La Chapelle vise le top mondial
La reine Paola a inauguré ce mardi, l’aile "de Launoit" de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth à Argenteuil. Un superbe bâtiment qui double la surface de la Chapelle et en fait une vraie "Villa Médicis" de la musique, de niveau mondial.
Publié le 27-01-2015 à 18h15 - Mis à jour le 28-01-2015 à 13h33
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La reine Paola a inauguré ce mardi, l’aile "de Launoit" de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth à Argenteuil. Un superbe bâtiment qui double la surface de la Chapelle et en fait une vraie "Villa Médicis" de la musique, de niveau mondial.
Une surface doublée et la perfection acoustique
La Chapelle musicale Reine Elisabeth s’est ouverte il y 75 ans, dans un bâtiment Art Déco de l’architecte Yvan Renchon. Tout le monde la connaît d’abord pour abriter les lauréats du Concours Reine Elisabeth pendant la semaine des finales. Mais la Chapelle est d’abord une institution pédagogique destinée à de jeunes talents de très haut niveau et, ces dernières années, sous la houlette de son président, Bernard de Launoit, elle a pris un tout nouvel essor. Les cours de très haut niveau, le nombre de résidents, tout a pris tant d’extension (lire ci-contre) que la Chapelle était devenue bien trop petite pour ses ambitions.
En 2006 déjà, on a jugé indispensable d’y adjoindre une aile neuve pour multiplier les studios des élèves, les salles de cours, d’enregistrements et de concerts. Rapidement, le choix des architectes s’est porté sur Olivier Bastin (L’Escaut) et Sébastien Cruyt (Synergy). Mais pour arriver au magnifique résultat inauguré ce mardi, le chemin fut long et délicat. Il fallait trouver les 10,5 millions d’euros nécessaires pour une initiative purement privée (lire ci-contre) et, pour les architectes, tenir compte du classement de la Chapelle et du site, et de la splendeur de la forêt d’Argenteuil.
Le résultat respecte parfaitement ce souci de s’intégrer dans un site unique. Et mardi, Bernard de Launoit pouvait fièrement montrer à tous, cette aile qui porte le nom de son père, Jean-Pierre de Launoit, récemment décédé, "ce laboratoire, cette ruche, ce lieu de compagnonnage qui peut donner à l’Europe un nouvel élan vers la musique classique."
Un miroir pixelisé
L’idée des architectes fut de construire une "barre" de 80 mètres de long, déposée derrière la maison ancienne et devant la forêt, une "barre" discrète et poétique. Vue depuis la maison, elle a une double peau de verre le long d’un couloir assez large pour devenir un lieu convivial où y déplacer les pianos. La paroi extérieure, vers le sud, a, sérigraphiés, des pixels noirs qui, pour le symbole, reprennent une partition d’Eugène Ysaye. Ces pixels créent des ombres mouvantes dans ce couloir de convivialité. Vus de loin, ces pixels créent une atmosphère de sous-bois en été. Ou deviennent miroirs, réverbérant l’ancienne Chapelle.
Grâce à cette aile, la Chapelle double sa surface utile, passant de 1850 à 3500 m2. Le nombre de studios de résidents-élèves de haut niveau, passe de 12 à 28 (20 nouveaux studios). On ajoute deux studios de répétitions et d’enregistrement et une grande salle de 200 places dans le prolongement de l’axe central de l’ancienne Chapelle.
Cette salle de concert a le mur du fond vitré offrant une vue sur les frondaisons de la forêt de Soignes. L’autre jour, lors d’un essai, on vit, émerveillés, un cerf passer !
Les prouesses acoustiques
Chaque studio de résidents est sur deux niveaux. Le bas pour les cours particuliers de musique, le haut pour loger. La hauteur permet un meilleur son, comme la particularité d’avoir partout des murs non-parallèles afin d’éviter les réverbérations du son. Même les meubles ont des parois microtrouées pour des raisons d’acoustique et les rideaux doivent amortir les hautes fréquences. L’acousticien, Rémi Raskin, a travaillé avec les architectes pour que jamais le son ne passe d’un studio à l’autre, et pour qu’il puisse être parfait, chaque fois, selon l’instrument joué.
Le travail acoustique est encore plus considérable pour les deux studios d’enregistrement qui sont des "boîtes dans la boîte", des caissons isolés du reste sans "ponts acoustiques" (parfois par un mètre d’isolant). La "grande salle" a son plafond et ses murs, couverts de panneaux qu’on peut modifier et moduler pour obtenir le son parfait, ni trop absorbant, ni trop réfléchissant, en fonction des instruments et du degré d’occupation de la salle.
