Alt-J, plus qu’un raccourci

Est-ce pour faire montre de singularité? En choisissant Alt-J comme patronyme, les 4 gaillards qui se cachent derrière la nouvelle sensation britannique devaient savoir qu’ils avaient pris un parti. A voir ce jeudi au Pukkel.

Marie-Anne Georges
Alt-J, plus qu’un raccourci

Est-ce pour faire montre de singularité ? En choisissant Alt-J comme patronyme, les quatre gaillards qui se cachent derrière la nouvelle sensation musicale britannique devaient pertinemment savoir qu’ils avaient pris un parti. Alt-J provient tout simplement d’un raccourci clavier qui ne fonctionne que sur Mac, et qui se révèle le symbole d’un triangle. Auparavant, nos quatre garçons de Leeds s’appelaient Films, et étaient régulièrement confondus avec un autre groupe de musique, punk celui-là, d’origine californienne, The Films.

Joe Newman, Gus Unger-Hamilton, Wilym Sainsbury et Thom Green se sont rencontrés à l’université de Leeds (nord de l’Angleterre) en 2007. Gus étudiait la littérature anglaise et les trois autres, les beaux-arts. Ils deviennent amis. Ils aiment la musique et il se fait que chacun joue un instrument. Ils se retrouvent donc logiquement à jouer ensemble dans la chambre d’étudiant de l’un. De fil en aiguille, ils se rendent compte qu’ils empruntent la même route musicale. Assez sinueuse, finalement, et plutôt éloignée de la figure géométrique du fameux triangle. Une musique inclassable - dominée par les incroyables harmonies vocales de Joe Newman - qui évolue librement entre pop, folk, classique, hip hop et dubstep. Rien moins !

Alt-J ne donnant de résultat que sur Mac, l’on s’est dit qu’il pourrait être intéressant de confronter les membres du groupe avec des "opposés". Ce jour-là, on rencontrait le chanteur et guitariste Joe Newman et le claviériste Gus Unger-Hamilton.

Alors, plutôt Mac ou PC ?

Auparavant, nous avions des PC, et maintenant nous avons des Mac. Pendant tout un temps, on s’est un peu sentis comme de nouveaux utilisateurs de Mac, incompétents. Ce qui peut apparaître plutôt embarrassant pour les utilisateurs de Mac qui forment un peu une tribu. Nous sommes des membres de la marge. (rires)

Plutôt digital ou analogique ?

Probablement digital. Je ne comprends pas l’analogique, qui me semble trop compliqué en termes d’enregistrement. J’enregistre toujours soit sur mon IPhone, soit sur GarageBand, soit sur Logic, un autre programme. Mon expérience est essentiellement digitale. Néanmoins, nous sommes un groupe analogique, nous n’utilisons pas d’ordinateurs sur scène, nous n’employons que des instruments.

Pourtant, à l’écoute de votre musique, on a l’impression qu’il y a pas mal de d’ordinateurs…

Quand on joue sur scène, "What you see is what you get". Et "What we play is what you hear". Nous nous en sommes toujours tenus à cela. Il n’y a pas de pistes préenregistrées, pas plus que de sequencers.

Votre musique est-elle plutôt cérébrale ou vient-elle des tripes ?

Certaines personnes perçoivent notre musique comme cérébrale. Si nous jouons quelque chose qui sonne bien et que nous l’aimons tous, nous allons l’utiliser. Dans ce sens, nous jouons avec nos tripes davantage qu’avec notre cerveau. Rien n’est calculé.

Comme nous sommes assez méticuleux, une partie de notre musique vient des tripes, mais une autre du cerveau. Notre musique requiert aussi une partie plus cérébrale. Il y a un mélange des deux.

Un autre binôme que l’on pourrait vous soumettre est celui de Damien Hirst (*) et Rubens. Tous deux ont commis des œuvres onéreuses, pas toujours réalisées de leurs propres mains mais commandées à des assistants…

Je suis plus sensible à Damien Hirst qu’à Rubens. Je trouve tout simplement fantastique des œuvres comme "The Physical Impossibility of Death in the mind of someone living". Je ne suis pas sûr d’aimer tout ce qu’il a fait, mais je ne suis pas en désaccord avec le fait qu’il continue à les produire, encore et encore, comme cela a été le cas des spot paintings. Si des gens sont prêts à payer, pourquoi pas ? Cela ne m’intéresse pas suffisamment pour que je me mette à polémiquer.

Vous avez déclaré avoir conçu des chansons sous hallucinogènes. Quelle expérience en retirez-vous ?

J’ai essayé les hallucinogènes une fois, et j’y suis pratiquement resté. Quand j’étais en première année à l’unif, mon colocataire avait des champignons. J’ai fait du thé, et j’en ai mis trop, tout simplement. Nous avons tous fait une overdose de champignons. C’était la première et la dernière fois que je touchais à des hallucinogènes. Une semaine après avoir pris ces champignons, j’étais remis. Puis quelque chose a déclenché une rechute, et je me suis senti très bizarre, comme je ne m’étais jamais senti auparavant. J’avais perdu le contrôle. Cela m’a gâché l’existence (rires), mais cela a aussi influé sur ma manière d’écrire des chansons. De façon étrange, cette expérience a généré une vision, une connaissance, une confiance dans mes capacités à écrire des chansons, que je n’avais pas avant de prendre des champignons. C’est comme s’ils m’avaient donné l’accès à une partie de mon cerveau qui dormait.

Que pensez-vous du fait que certains disent qu’en musique pop tout a déjà été dit ou fait ?

A mes yeux, c’est une affirmation dangereuse. Il y a dix ou quinze ans, personne n’aurait imaginé certaines choses qui se produisent aujourd’hui.

Vous, particulièrement, brassez de nombreux genres…

C’est toujours un mélange. Vous n’aurez jamais quelque chose de complètement original. Vous aurez toujours quelque chose qui sera une mutation d’autre chose. Et puis, à force de mutations, cela ne sonne plus comme la première version. C’est un processus graduel, mais tout évolue. Où serions-nous, sinon ? L’évolution fait partie de la condition humaine. Les esprits évoluent, les idées, la création. On chante souvent sur les mêmes sujets, les mêmes idées, mais la façon de les exprimer sera naturellement différente de quelqu’un de l’Amérique des années 50 chantant sur l’amour. Tant de choses se sont passées entre-temps que ce sera forcément différent aujourd’hui.


"An Awesome Wave", Infectious Music/Pias. En concert au Pukkelpop, le16/8, scène Castello (*) Peintre contemporain anglais qui exposait à la Tate Modern de Londres en mars dernier


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