Bartoli, fantastique dans Gluck
La star du chant au naturel dans une bouleversante "Iphigénie en Tauride". Critique.
- Publié le 23-08-2015 à 18h28
- Mis à jour le 24-08-2015 à 14h01
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Chaque été, un des points forts du festival de Salzbourg est désormais l’opéra chanté par Cecilia Bartoli. Chanté, mais aussi voulu et conçu par la grande star du chant puisqu’elle est depuis quatre ans directrice artistique du petit festival satellite de Pentecôte où ses spectacles sont donnés deux fois avant de revenir pour de plus longues séries estivales.
Et ses prestations font à nouveau l’événement cette fois : au même niveau que sa fabuleuse "Norma" de 2013 (reprise également cet été) et d’ailleurs avec les mêmes metteurs en scène (le tandem franco-belge Patrice Caurier et Moshe Leiser), elle incarne cette fois la bouleversante Iphigénie en Tauride de Gluck.
Gluck réformiste
Bartoli avait déjà enregistré un disque Gluck en 2001, mais il s’agissait alors du Gluck de jeunesse, chanté en italien et tablant encore sur la virtuosité. Ici, l’exercice est tout autre : "Iphigénie en Tauride" (Paris, 1779), c’est le Gluck en français (une langue que l’Italienne n’a que rarement pratiquée à la scène) et surtout le Gluck réformiste, soucieux de retourner aux racines du théâtre pur avec un chant sans effets ni redites inutiles, tout au service du texte. Et elle y excelle à nouveau, même si sa diction française pourrait encore gagner en netteté : un timbre somptueux, une intonation sans failles, une expressivité maximale mais sans aucun pathos inutile, et toujours cette capacité de distiller des demi-teintes à une puissance telle qu’elles restent parfaitement audibles pour toute la salle. Le tout dans une allure résolument antistar : chevelure raccourcie et sans charme, visage naturel et sans maquillage, pantalon de training et pulls informes qu’elle cachera d’un manteau noir - le deuil - après avoir appris la mort d’Agamemnon.
Transposition mesurée
C’est que Caurier et Leiser ont choisi de situer l’histoire dans notre XXIe siècle, avec d’un côté des réfugiées hagardes (les prêtresses grecques), abandonnées dans un centre d’asile et vêtues de rebuts façon Marthaler et, de l’autre, des otages (Pylade et Oreste) amenés sans ménagement le visage couvert de sacs et molestés par des barbares dévoyant la religion (les Scythes de Thoas). Hormis quelques bruitages en surimpression de l’ouverture (hélicoptères, bombardements), la transposition s’arrête là : pas d’anachronismes choquants ni de démonstration insistante, juste une façon de faire réfléchir les spectateurs qui le veulent. Le sacrifice - avorté - d’Oreste par sa sœur ne devient pas une de ces infâmes vidéos de djihadistes, mais reste la confrontation hallucinante de deux bêtes de scène : Bartoli, mais aussi l’excellent baryton anglais Christopher Maltman, voix puissante, prononciation française impeccable et présence scénique imposante.
Retour de Villazon
Fort également d’une direction d’acteurs au cordeau (comme dans cette scène où les prêtresses essuient tour à tour le couteau du sacrifice) et avec une seule petite faute de goût (l’apparition au final d’une Diane dorée un peu kitsch), le spectacle est aussi une réussite musicale.
Pour la distribution, avec aussi un Michael Kraus (Thoas) vocalement impeccable même si son jeu est plus histrionique, et un étonnant retour de Rolando Villazon, Pylade au style parfois trop vériste mais entier, passionné et attachant. Mais aussi pour l’orchestre (I Barocchisti) et les formidables chœurs de la radio suisse, dirigés de main de maître par un Diego Fasolis tour à tour suave et mordant.
Festival de Salzbourg, Haus für Mozart, jusqu’au 28 août.
Infos : www.salzburgerfestspiele.at