Bruel s'offre une soirée différente
Il n'était pas venu souvent dans cette salle, lui, l'abonné à Forest National, qu'il adore. Alors fouler la scène du Cirque Royal, pour un concert comme celui qu'il s'apprête à donner, c'est doublement symbolique, pour Patrick Bruel. Compte-rendu.
- Publié le 26-05-2016 à 06h48
- Mis à jour le 01-04-2019 à 10h29
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Il n'était pas venu souvent dans cette salle, lui, l'abonné à Forest National, qu'il adore. Alors fouler la scène du Cirque Royal, pour un concert comme celui qu'il s'apprête à donner, c'est doublement symbolique, pour Patrick Bruel. Car mardi et mercredi soir, ce n'est pas son répertoire (ou quasi pas) qu'il a interprété, mais celui d'une longue dame brune, dont il est tombé amoureux à l'âge de huit ans. Elle s'appelle Barbara, sa mère en est folle et, par ricochet, le petit garçon qu'il est alors, le devient aussi. Quand il entend "Madame", alors qu'il n'est qu'un môme, les mots de la chanteuse le touchent jusqu'à l'indicible. Et s'il ne comprend pas tout, sans doute, du chagrin et du suicide que raconte ce titre merveilleux, le petit Patrick le fait sien et le chante encore et encore.
Plus de quarante ans plus tard, alors qu'il n'a plus grand chose à prouver, qu'il remplit des salles depuis trois décennies, le chanteur s'est souvenu de cet amour d'enfance, qui ne l'a jamais quitté. Il a puisé au coeur d'un des plus beaux répertoires de la chanson française et a monté un spectacle d'hommage. Bien sûr, il sait que les puristes ne lui passeront pas ces emprunts, qu'une partie de ses fans risque d'être décontenancée, mais tant pis: ce concert-là, il en rêve, il va le donner.
Date après date, salle après salle, il semble qu'il ait eu raison: le public est debout, qui l'ovationne au terme d'un show particulièrement émouvant et bavard, durant lequel l'artiste ne manque pas de raconter la vie de cette artiste qu'il admire. Chemin faisant, c'est aussi la sienne qu'il déroule, et l'on mesure à quel point les souffrances de Barbara font échos aux siennes: absence du père, attachement à l'enfance, aux combats pour la liberté. "Ce n'est qu'après quelques dates, quand l'agencement des chansons a vraiment fait que je racontais une histoire, que j'ai mesuré ça", confie le chanteur, dans sa loge, juste après le concert. Enfin, presque juste après. Car une fois la salle vidée, Bruel est remonté sur scène pour enregistrer... "L'aigle noir". "Je n'y arrivais pas, à froid, le matin, dans un studio parisien", sourit-il. "Ma voix n'était jamais prête, je ne voulais pas me lancer. Mais là, c'était parfait, la voix y était, l'émotion aussi. J'ai fait deux prises, c'était bon". C'est sans doute ça aussi, la magie de l'endroit.
Dans le répertoire de Barbara, donc, il se balade et démarre "Du bout des lèvres" et on l'entend du bout du coeur. Si ce premier titre est relativement fidèle aux phrasé et aux arrangements initiaux, dès le deuxième titre, "Une petite cantate", on comprend que le chanteur a voulu s'éloigner du modèle, trop écrasant peut-être. Et puis, à quoi bon copier? Il n'est pas Barbara et ne prétend pas l'être, affichant d'ailleurs à chaque instant un infini respect pour son modèle. La petite cantate, donc, s'habille de musique des bayous, clarinette en tête, et devient presque festive.
Si les incontournables "L'aigle noir", "Nantes" et "Ma plus belle histoire d'amour" sont au rendez-vous, Bruel a eu l'intelligence de remettre aussi en lumière des titres moins connus, mais ô combien bouleversants, de Barbara. On pense à "Madame", donc, mais aussi à "Drouot", "Mon enfance" - la plus magnifique d'entre toutes - "Attendez que ma joie revienne" ou "Parce que je t'aime". Tour à tour, dans ses interprétations, on voit des mimiques de Brel ("A chaque fois") ou l'on songe à Reggiani ("Drouot"), après tout, on n'est fait de ce qui nous a construit, Bruel comme les autres.
Au milieu de tout ça, le chanteur ajoute un peu de légèreté. "Ce n'est pas très gai", sourit-il entre deux titres. "Ceux qui n'allaient pas bien en arrivant risquent de ne pas aller mieux... Et ceux qui allaient mieux ben..." Dans sa loge, il s'explique: "Je tenais à faire rire un peu, que l'on respire, c'était important, je crois. D'où ma tirade sur les portables". Car, oui, parmi les trucs qu'il a trouvé pour alléger l'atmosphère, il y a ce petit monologue dans lequel il explique pourquoi il déteste qu'on le photographie, qu'on le filme, bref que les lumières des smartphones viennent gâcher celles, si belles, que son magicien a peaufinées. "Je ne vois plus que ça", s'amuse-t-il. "Et dans un coin de ma tête, je me demande ce que la dame au deuxième rang raconte dans les textos qu'elle envoie pendant tout le concert". Message reçu: à l'exception de quelques-uns, vraiment rares, aucun flash ne viendra déranger les moments de grâce.
Après, bien sûr, et même si, hélas!, on n'a pas eu la chance de voir Barbara sur scène, on continuera de préférer l'original à la copie. Mais Bruel a fait ceci de magnifique: il a, sans doute, donné le goût à certains, beaucoup même, de redécouvrir la plus impressionnante, la plus malicieuse, la plus douée des chanteuses françaises. Et rien que pour ça, on lui dit merci. Et on ajoute "Dis, quand reviendras-tu?"
---> En concert ces jeudi 26 et vendredi 27 au Forum de Liège