Quelque chose en nous de David Bowie...

Le 8 mars 2013, l'Anglais rompait une décennie de silence et sortait "The Next Day". Moins d'un mois plus tard s'ouvrait au Victoria&Albert Museum londonien"David Bowie is..." une exposition exceptionnelle consacrée à l'icône. Nous l'avions visitée à l'époque. Ci-suit ce que nous en avions écrit.

Nicolas Capart

Le 8 mars 2013, l'Anglais rompait une décennie de silence et sortait "The Next Day". Moins d'un mois plus tard s'ouvrait au Victoria&Albert Museum londonien"David Bowie is..." une exposition exceptionnelle consacrée à l'icône. Nous l'avions visitée à l'époque. Ci-suit ce que nous en avions écrit.

Lundi, le ciel était gris au-dessus de la "City". Et de chaque ruelle jaillissaient de glacials vents coulis. Pourtant, nous n'allions pas de suite goûter à la grisaille londonienne. Pour nous cultiver l'esprit, point besoin de mettre le nez dehors aujourd'hui. Nos hôtes ont tout prévu. Arrivés à la gare San Pancras, il suffit donc de bifurquer vers la station du réseau "Underground", de trouver la ligne Piccadilly, d'enjamber "the gap" sans encombre et de faire escale à South Kensington. Trois musées ont jadis élu domicile dans la zone sud-ouest de la capitale et sont accessibles directement depuis le métro via une longue galerie souterraine. Il y a le Musée des Sciences, le Musée d'Histoire naturelle et le réputé Victoria&Albert Museum, destination finale de notre escapade britannique.

Le V&A, ce sont 5 millions de pièces exposées, 3 millions de visiteurs par an, 51000 m² de superficie et 5000 ans d'Histoire retracée à travers 145 galeries. C'est aussi là que Geoffrey Marsh et Victoria Broackes, curateurs de l'événement "David Bowie Is...", ont rassemblés les effets personnels de la star. Timing de rêve tant il s'inscrit dans la foulée d'une sortie, celle de "The Next Day", 26e album studio venu ravir les fans après une décennie sans nouvelle. Un retour à la mesure de son instigateur, orchestré avec distinction, classe et discrétion. Et une rétrospective sans précédent pour consacrer la grandeur d'un rockeur en apesanteur.

Bowie, un truc de vieux? Nous nous posons la question en marchant entre les bustes et les dorures de la collection "Treasures of Royal Courts", dont les trésors marbrés de la dynastie Tudor, des Stuarts et des tsars de Russie ornent le hall du musée. Quand on a 16 ans en 2013, mélomane ou pas, on connaît les hits qui passent en boucle à la radio, mais est-on au fait de l'œuvre du génial David? Rien n'est moins sûr. Pour autant, le come-back du dandy britishdécadent lui aura permis de se rappeler au bon souvenir de jeunes générations qui, sans le savoir, consomme du Bowie via la mode ou la musique d'aujourd'hui. Ils sont d'ailleurs nombreux, en file indienne derrière leurs professeurs, à se presser au portillon de l'exposition.

Nos yeux s'émerveillent dès l'instant où ils se posent sur l'improbable costume d'Aladdin Sane – créé par Yamamoto pour la tournée de '73 – installé dans l'entrée. Des paillettes, des circonvolutions et des pattes monstrueusement bouffantes devenues l'emblème de "David Bowie Is...", tant elles séduisent les pupilles et ont été si souvent reproduites sur papier glacé. Ce n'est d'ailleurs pas le seul habit de lumière qui illumine les lieux. Plus tard, nous croiserons l'Impossibly silly bunny costume(déguisement de lapin destiné au théâtre kabuki) signé du même créateur, le fameux "Union Jack" aux couleurs nationales d'Alexander McQueen, le mystérieux Gaston Starman alias Ziggy Stardust et ses collants psyché-lycra dignes du Gym Tonic de Véronique&Davina (ci-dessous), ou encore l'intriguant Thin White Duke et sa gomina. Les vrais joyaux de l'expo...

On reprend la chronologie de David Robert Jones. Son enfance à Brixton, ses premières amours jazz, son saxophone et cette bagarre pour une fille dans la cour de récré avec George Underwood. Un camarade de classe qui lui abîme gravement l’œil gauche à 14 ans et lui laisse la pupille dilatée en permanence, donnant à tort l'impression qu'il a les yeux vairons. Si l'on se réjouissait de voir ici nombre d'étudiants s'abreuver de Bowie, la promiscuité commence à peser. C'est un des bémols de l'événement: les allées n'y sont pas très larges et les visiteurs légion. Du coup, la partie audio, diffusée dans les écouteurs du visiteur en fonction de sa position dans l'espace, devient ardue à suivre. Nous traversons les sixties, le Swinging London et l'adolescence du héros, des Konrads (au line-up duquel on retrouve ce même Underwood) aux King Bees. Soudain, nos écoutilles se figent sur "Space Oddity" et nos yeux sur le 1er cliché de la Terre vue de la Lune, pris par les astronautes d'Apollo 8 à Noël 1969. Un morceau utilisé par la BBC durant la retransmission des images de l'alunissage d'Apollo 11 et qui fut la première chanson de Bowie inspirée par l'espace. Deux ans plus tard, "Life on Mars" poursuivra l'odyssée de cet extra-terrestre étriqué sur la planète bleue. "Planet Earth is blue and there's nothing i can do."

Nous poursuivons notre visite au fil des seventies, des plans de scène dessinés et des ébauches de texte griffonné. Il y a là ce telefax d'Elvis datant de '76, où le King félicite Bowie pour la tournée "Station to Station". Plus loin, ce portrait d'Iggy Pop peint par lui, témoin de l'amitié de l'iguane et du caméléon lors de l'exil en Allemagne du second. On trouve même les clefs de l'appartement où ils vécurent ensemble. C'est là que Bowie façonnera sa trilogie berlinoise ("Low" et "Heroes" en 1977, "Lodger" en '79), dont le koto (instrument japonais) et le synthétiseur offert par Brian Eno sont d'autres vestiges.

