Agnes Obel : un ange passe

Stop. Confondante de douceur et de fluidité, dépouillée sans être terne, la musique d’Agnes Obel, voix cristalline et subtil jeu pianistique, invite à se poser un instant et respirer profondément. All Access, le blog musique de La Libre

Sophie Lebrun
Agnes Obel : un ange passe
©D.R.

Stop. Confondante de douceur et de fluidité, dépouillée sans être terne, la musique d’Agnes Obel, voix cristalline et subtil jeu pianistique, invite à se poser un instant et respirer profondément. Un ange passe ? Le voici : visage à la Liv Ullman, grands yeux bleus, chevelure sagement tressée, perles aux oreilles, pull gris et jean noir, parlant posément, presque à voix basse. Soulagée d’en avoir fini, ce jour-là, avec les interviews pour la radio, qui l’intimident, avoue-t-elle avec un sourire. On pressent que cette apparence fragile abrite une forte personnalité, à tout le moins un esprit déterminé et indépendant.

Peut-être est-ce cela que traduit ce regard fixe, sur le portrait un peu strict qui orne la pochette de son premier opus, côté face. "Parmi les différentes photos qu’on avait, celle-ci me semblait, d’une certaine façon, correspondre à ma musique", réagit la jeune Danoise. Parce que simple, sans artifices, peut-être. Mais aussi, confie-t-elle, parce qu’elle a l’air "un peu seule" sur ce cliché, comme elle l’a été dans le processus de création de cet album : elle a écrit (hormis une reprise de John Cale), composé, arrangé, largement interprété, réalisé et mixé elle-même cet opus intitulé "Philharmonics" - touche d’ironie pour un album privilégiant le dépouillement, mais aussi le mot tout trouvé pour traduire son amour de l’harmonie, dit-elle.

Côté pile, la pochette est ornée d’un hibou grand duc. "Je ne m’explique pas vraiment pourquoi... J’aime cette photo et cet oiseau, beau, immobile. Et je ne voulais surtout pas qu’il n’y ait que moi sur les photos (NdlR : le reste du livret n’est que forêts et lacs), parce que ce n’est pas dans cet esprit que j’ai écrit l’album : j’étais focalisée non pas sur moi-même mais sur les mélodies". Ainsi, si la nature est très présente dans ses textes (de même que la ville, d’ailleurs), c’est parce que la composition, qui prime dans le processus de création d’Agnes Obel, a amené ces images, et non l’inverse, explique-t-elle. Tel ce morceau "Riverside" : "J’ai trouvé qu’il sonnait comme de l’eau, et j’ai donc gardé cette image au moment d’écrire les paroles "

La musique, Agnes Obel baigne dedans depuis son enfance, à Copenhague. "Il y avait plein d’instruments à la maison, mon père, qui fut guitariste, les collectionnait. Ma mère - comme ma grand-mère - jouait du piano tous les jours. Du classique, beaucoup de Bartók. Mes parents aimaient aussi le jazz." Enfant, Agnes apprend le piano, "mais je n’étais pas très disciplinée, classique, dans ma façon de jouer, j’étais surtout intéressée par les mélodies, et j’ai eu la chance d’avoir une prof de piano pas trop stricte, qui me laissait jouer ce que je voulais, improviser et créer mes propres mélodies ". Trouvant dans cet instrument l’outil d’expression idéal. "Spécialement quand on joue avec les silences. Le piano est étonnant quand on le laisse parler très doucement, même quand on n’en joue qu’une seule note "

Après avoir étudié à Roskilde et participé au groupe danois Sohio, Agnes Obel se jette à l’eau, en partant vivre à Berlin. "Une ville tellement mystérieuse, belle, pleine de contrastes, difficile à étiqueter; je ne l’ai jamais ressentie comme une grosse ville, mais comme une multitude de villages. Une ville où j’ai l’impression d’avoir de la place pour m’asseoir et me concentrer." Et, dans un premier temps, un lieu de solitude et d’incertitude, sentiments que traduit le morceau "On Powdered Ground". C’est dans la capitale allemande, dans des studios "maison", qu’elle enregistre "Philharmonics". Finalement, elle le produira et le mixera elle-même. "Ce n’était pas le projet initial, mais il s’est avéré que c’était plus facile, une fois les enregistrements réalisés, que je n’avais pas vraiment besoin d’un producteur." Ce qui ne l’empêche pas de rêver de projets plus collectifs : "Travailler avec une chorale, par exemple, comme celle que j’entends répéter près de chez moi, ce chant pur, sans vibrato. . Ou jouer avec un orchestre philharmonique, pourquoi pas ?

C’est par la bande, en attendant, que la musique d’Agnes Obel est parvenue aux oreilles d’un énorme public. Choisi par Deutsche Telekom pour un spot publicitaire, son titre "Just So" a récemment touché l’Allemagne entière. Le réalisateur danois Thomas Vinterberg ("Festen") a, quant à lui, inclus trois autres morceaux de "Philharmonics" - dans des versions légèrement remaniées - dans la BO de son prochain film "Submarino".

Quelques instruments se joignent ponctuellement au piano, sur l’album : harpe, basse, guitare, orgues. Et surtout violoncelle, également présent sur scène à ses côtés. Lors de ses concerts (ces jours-ci en première partie de I Am Kloot au Royaume-Uni, notamment !), Agnes Obel sera en effet accompagnée de la musicienne (et chanteuse) Anne Ostsee. "Le violoncelle peut sonner presque comme une voix humaine, il respire profondément. C’est un instrument très puissant, émouvant, atmosphérique, très versatile : on peut y jouer des basses, des rythmiques, en jouer comme d’une harpe et donc procurer cette légèreté que le piano n’a pas".

En attendant l’annonce éventuelle d’une date belge, il ne reste qu’à se laisser porter par ces morceaux hors du temps interprétés par une voix d’ange et des doigts de fée.

Agnes Obel, "Philharmonics", Pias (sortie ce 4 octobre).

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