Ozark Henry, entre terre et mer
Qui connaît la discographie de Piet Goddaer, alias Ozark Henry, aura remarqué qu’elle est parsemée de métaphores - et parfois de sonorités - évoquant la mer. On n’est donc pas étonné d’apprendre que c’est à la côte que ce talentueux auteur-compositeur-interprète pop a passé son enfance et, depuis peu, posé ses bagages. Rencontre.
- Publié le 24-08-2015 à 14h35
- Mis à jour le 06-03-2017 à 13h52
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Qui connaît la discographie de Piet Goddaer, alias Ozark Henry, aura remarqué qu’elle est parsemée de métaphores - et parfois de sonorités - évoquant la mer. On n’est donc pas étonné d’apprendre que c’est à la côte que ce talentueux auteur-compositeur-interprète pop a passé son enfance et, depuis peu, posé ses bagages. À Oostduinkerke-village précisément, dans la commune de Coxyde.
Rendez-vous est donné au restaurant-grill De Mikke, sur l’avenue Leopold II qui file droit vers la mer (à un bon kilomètre). La façade ne paie pas de mine, mais l’endroit est réputé pour ses steaks de bœuf grillés au charbon, servis sur planche, avec des frites. Piet Goddaer arrive à pied, d’un pas posé. Longiligne silhouette vêtue d’un ensemble classe, sobre et léger signé Ann Demeulemeester - et toujours ce petit air de Corto Maltese -, il dénote un peu dans le décor. Il est pourtant ici chez lui. "Je viens ici depuis… (coup d’œil à l’année de création du restaurant)… 1976 ! J’y mange encore chaque semaine. L’endroit n’a pas changé. On connaît tout le monde. C’est très sympa."
Un village, non loin de Londres
L’homme aux multiples disques de platine n’est pas du genre bling-bling et jet-set. Après avoir passé de nombreuses années dans la petite ville de Courtrai, il est revenu s’installer, en 2010, dans la localité où il a vécu de ses 6 à 23 ans. Il y habite avec son épouse et ses deux jeunes enfants. "Oostduinkerke, en gros, c’est d’ici jusqu’à la mer : la Leopoldlaan et les rues qui en partent. C’est très tranquille, tout petit, tout le monde se connaît, c’est un village - bien vivant, même en hiver. Avec certains avantages d’une grande ville : les magasins sont ouverts 7 jours sur 7." Calais n’est qu’à 70 kilomètres et, de là, en une heure de train, Ozark Henry est à Londres ("où se trouve mon éditeur"). "Ce que j’aime aussi, c’est qu’on est tout près de la nature. Entre Oostduinkerke et Coxyde d’un côté, Nieuport de l’autre, on a la chance d’avoir des dunes, qui sont protégées. Oostduinkerke ne peut plus grandir. Le désavantage, c’est qu’à un moment, les prix ont grimpé."
Patrimoine rénové
Lui-même a eu la chance de trouver une maison deux façades abordable qu’il a rénovée, et agrandie côté jardin. Elle est située sur l’avenue Leopold II, tout comme celle de son père, le compositeur et arrangeur Norbert Goddaer. "Je cherchais un endroit particulier, qui ait une histoire, confie-t-il. Cette maison a été construite par le peintre Permeke pour sa sœur Hortense. Elle était délabrée quand on l’a visitée, mais on y a senti une sorte d’âme, de paix."
"Le défi , explique Piet Goddaer , est de créer avec les contraintes, de respecter l’existant. De façon générale, j’aime l’idée de faire beaucoup avec peu".
L’ancien living de ladite villa Hortensia - dont nous ne verrons que la jolie façade en briques vernissées - abrite son studio. Avec vue sur une piscine en forme de long couloir. "Je nage un kilomètre de temps en temps. Cela me procure une sorte d’euphorie." Pour s’aérer les méninges, cet artiste hypercréatif s’en va aussi courir au bord de la mer. "Je pars contre le vent, j’adore quand il est très fort, cela me motive à aller plus loin : revenir avec le vent dans le dos, c’est magnifique, on a le sentiment d’avoir des ailes. Et le sable qui mord les mollets… Ah, la puissance de la mer ! J’adore cette sensation que la nature est très forte et l’on est tout petit ; cela remet les idées en place."
