Habib Koité : jamais si bien que chez Soô
Cela fait plus de vingt-cinq ans que le chanteur Habib Koité promène avec succès sa belle voix claire et chaude, sa guitare virtuose, ses textes humanistes, et ce doux mélange, très mélodique, de traditions musicales maliennes.
Publié le 07-03-2014 à 00h00 - Mis à jour le 10-03-2014 à 11h24
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Cela fait plus de vingt-cinq ans que le chanteur Habib Koité promène avec succès sa belle voix claire et chaude, sa guitare virtuose, ses textes humanistes, et ce doux mélange, très mélodique, de traditions musicales maliennes. Il tourne dans son pays, mais aussi autour du monde, en Europe et aux Etats-Unis en particulier, où il séjourne régulièrement. "Je n’ai pas vu le temps passer", confie cet artiste qui n’a cessé de multiplier - plus encore ces dernières années - les projets musicaux en tous genres, parfois liés au théâtre ou au cinéma. "Je suis comme un morceau de bois qu’on jette dans le fleuve : je pars, je flotte, je passe par des courants forts, d’autres moins rapides, mais j’avance toujours."
Pour avancer, il faut parfois quitter sa zone de confort. C’est ce que fait Habib Koité en s’entourant, sur son nouvel album "Soô", d’un nouveau groupe essentiellement constitué de jeunes musiciens.
"On est né avec la crise du disque"
Pour avancer, il faut aussi savoir se retourner, quand les eaux stagnent. On songe à la crise de l’industrie du disque : comment touche-t-elle cet artiste - produit par le label Contre-Jour ? En Afrique, l’artiste malien n’a pas fort ressenti l’impact de cette crise: "simplement parce qu’on est nés avec la crise; chez nous, on vend peu de CD, tout le monde pirate depuis longtemps (avec les cassettes d’abord)." Autre chose est l’Europe, où s’écoule l’essentiel de ses albums. "Les ventes ont chuté de 50 %, en ce qui me concerne, ces dernières années. Les tournées aussi ont diminué de moitié." "Mais d’autres événements m’ont sauvé, enchaîne l’artiste : de nouveaux projets, des collaborations avec d’autres artistes."
Le collectif hollando-africain "Five Great Guitars" par exemple, axé jazz-rock. "Acoustic Africa", aussi, qui a vu Habib Koité tourner - sur plusieurs continents - avec le Sud-Africain Vusi Mahlasela et l’Ivoirienne Dobet Gnahoré, puis avec le Zimbabwéen Olivier Mtukudzi et le Malien Afel Bocoum. Et puis le duo "Brothers in Bamakao" ("une véritable osmose") avec le guitariste américain Eric Bibb : un croisement blues/musiques mandingues qui emballa le Gaume Jazz en 2012. Autant de ponts jetés vers d’autres cultures et d’autres musiques. De ceux qui demandent "beaucoup de gymnastique, sont le gage de riches moments de créativité, d’échanges", s’enthousiasme Habib Koité. Plus tôt, il y avait encore eu le projet multi-ethnique "Desert Blues", avec Tartit, groupe de femmes touaregs, et Afel Bocoum. Il fit l’objet d’un film éponyme (Michel Jaffrennou, 2006), et ensuite d’un opéra "Kirina" conviant des chœurs d’enfants.
La musique comme valeur d’échange
Tout en "avançant", Habib Koité ne perd pas de vue son propre projet, la preuve par le très bel album "Soô" et sa tournée qui fait arrêt à Auderghem ce 12 mars et à Liège (Café Le Parc) le 26 mars.
Il n’oublie pas non plus ses racines, que du contraire. "Soô" (prononcez "Sô") signifie "chez soi", "à la maison". A sa façon, dans les diverses langues du pays - textes traduits en français dans le livret -, il narre le bonheur de vivre au Mali, à Bamako, dans son quartier, auprès de sa famille. S’il ne cache pas son attachement à une ville telle Los Angeles dans la chanson "L.A.", le globe-trotter n’a jamais été tenté de vivre ailleurs qu’au Mali, dit-il, alors que tant de jeunes Africains sont tentés de s’exiler. "Le truc positif, c’est que ceux-ci voient que, alors que j’étais la veille à San Francisco ou à Paris, je suis content d’être là, dans mon quartier, en short, assis dans la rue sur la voiture en attendant que cesse la coupure d’électricité. Et que je suis toujours le même. Je leur explique que la musique qui me fait voyager en Europe et aux Etats-Unis, pays de leurs rêves, est celle qu’ils connaissent, celle du Mali. Qu’elle a donc une valeur, et qu’ils devraient s’y intéresser davantage." Pas demain la veille, faut-il le dire, qu’Habib Koité se mettra à la pop formatée occidentale. "Echanger une chèvre contre une chèvre n’a aucun intérêt."
Hommage aux grands musiciens
La culture musicale mandingue, le chanteur lui rend hommage dans "Téréré" ("Le son des instruments à cordes" chanté en khassonké), chanson dans laquelle le rejoignent Toumani Diabate et Bassekou Kouyate, virtuoses de la kora et du n’goni. "Soô" aborde encore les thèmes du mariage arrangé, de la peur de l’engagement amoureux, ou de la mort d’un enfant due à une circoncision mal pratiquée.
Mais c’est l’importance de l’entraide, l’union entre voisins qu’il y chante le plus. A l’échelle d’un quartier… ou d’un pays ("Drapeau", en dogon). "Le Mali a vécu des moments forts ces trois dernières années . Les islamistes sont venus au Nord pour imposer la charia; au Sud les hommes politiques se faisaient la guerre, avec pour résultat un coup d’Etat… Maintenant qu’on a un président démocratiquement élu, une assemblée, un gouvernement en place, on peut dire ouf. Les problèmes ne sont pas tous résolus bien sûr (le développement, l’éducation, la corruption…), mais nous avons les outils pour y travailler." Habib Koité a, écrit-il dans son album, "l’espoir que le Mali redevienne comme avant". Par exemple ? Que reviennent les touristes, et les partenaires de travail européens et américains. Et que redémarre le Festival du Désert, à Essakane, à 115 km de Tombouctou : "un formidable moment de rencontre, où se déplacent des gens venus de loin".
Le foot comme lien social
A propos de gros événement, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, "Balon Tan" ("Football", en bambara), en duo avec le rappeur Master Soumi, n’a pas de rapport avec la Coupe du monde 2014. La chanson loue "les liens sociaux, la convivialité que tissent, dans un quartier, les parties de foot entre enfants. Cela crée des amitiés et des souvenirs forts. Beaucoup de jeux auxquels je jouais, enfant, avec les copains, ont disparu, à cause de la télé. Reste le foot."
Habib Koité, "Soô", un CD Contre-Jour.