La nouvelle Philharmonie,"Beaubourg de la musique"
Le 14 janvier, sera inauguré l’énorme vaisseau amiral de la musique à Paris. L’œuvre de Jean Nouvel, 400 millions d’euros, a suscité de nombreuses polémiques. Visite en avant-première. Elle révolutionne la salle de concert et joue l’ouverture à tous les publics.
- Publié le 25-12-2014 à 12h51
- Mis à jour le 26-12-2014 à 18h34
Le 14 janvier, sera inauguré l’énorme vaisseau amiral de la musique à Paris. L’œuvre de Jean Nouvel, 400 millions d’euros, a suscité de nombreuses polémiques. Visite en avant-première. Elle révolutionne la salle de concert et joue l’ouverture à tous les publics.
La Philharmonie de Paris est un projet pharaonique, très ambitieux comme la France a le courage d’en faire, lancé en 2006. Il aboutit enfin et le 14 janvier elle sera inaugurée par François Hollande, la maire de Paris et tout le gratin culturel et de la musique, à commencer par Pierre Boulez qui y fêtera ses 90 ans.
Ce sera l’aboutissement d’un chantier gigantesque qui a connu bien des vicissitudes (lire ci-contre).
Quand nous l’avons visité, à la veille de Noël, à vingt jours seulement de l’ouverture, ce n’était encore que marteaux-piqueurs et ouvriers affairés 24h/24.
Il était encore difficile de se faire une opinion précise et impossible de juger de l’acoustique qu’on annonce exceptionnelle de la grande salle de concert. Mais déjà, parcourir ce bateau en partance est une expérience très forte.
Paris manquait d’une grande salle de concert de musique classique. On avait décidé en 2006, non sans hésitation, de la placer dans le parc de La Villette, à côté de la Porte de Pantin et du périphérique, juste à côté de la Cité de la musique de l’architecte Christian de Portzamparc qu’elle viendrait compléter. Les deux fusionnent ce 1er janvier, sous le nom de « Philharmonie de Paris », avec Laurent Bayle à sa tête.
C’est Laurent Bayle d’ailleurs, qui nous guide en avant-première.
L’emplacement choisi est ,en soi, un défi passionnant. Au lieu de construire la Philharmonie au cœur de Paris, elle est décentrée vers la banlieue Nord en voie de gentryfication, signe de sa volonté d’ouverture à tous les publics. « Toutes les études ont montré, explique Laurent Bayle, que la musique classique est l’art dont le public vieillit le plus, contrairement au théâtre ou la danse. Un des enjeux essentiels est donc de trouver de nouveaux publics et d’aller vers eux. »
Vu de la Porte de Patin, le bâtiment de Jean Nouvel est comme un grand mur gris, décoré de vols d’oiseaux. Il se dresse derrière la Cité de la musique et sa surface est faite d’une frise de 340000 oiseaux stylisés et imbriqués (comme ceux de Braque) en aluminium de sept formes différentes en quatre teintes de gris. Des oiseaux symbolisant la légèreté de la musique. Autour de la grande salle, une sorte de treillis en inox, appelé par Jean Nouvel, « le tourbillon ».
Vu du parc de la Villette, la Philharmonie apparaît tout autrement, comme une colline émergeant du sol, faite de « plaques » superposées sur lesquelles, les promeneurs peuvent monter par un chemin en zig-zag (un sentier GR de Grande randonnée y passera !) pour arriver au sommet à 37 m au-dessus du sol (hauteur maximale tolérée à Paris) d’où un observatoire permet offre à 700 personnes, une vue magnifique sur Paris.
Sur ce sommet, est posé un « signal » vertical, appelé la « main » sur lequel on projettera au laser les activités de la Philharmonie et qui est visible depuis le périphérique.
Salle innovante
Ce « Centre Pompidou du son » annonce 270 représentations musicales par an, dont 70 de musiques actuelles (jazz, musiques du monde, pop émergente). L’essentiel restant le classique (baroque et contemporain inclus).
Le cœur du bâtiment est sa grande salle de concert. Quand on y entre, on est frappé à la fois par sa taille et pourtant son intimité. Laurent Bayle estime que Jean Nouvel a inventé avec l’acousticien néo-zélandais Harold Marshall, un nouveau standard pour une salle philharmonique. « Le modèle classique, dit-il, était celui de la « boîte à chaussures », un parallélépipède et une scène frontale. Ces salles symphoniques ont eu leur heure de gloire avec la bourgeoisie du XIXe siècle. Mais elles ne répondent plus aux exigences ergonomiques et acoustiques actuelles dès qu’une salle dépasse une certaine taille. Si on veut que les spectateurs ait de la place et qu’aucun ne soit trop loin des musiciens, l’architecte Hans Scharoun a inventé dans les années 50 à Berlin, la salle ovoïde dite en « coteaux de vignobles » (la forme des balcons successifs). Avec les musiciens au centre et les spectateurs tout autour. Un modèle enveloppant. Si dans la « boîte à chaussures » pour une salle de 2400 places comme la nôtre, le spectateur le plus éloigné de l’orchestre est à 47 m de distance, avec le modèle en « vignobles », la distance est ramenée à 40 m. La salle de Jean Nouvel ramène cette distance à 32 m seulement, grâce à ses balcons détachés des murs, comme suspendus dans l’air. Ce qui non seulement rapproche les auditeurs des musiciens mais aussi, permet au son de venir également par l’arrière, enveloppant totalement chaque auditeur. »
Couverte de bois d’érable, avec ses grands éléments acoustiques comme des nuages, la salle a fière allure. Reste à tester en vrai, ses qualités acoustiques.
