La "Stuarda" ravageuse de Ciofi

Une reine vaincue par la cruauté meurtrière de sa rivale, une martyre entrant dans la mort sans ciller, une soprano maîtrisant une partie vocale d'une difficulté inouïe, un petit bout de femme tenant tête au monde entier : mercredi soir, première liégeoise de "Maria Stuarda" de Gaetano Donizetti, Patrizia Ciofi déclencha un triomphe.

Martine D. Mergeay

Une reine vaincue par la cruauté meurtrière de sa rivale, une martyre entrant dans la mort sans ciller, une soprano maîtrisant une partie vocale d'une difficulté inouïe (par la longueur, par les aigus, par la tension dramatique croissante), un petit bout de femme tenant tête au monde entier : mercredi soir, première liégeoise de "Maria Stuarda" de Gaetano Donizetti, Patrizia Ciofi déclencha un triomphe. C'était une prise de rôle - et de risques, elle-même n'en a mesuré l'ampleur qu'à quelques jours de la première -, l'ovation du public sembla surprendre la chanteuse, heureuse mais passablement groggy.

C'est sans doute la difficulté écrasante du rôle qui retarda le succès de "Maria Stuarda", créée à Milan en 1835, guettée par la censure, déforcée par une Malibran hélas en méforme et oubliée quelques années plus tard pour ne réapparaître qu'en 1967, au Maggio Musicale de Florence. Depuis, l'opéra est devenu emblématique de la renaissance donizettienne, doté de formes visionnaires pour l'époque, avec des ensembles "psychologiques", une intégration nouvelle du théâtre et une économie de moyens annonçant déjà Verdi et le romantisme.

Entièrement confiée à des artistes italiens (et originaires de Bologne, en ce qui concerne les maîtres d'oeuvre), l'actuelle production liégeoise est l'adaptation améliorée d'une version en circulation depuis plusieurs années et naguère suivie à Marseille (sous la direction de Patrick Davin). Décors habiles et épurés - grille de prison à jardin, images en fond de scène évoquant les différentes situations, muraille à cour (Italo Grassi) -, lumières expressives (Daniele Naldi), costumes soignés, inspirés de la fin de la Renaissance, l'impact du visuel est hélas ruiné par l'indigence de la mise en scène : rien à dire des choeurs cachés derrière les grilles (mais dûment costumés), ils s'en tiennent au chant, c'est un avantage; pour le reste, les solistes sont soit livrés à eux-mêmes - Ciofi en tirera parti - soit piégés par des indications affligeantes de banalité. Enfin, douze figurants raides comme des bûches symbolisent par leurs costumes successifs et quelques rares gestes "wilsoniens" un monde invisible et agissant, relayés à l'occasion par des hallebardiers tout aussi gauches.

C'est donc par la musique que le spectacle fait mouche, par le travail des choeurs, désormais confié à Marcel Seminara, Edouard Rasquin devenant chef d'orchestre associé; par le dynamisme (parfois un peu rudimentaire) de l'orchestre placé sous la direction de Luciano Acocella; et surtout, par la qualité des solistes, notant qu'ici, les femmes l'emportent. La mezzo Marianna Pizzolato est une Elisabetta puissante, à la voix ronde, aux aigus lumineux, aux vocalises aisées, portée en plus par un bel aplomb scénique. La Moldave Diana Axentii (la nourrice de Maria), seule non italienne du plateau (rappelons aussi qu'elle fut 5e lauréate du Reine Elisabeth en 2004), offre, grâce à son timbre exceptionnel, un précieux relief aux ensembles, en particulier aux duos avec la reine prisonnière; quant à Patrizia Ciofi, elle fait valoir une voix pas très grande mais idéalement placée, bien projetée, juste et brillante, et dote toute la production de son extraordinaire pouvoir dramatique.

Du côté des hommes, la voix de Danilo Formaggia (Leicester) manquait, le soir de la première, d'éclat et de puissance, mais on notera le style et la justesse du ténor; deux barytons basses complètent cette distribution exigeante : Frederico Sacchi, Talbot sensible et raffiné, et le jeune Mario Cassi, belle présence et moyens prometteurs, dans le rôle du sombre Cecil.


A l'ORW, les 3, 6, 8 mai à 20h et le 11 mai à 15h. 04 221 47 22

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