Entrer dans le monde d’Hugo Wolf

On peut adorer le lied et passer à côté d’Hugo Wolf, tant ce dernier reste en marge du concert, de la discographie, de la "consommation" culturelle, même dans les milieux les plus concernés.

Martine D. Mergeay
Entrer dans le monde d’Hugo Wolf
©D.R.

On peut adorer le lied et passer à côté d’Hugo Wolf, tant ce dernier reste en marge du concert, de la discographie, de la "consommation" culturelle, même dans les milieux les plus concernés. Pourtant, que l’on pénètre dans sa musique et c’est un monde qui s’ouvre, immense, riche, ramifié à l’infini et - c’est peut-être cela qui dérange chez Wolf - toujours imprévisible. Avec une barrière supplémentaire pour les non-germanophones : Wolf n’a jamais composé que sur des vers écrits par les plus grands poètes allemands. Et ces vers, il les a mis en musique syllabe par syllabe, collant, avec la complicité du piano, au contenu sémantique de chaque mot, modulant de l’un à l’autre, changeant sans cesse de tonalité, quitte à abandonner la mélodie, quitte à égarer l’auditeur aux bords de l’atonalité. C’est une des raisons pour lesquelles il tarda à atteindre la France, où, avant les années 1970, il était encore pratiquement inconnu Il n’en est pas moins considéré aujourd’hui comme l’un des trois géants du lied, aux côtés de Schubert et de Schumann.

Né en 1860 - il y a donc 150 ans - à Windischgrätz (dans une enclave allemande actuellement rendue à la Slovénie), Hugo Wolf fut formé à la musique par son père (marchand de peaux, et musicien amateur), ensuite au pensionnat de l’abbaye Saint-Paul du Lavanttal et au Conservatoire de Vienne dont il fut renvoyé en 1877. Il avait eu le temps d’y rencontrer Gustav Mahler et de découvrir la musique de Richard Wagner, révélation capitale ! Il s’en revendiquera tout au long d’une vie partagée entre des moments d’intense création et d’abattement total, voué à la musique nouvelle contre ce "pédant nordique" de Brahms, toujours en quête de reconnaissance mais irascible, instable, et radical. Ce qui ne l’empêcha pas d’être admiré par ses contemporains, considéré comme un grand compositeur et un grand chef.

Le coffret publié chez EMI fournit donc à ceux qui le connaissent le bonheur de replonger dans son œuvre à travers les meilleurs enregistrements du genre, et à ceux qui ne le connaissent pas ou peu de le découvrir. Il faudra pourtant s’accrocher : le "packaging" est spartiate, le livret ne comprend que la liste des titres et des interprètes (classés par CD, quand même), une notice globale, signée Richard Stones, et aucune biographie. Les textes et les traductions (en anglais exclusivement) des lieder figurent sur un CD-rom. Les CD eux-mêmes ne mentionnent que les cycles concernés et les interprètes. C’est donc le livret sur les genoux, un œil sur l’écran de son ordinateur et les oreilles toutes ouvertes que le wolfomane - néophyte ou chevronné - pratiquera son immersion.

EMI eut la chance d’être fondé et dirigé par Walter Legge, époux et mentor d’Elisabeth Schwarzkopf, et de figurer parmi les deux labels (l’autre étant DGG) pour lesquels enregistra Dietrich Fischer-Diskau. Avec ces deux artistes et Gerald Moore, leur génial et très british pianiste commun, tout aurait pu être dit. Ils occupent effectivement une part importante des 8 CD, avec la majorité des Goethe-Lieder : Schwarzkopf évidemment sublime dans les Mignons, Die Spröde ou Die Bekehrte, DFK toujours impressionnant de maîtrise et de naturel, qu’il s’agisse des Goethe ou des Eichendorff-Lieder, ou encore des Lieder nach Michelangelo (à propos desquels Wolf aurait dit qu’un sculpteur ne pouvait être que baryton ).

Mais d’autres surdoués du lied n’ont pas à rougir de la comparaison, en tête desquels le ténor britannique Ian Bostridge et Antonio Pappano (quelle joie qu’EMI leur ait réservé "Ganymed", seule Schwarzkopf le chanta aussi bien ). Dawn Upshaw et Olaf Bär, accompagnés au piano par Helmut Deutsch, donnent de l’"Italienisches Liederbuch" une version soignée mais un peu lisse, alors qu’avec le même Olaf Bär, en compagnie d’Anne-Sophie von Otter, avec Geoffrey Parsons au piano, le Spanisches Liederbuch, les Geistliche Lieder et les Weltliche Lieder ont une force et une vie extraordinaires. Toujours avec Geoffrey Parsons, Thomas Allen - voix ronde et chaude - excelle dans une autre série de Goethe-Lieder (parmi les plus beaux, il est vrai, dont les trois Harfenspieler et l’incomparable Anacreons Grab ).

Notons encore que le dernier CD permet d’entendre fugitivement deux interprètes qui auraient mérité plus de place (mais peut-être était-ce tout ce dont disposait EMI ?) : la soprano Helen Donath, sensuelle et raffinée, accompagnée par son époux Klaus Donath, la mezzo Brigitte Fassbender, au sommet de son art, avec Erik Werba au piano, et la fine Monika Frimmer, soprano, avec Liese Klahn au piano, dans un Lied von Winde sur mesure, conclusion aérienne des 8 CD.

Notons encore que ces enregistrements s’échelonnent entre la fin des années 50 et le milieu des années 90, à l’exception de celui de Bostridge et Pappano, réalisé en 2005. La relève.

EMI Classics : The Anniversary Edition Recommandé : article d’Anne Genette sur www.lamediatheque.be

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