La salle est aussi modulable. Pour la musique amplifiée (jazz et musiques du monde par exemple), on peut faire rentrer les gradins du parterre, rendre la salle frontale et porter la contenance à 3500 personnes.
Priorité à l’éducatif
Tout autour de la grande salle, il y a trois niveaux d’espaces pour les spectateurs (vestiaires, bars, déambulation), un café au rez-de-chaussée et un restaurant au sommet.
La Philharmonie sera bien davantage. En plus des salles de la Cité de la musique, on a prévu encore sept salles de répétition dont une grande salle de 240 spectateurs aux murs de bois de bouleau sculptés de motifs rappelant les arbres du parc. On y retrouve un espace d’expos temporaires de 840 m2 qui s’ajoute à celui de l’ex-Cité de la musique. En mars, une expo David Bowie, sera suivie d’une autre sur Chagall et et la musique.
La Philharmonie a deux orchestres en résidence (l’Orchestre de Paris et l’Ensemble intercontemporain) et trois orchestres associés (Les Arts Florissants, l’Orchestre de chambre de Paris et l’orchestre national d’Ile-de-France). Elle invitera tous les grands musiciens et orchestres les plus prestigieux (comme à Bozar Music).
Pour Laurent Bayle, la clé du succès sera cependant, l’ambitieux projet éducatif.
Tout un étage de la Philharmonie, un étage aux murs rouges, sur 1800 m2, lui est consacré. Il y aura en permanence des salles et des animateurs pour s’initier ou jouer à toutes les musiques. Qu’on soit novice ou déjà spécialiste, bébé, adulte, troisième âge, qu’on soit handicapé, il y aura toujours des activités possibles et intergénérationnelles pour s’immerger dans la musique. « La pédagogie mise en place est celle du plaisir de se plonger au cœur de la musique. Sans pratique ou connaissance préalable. Sans complexe ». La Philharmonie organisera des week-ends familiaux avec des journées entières consacrées à la musique. On pourra visiter l’expo et mettre son enfant dans un cours de musique, jouer dans un orchestre, participer à une chorale, jouer des percussions, même si on n’a jamais suivi de cours de musique.
« Autant que les grands concerts, c’est ce volet qui sera déterminant si on veut réussir la Philharmonie », conclut Laurent Bayle.
Huit ans de débats
Le projet de Philharmonie fut lancé en 2006 par un concours international d’architecture et un jury comprenant des musiciens et des architectes, qui sélectionna 6 finalistes dont Zaha Hadid, de Portzemparc et Coophimmelb(l)au (ceux du nouveau « musée des confluences » à Lyon). Le jury choisit le projet de Jean Nouvel car, explique Laurent Bayle (fils spirituel de Pierre Boulez, l’instigateur de ce projet), « c’était la proposition qui réussissait le mieux à intégrer le contexte difficile du parc de la Villette, l’ouverture aux quartiers périphériques, à mêler la monumentalité et la volonté d’ouverture. Sa salle démarre 10 m au-dessus du sol pour culminer à 37m permettant au public de rentrer sous la salle. L’autre atout étant la qualité promise par la grande salle. »
Le coût initial était de 200 millions d’euros, rappelle-t-il, dont 130 millions pour la bâtiment proprement dit et 70 pour les honoraires divers et les équipements. On est arrivé aujourd’hui à un budget de 400 millions d’euros, un doublement.
Cette très forte hausse en 8,5 ans, a suscité de nombreuses controverses comme l’explosion des coûts au musée des confluences (passé de 61 à 255 millions d’euros). Le record des dépassements étant tenu par Herzog & de Meuron pour la Philharmonie d’Hambourg dont le coût a été multiplié par dix pour atteindre maintenant 860 millions !
En froid avec Nouvel
Le ministère de la Culture et la ville de Paris (l’ex-maire Bertrand Delanoë était un grand partisan du projet) se sont renvoyés la balle pour payer ces surcoûts. Il y a deux ans, ils ont ordonné de « rogner » sur tout pour rester dans les 400 millions à la grande la colère de Jean Nouvel qui semble ne plus défendre vraiment son projet.
Le surcoût est imputé à l’inflation, aux exigences neuves et aux aléas d’un projet « prototype » dit Laurent Bayle. « Notre relation avec Jean Nouvel est effectivement tendue du fait que nous n’avons plus l’autorisation d’accompagner l’architecte dans l’intégralité de ce qu’il aurait souhaité. »
Le débat se pose à nouveau à propos du futur coût de fonctionnement estimé à 33 millions par an, dont, selon la cour des comptes, il faut au minimum, 18 millions de subsides de l‘Etat. Le reste étant couvert par la billetterie et le mécénat. Mais la ville de Paris, échaudée par les économies que lui impose le gouvernement, va ramener sa part de 9 à à 6 millions seulement par an. L’Etat conservant ses 9 millions. Il manquera donc 3 millions par an, mais Laurent Bayle est optimiste, une des pistes étant les économies d’échelle que permettra la fusion de Philharmonie et de la Cité de la musique qui bénéficie déjà, elle, de 22 millions de subsides annuels.
« Philharmonie de Paris », à partir du 14 janvier. A Paris, en Thalys en 1h20 ; 25 trajets par jour.