Enfin, tout autour de nous, il y a ces portraits. David bébé qui fait la grimace à 10 mois fait sourire. Les autres clichés, eux, impressionnent. Bowie, plus féminin que jamais sur la pochette de "Hunky Dory", inspirée d'un cliché de Marlene Dietrich. Bowie grimé d'un éclair rouge pour celle de "Aladdin Sane", inspirée par l'avant-garde du mime et photographié par Brian Duffy. Bowie cowboy fantomatique et chien, shooté par Terry O'Neill pour l'album "Diamond Dogs", ou enfin Bowie l'Égyptien, en sphinx sous l'objectif de Brian Ward. Un artiste au mille visages et costumes, pas près d'être à court de facettes à nous faire découvrir.

Atomes crochus

Si le premier choc de l'expo demeure visuel, au fil d'albums photos, de docu vidéos et de la garde-robe sans fond du bien nommé caméléon, on en apprend aussi beaucoup sur Bowie au travers de correspondances, de lettres et d'anecdotes retranscrites de sa plume ou de celles de ses proches. Progressivement se dessinent un réseau plus dense encore que les méandres supposés de l'imagination de Bowie. Un labyrinthe d'influences et d'inspirations, où soudain l'artiste devient disciple plutôt que pygmalion. Placardé juste avant la sortie de l'expo, le "Periodic Table of Bowie"de Paul Robertson tente de cartographier ces inter-dépendances entre le chanteur et ses héros ou pairs spirituels. Calquée sur le modèle chimique du tableau périodique des éléments de Dimitri Mendeleiev, l'œuvre présente chaque personne ayant croisé la route de Bowie ou influencé son travail au moyen de quelques lettres. À sa lecture, tout s'imbrique.

Ainsi, dans les quatre coins du tableau, on trouve les éléments Wi pour Oscar Wilde, Wa pour Andy Warhol, Bq pour Jean-Michel Basquiat et Ipour Iman (Mohamed Abdulmajid). Le premier, l'un des plus importants, jamais rencontré par Bowie mais forcément sur lui l'un des plus influents, ne serait-ce que par son empreinte sur toute la culture et la littérature anglaise. Le second marqua lui aussi de son aura les trajectoires empruntées par Bowie, fit l'objet d'une de ses chansons et fut d'ailleurs incarné par lui dans le film consacré au troisième par Julian Schnabel. Enfin, la dernière, mannequin, actrice et femme d'affaires d'origine somalienne, est depuis 1992 celle qui partage sa vie et depuis août 2000 la maman de sa fille Lexi.

Au détour du papier quadrillé, on retrouve en pagaille d'autres noms croisés sur les murs de l'expo et qui forme la complexe nébuleuse Bowie. Ya pour le styliste japonais Kansai Yamamoto, qui lui insuffla son goût pour le pays du soleil levant et l'esthétique du théâtre kabuki. Br pour le dramaturge et metteur en scène allemand Bertolt Brecht, dont le Baal bouleversa l'enfant de l'après-guerre que fut (et l'artiste qu'est toujours) David Bowie. Or et Du, pour les plumes respectives de l'écrivain anglais Georges Orwell et de l'homme de lettres français – puis américain – Marcel Duchamp, dont le roman "1984" de l'un et l'œuvre surréaliste de l'autre (ainsi que sa manière de se mettre lui-même en scène) ont nourri durablement les envies de Bowie.

Ku et La, pour les réalisateurs Stanley Kubrick et Fritz Lang, "L'odyssée de l'espace" du premier et "Metropolis" du second. Vi comme (Tony) Visconti, du nom de son ami américain, ponctuel musicien et producteur fétiche, dont plus de dix disques de Bowie portent la signature, le petit dernier compris. Ou encore Tz comme Tzara, génial poète roumain et fondateur du mouvement Dada; Tw comme Twiggy, top model posant sur la pochette de l'album "Pin Ups"; et Ga comme Lady Gaga, dont l'influence sur le maître demeure à prouver mais qui, à n'en pas douter, perpétue la légende Bowie de ses tenues déstructurées. Elle semble en tous cas en mesure de passer aux kids le relai.

Mise à jour

Si elle a d'abord très logiquement élu domicile au Victoria&Albert Museum londonien en 2013 (où elle fut arpentée par plus de 300 000 curieux), l'exposition consacrée David Bowie est aujourd'hui – et jusqu'au 13 mars 2016 – visible au Musée de Groningue aux Pays-Bas. Dans l'intervalle, elle est passée par le Canada, le Brésil, l'Allemagne, les Etats-Unis, la France et l'Australie, attirant au total plus d'un million de spectateurs. "David Bowie is..." bifurquera ensuite vers le Japon au printemps 2017, et sans doute plus, car il y aura affinités.

Pourtant, à en croire Victoria Broackes, curatrice de l'événement avec Geoffrey Marsh, qui l'expliquait il y a peu à nos confrères de Ouest-France, les débuts ne furent pas des plus engageants : "Quand nous avons monté l’exposition au Victoria and Albert Museum, un seul autre musée était intéressé pour l’accueillir ensuite, ce qui était une déception. Beaucoup de musées n’étaient pas disposés à prendre de risques (...) Personne n’était sûr qu’un musée pouvait monter une exposition qui associe la musique et l’art d’une manière satisfaisante. Et notamment pour les passionnés du sujet. Ce n’est pas une exposition normale." Une exposition anormale donc, pour un personnage hors-norme. CQFD.


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