Pleine campagne
Pour l’heure, c’est vers l’intérieur des terres qu’il nous emmène. Nous voici à Wulpen, charmant village de 520 âmes bordant le canal Nieuport-Dunkerque, à 4 km de la côte. Il est entouré de champs à perte de vue. "À partir d’ici, en vélo, tu rentres dans la campagne à 100 %", sourit l’artiste, qui "trace" volontiers jusqu’à Dixmude, Ypres ou Courtrai - "là où le vent me porte". Lui aussi "petit mais bien vivant", Wulpen est le futur port d’attache privé et professionnel de Piet Goddaer. Il y a acheté une ancienne petite ferme, qu’il s’apprête à rénover. Elle comprend un vaste hangar qui, après avoir abrité poulets et tracteurs, est promis à une nouvelle affectation : studio d’enregistrement.
Lieux de mémoire
En revenant vers la mer, dans les paisibles ruelles d’Oostduinkerke, Piet Goddaer hésite. "Par là, il y a le Musée de la pêche, bien conçu sur le plan éducatif." Ici, les enfants peuvent caresser les poissons. Là, une section est consacrée aux pêcheurs de crevettes à cheval, patrimoine immatériel de l’Unesco. Dans les allées bordant l’édifice sont exposées des photos de femmes et mères de marins disparus en mer, explique Piet Goddaer. Un thème qui l’a toujours marqué, la preuve par un morceau tel "Dear Grass Widow". Il y a aussi "The Sailor Not The Sea", qui est "une chanson sur la perception, sur l’histoire que chacun peut se créer au départ d’une image , explique-t-il . L’image d’une femme seule regardant la mer évoquera, pour certains, l’idée de vacances, un tableau idyllique. Alors qu’en fait, elle cherche des yeux son homme qui n’est pas revenu, que la mer a englouti."
Pour l’heure, c’est dans l’histoire locale et nationale que nous plonge Piet Goddaer en pénétrant dans le cimetière communal. Il compte de multiples tombes de soldats et/ou villageois tués durant les deux guerres mondiales, dont certains fusillés dans les dernières heures de la Seconde Guerre, raconte-t-il. "Comme quoi, une petite communauté aujourd’hui si tranquille, où tout le monde se connaît et se dit bonjour, peut charrier une lourde histoire. Des histoires de dénonciation notamment ; de gens qui ont utilisé le prétexte de la guerre pour régler leurs comptes. Mon père, alors enfant, a été marqué par le climat de méfiance qui a perduré après la guerre." "Quand mes enfants seront grands , poursuit Piet Goddaer, je les emmènerai ici. C’est important qu’ils comprennent ce qu’est la guerre. Qu’ils sachent que c’est le grand-père d’untel ou untel qui est enterré ici."
Dans le secret des dunes
Dernier arrêt : la plage d’Oostduinkerke. "La plus profonde de Belgique." Elle comporte une piscine. "J’adorais y venir, enfant. En septembre surtout, et quand la météo n’était pas bonne : j’étais alors tout seul dans l’eau." Non loin de là, le petit Piet courait aussi explorer les dunes séparant Oostduinkerke de Nieuport. Un "terrain de jeu" d’autant plus magique, à ses yeux, qu’il s’y retrouvait souvent seul - l’accès étant en principe interdit. "Je m’imaginais dans un autre univers , je m’inventais des histoires."
"Plus tard, le film La Planète des Singes m’a marqué, prolonge l’artiste, qui a lui-même composé plusieurs B.O. Il est tourné dans des dunes, rien de plus, mais la musique fait beaucoup, elle crée l’illusion d’un autre monde."
Microclimat
Chargé de souvenirs, Oostduinkerke est un havre de paix pour Piet Goddaer, qui est à l’étranger plusieurs mois par an. "J’ai le sentiment d’être en vacances quand je reviens ici. En plus, la localité bénéficie d’un microclimat !"
En concert (avec quatuor à cordes) à Soignies le 29/8. Et avec l’ONB le 27/11 à la Lotto Arena d’Anvers.
Piet Goddaer, alias Ozark Henry
1970 Naissance à Courtrai.
1996 Premier album "I’m Seeking Something That Has Already Found Me". Dont David Bowie confie être fan.
2001 "Birthmarks", 3e album et premier succès commercial.
2005 Il se produit au défilé du styliste Dries Van Noten à Paris.
2011 Tournée acoustique à quatre mains.
2015 Sur scène et sur le disque Paramount, Ozark Henry revisite son répertoire avec l’Orchestre National de Belgique.
La semaine prochaine : Mika Hell et Charleroi.