L’architecture exploite la dénivelée du sol à l’arrière pour créer dans l’étage inférieur, un grand foyer convivial pour les artistes (jusqu’à 80 étudiants) et le public, avec une large cuisine et, au plafond, une fresque de l’artiste Jean-Luc Moerman exprimant les ondes et les vibrations de la musique.
Le paysage alentours aussi a été soigné, déportant le parking vers un sous-bois discret.
Le succès du projet est d’avoir réussi ce grand agrandissement sans rien perdre de l’aspect magique, poétique, quasi monastique du lieu. Un lieu d’apprentissage et de concentration, dédié à la musique.
Formation et insertion au plus haut niveau
Dans sa beauté, ses performances technologiques et son "humanité", le complexe inauguré mardi s’inscrit dans le droit fil des objectifs de la Chapelle Musicale, telle qu’elle fut pensée par la Reine Elisabeth en 1937, au lendemain du premier Concours International Eugène Ysaÿe (devenu "Reine Elisabeth" en 1951), et inaugurée en 1939. C’est en effet devant le niveau écrasant des candidats russes - "entraînés" dans une villa de rêve louée à la mer par les autorités soviétiques… - que la Reine eut l’idée de créer, à l’intention des jeunes virtuoses belges, une structure pédagogique d’exception, avec le soutien de la famille de Launoit (propriétaire des lieux mis à la disposition du projet). En 2004, Bernard de Launoit, petit-fils du fondateur, lança une profonde réforme de l’institution, renforçant son caractère international, personnalisant son enseignement, faisant passer le nombre d’étudiants de 12 à 24, et se dotant d’un corps professoral prestigieux. En 10 ans, plusieurs formules magiques opérèrent, notamment celle du "compagnonnage" associé à de multiples manifestations, concerts, participations à des productions lyriques ou discographiques, bref tout cet apprentissage aux côtés des "maîtres" sans lequel un musicien, si doué soit-il, ne peut pas développer son métier.
Aujourd’hui, la Chapelle - qui au départ ne s’adressait qu’aux violonistes et aux pianistes - a élargi son domaine au chant, à la musique de chambre, au violoncelle et à l’alto. Six disciplines en tout menées par six grands noms de la musique classique : Augustin Dumay, Maria João Pires, José van Dam, le Quatuor Artemis, Gary Hoffman et Miguel da Silva. Elle accueille chaque année une soixantaine de jeunes talents (de 22 nationalités en 2014-2015). Enfin, la Chapelle se profile comme un producteur à part entière : outre l’enseignement, base de tout le processus, et la résidence, en soi, un apport pédagogique inestimable, 200 concerts impliquant des étudiants sont produits ou coproduits annuellement par la Chapelle. Plus les CD, désormais enregistrés sur place !
Beaucoup de créativité pour le financement
Sponsors. Initiative privée, la Chapelle musicale est constituée de deux structures : une Fondation qui gère l’artistique et une société anonyme à finalité sociale qui gère l’immobilier. Pour cette aile nouvelle, il fallait trouver 10,5 millions d’euros et un million pour l’achat des nombreux pianos. Soulignons que les architectes et l’entrepreneur (CFE) sont restés dans les budgets et les délais ! La nouvelle Chapelle se finance entièrement sur fonds propres. Elle a bénéficié d’apports divers : participations au capital, emprunts obligataires, dons divers, subventions. Les dons privés se montent à 3,75 millions, la Loterie et la Banque Nationale ont apporté un demi-million, la province du Brabant wallon a apporté un million dans le capital, etc.
Aujourd’hui, annonce Bernard de Launoit, 90 % du budget est financé ou promis. Mais il annonce déjà de futurs projets : la rénovation de l’ancien bâtiment et l’achat de terrains aux alentours. Même si rien n’est encore officiel et reste largement confidentiel, d’autres initiatives seront prises pour faire vivre encore davantage le lieu et trouver de nouveaux mécènes, comme la création en septembre d’un "Cercle Chapelle Reine Elisabeth" lancé avec l’appui d’André Van Hecke, le directeur du Cercle de Wallonie à Namur. Mais ce cercle d’affaires devrait dans ce cas, avoir une couleur évidemment musicale.
Le financement annuel de cette "Villa Médicis de la musique" est de 2,5 millions d’euros par an dont 20 % seulement viennent de subsides publics, le reste venant de partenaires privés et de recettes propres. La Chapelle Musicale est un cas exemplaire de mécénat privé à but hautement culturel.