se comprend dans tous les pays auxquels elle se rattache, de la France à la Belgique en passant par les Etats-Unis, l'Italie, l'Espagne ou l'Angleterre. Enfin, c'est une façon de souligner qu'elle était une femme indépendante : elle n'a pas eu besoin d'Eugène Malibran, c'est lui au contraire qui a vécu à ses crochets après avoir fait faillite."
La suite... sur iTunes
Sur le disque, on trouvera notamment une pièce de la Malibran elle-même, un splendide air de concert de Mendelssohn avec une partie de violon écrite pour Bériot, mais aussi et surtout des extraits d'opéras : Bellini, Halévy (le très méconnu "Clari", qu'elle incarnera sur scène à Zurich l'an prochain) mais aussi Manuel Garcia lui-même ainsi que d'autres compositeurs peu connus aujourd'hui comme Giuseppe Persiano, Giovanni Pacini ou Lauro Rossi. Pour constituer ce menu copieux, Bartoli a, fidèle à ses habitudes, écumé les bibliothèques : "L'idée était de donner un portrait aussi complet que possible de ce qui avait été composé pour elle mais, avec ce que j'avais choisi, j'aurais eu de quoi faire un double, voire un triple disque. Nous avons donc dû couper dans certaines scènes enregistrées et même abandonner certains airs. On les mettra sur iTunes !"
Retour aux sources
Après avoir débuté sa carrière avec Rossini voici deux décennies, Bartoli revient ainsi, après un long détour par le baroque, à la musique romantique du début du XIXe siècle et au bel canto : "La nouveauté pour moi est que je le fais désormais avec des orchestres d'instruments anciens. Cela s'entend dans les instruments, mais aussi dans la voix, car le fait de jouer avec un "la" plus bas (430 Hz au lieu de 440) permet de retrouver la couleur vocale de l'époque, avec je pense plus de souplesse et plus de clarté. La Malibran avait une voix allant du registre de contralto - elle a chanté Arsace ou Tancredi - à celui de soprano, et j'ai voulu montrer toute cette étendue. Plusieurs rôles que nous croyons aujourd'hui réservés aux sopranos étaient chantés à l'époque par des mezzos : la fameuse Pasta (Giuditta Pasta) était aussi une mezzo. On doit énormément à Callas, qui nous a permis de redécouvrir ces opéras oubliés jusqu'aux années 50, mais elle - et celles qui ont suivi, comme la Sutherland ou la Caballé - en ont adapté la couleur vocale."
On redécouvre donc aussi sur le disque de Bartoli une Norma moins déclamatoire dans son "Casta diva", ou des extraits de "I Puritani" (dans la version adaptée par Bellini pour la Malibran) ou de "La sonnambula", dont la bouillante Italienne a d'ailleurs réalisé dans la foulée (sous la direction d'Alessandro de Marchi et avec Juan Diego Florez) un enregistrement qui paraîtra au printemps 2008. "J'avais toujours assimilé Sonnambula à Edita Gruberova, qui le chante magnifiquement. En allant voir la partition, j'ai réalisé que c'était écrit dans le registre central, dans la ligne d'une mezzo-soprano. Même chose pour Norma, qu'on identifie avec Callas qui l'a chanté de façon incomparable : mais Pasta, qui a créé le rôle, a demandé à Bellini de descendre "Casta diva" d'un ton parce que c'était trop aigu pour elle. Il n'est donc pas impossible d'imaginer une Norma plus proche de l'original. Mais en tant qu'"élève d'Harnoncourt", je me sens tenue de retourner à la partition originale, tant pis si cela fait scandale pour certains."
Pour couronner le tout, Cecilia Bartoli a décidé de rassembler en une exposition les souvenirs de Malibran qu'elle collectionne depuis une vingtaine d'années : bijoux, meubles (l'interview se fait autour d'une table ornée d'un tapis brodé par la fameuse cantatrice !), lettres, partitions, gravures, programmes d'époque, coupures de journaux. Un joli corpus qui sillonnera l'Europe cet automne dans un immense camion transformé en musée mobile mêlant passé et présent (écrans plats, éléments interactifs...). Il sera garé du 27 au 30 septembre devant le Palais des Beaux-arts de Bruxelles, lieu où Bartoli reviendra se produire - dans un programme d'airs de la Malibran - le 12 décembre.
CD Decca, en vente dès le 17 septembre.Renseignements : www.mariamalibran.net
© La Libre Belgique 2007