Miossec : "Je ne pouvais pas arriver avec un truc déprimant"
Le chanteur français, 51 ans, publie "Mammifères", un dixième album émouvant, à l’écriture épurée. Qui évoque, en filigrane, les attentats parisiens de 2015. Sa voix rugueuse y est portée par un chaleureux trio accordéon-violon-guitare avec lequel il a improvisé une volée de concerts dans de petits lieux.
- Publié le 26-05-2016 à 21h34
- Mis à jour le 26-05-2016 à 21h38
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Il y a une vie avant ?/Y a-t-il une vie après ?/Moi, c’est la vie pendant que je veux me taper", chantait Miossec sur l’album "Ici-bas, ici même" en 2014. En 2016, s’ajoute une question : y a-t-il une vie après les attentats ? L’artiste français la pose en filigrane, en des termes universels (ni "Charlie" ni "Paris"), dans "Mammifères" qui paraît ce 27 mai. "Le bonheur quand il s’échappe/Est-ce que c’est pour longtemps ?", s’interroge-t-il sur ce 10e opus. Et plus loin : "C’est quand elle n’est plus là/Qu’on peut la contempler/[…] Sans l’innocence/C’est moins facile à porter." La fin - celle qu’on voit venir, celle qu’on défie ou celle dont on aimerait connaître le scénario - hante des morceaux tels "La nuit est bleue", "Les écailles", "Cascadeur", "Les mouches". "Mammifères" n’est pas pour autant un album sombre. La clé se trouve d’ailleurs sans doute dans le titre d’ouverture "On y va". Et l’écriture, volontairement épurée, est portée par une musique chaleureuse, chatoyante, essentiellement acoustique, métissée. Un tourbillon d’accordéon, violon, mandoline et guitares qui a fait irruption dans la vie de Miossec en mai 2015, quand il a rencontré ces musiciens atypiques dans la foulée d’un hommage à un ami décédé (Rémy Kolpa Kopoul, animateur de Radio Nova). La magie a opéré et - alors que Miossec tournait encore avec le précédent album - la joyeuse bande s’est aussitôt lancée dans une volée de concerts, dans des lieux intimistes et parfois insolites : guinguette, cour d’école, musée, grange… Avant d’enregistrer ce "Mammifères", qui s’apprivoise sans effort.
Ce qui frappe, de prime abord, à l’écoute de l’album, c’est la musique : acoustique, tantôt mélancolique, tantôt un peu bastringue, hybride, avec des influences jazz, klezmer, tango, rock…
On était quatre, et l’idée était de créer un vocabulaire mêlant nos influences respectives. C’est une auberge espagnole. Et en concert c’est le pied à jouer. On est assis, du coup le public pense que cela va être inoffensif, mais ça déménage !
Le choix d’une telle musique a-t-il un rapport avec l’actualité ? Est-ce une façon de conjurer des événements tragiques tels les attentats parisiens de janvier et de novembre 2015, que vous évoquez en filigrane dans certains titres ?
Oui. Cela a bouleversé la donne. On ne peut pas faire comme si de rien n’était. Il y avait presque un devoir d’essayer de faire du bien : vu le contexte, vu l’époque, je ne pouvais pas arriver avec un truc déprimant, ni un chanteur qui se plaint de ses petits problèmes de dos. Je voulais aussi aller jouer dans de petits endroits, à la campagne notamment, créer de petites communions.
Et c’est là que j’ai rencontré ces musiciens, qui avaient les mêmes envies que moi, et, en plus, avaient un parcours intéressant. Mirabelle et Leander venaient de Londres, ils étaient passés par Istanbul, ce sont des gens sans frontière, et ce ne sont pas des gens qui sont dans le circuit de la chanson francophone.
Quelle formation ont-ils à la base, dans quel univers musical évoluent-ils ?
Le guitariste, Leander Lyons (qui est Américain) est plutôt jazz, mais jazz dévoyé. Mirabelle Gilis (violon) a une formation classique, mais elle a été se former à Saint-Pétersbourg, a habité à Istanbul, a travaillé avec des Arméniens, avec des gens du monde entier. Johann Riche vient des Vosges, d’une famille d’accordéonistes de père en fils (NdlR : il emmène le groupe de swing manouche Beltuner et travaille régulièrement pour le théâtre, la poésie, la télé…).
Y a-t-il un "avant" et un "après" attentats dans la manière d’écrire les chansons, que ce soit dans les thèmes ou le vocabulaire ?
Oui. Savoir que des gens sont morts parce qu’ils dessinaient des petits bonhommes sur des feuilles de papier… Pendant le mois qui a suivi les attentats de janvier 2015, je n’arrivais à rien écrire. Après, la question est de savoir de quelle façon on le fait, comment on évite le ridicule et le danger racoleur notamment. Mais pour moi il y avait une obligation de s’y coller, faire quelque chose de ces événements. Chacun bricole à sa façon pour en parler. Ce qui est sûr, c’est que tout un registre de vocabulaire s’est pris une claque. "Une terrasse en plein air" (NdlR : citée dans la chanson "La vie vole"), normalement, c’était une jolie expression, en tout cas une jolie chose, mais là…
… Tout comme le mot "explosions". La chanson "Cascadeur" évoque le destin d’un homme qui a brûlé la vie par les deux bouts ou pris des coups, mais quand vous dites "Il sait qu’il est désormais capable de survivre aux explosions"…
Oui, la chanson évoque notamment ce thème : quand l’explosion arrive, comment y survit-on, comment s’en sort-on - parce que malgré tout on se refait, avec le temps, on continue à vivre. "Après le bonheur" en parle aussi : il y a une sorte de joie qui disparaît pendant un temps.
La chanson "On y va" rappelle un peu "A l’attaque" de l’album précédent.
Si ce n’est que "On y va" visait aussi directement notre bande quand on s’est formé. C’était de l’autopersuasion. Pas mal de gens, quand je disais que je jouais à présent avec un accordéoniste et une violoniste (et que j’allais tourner dans de petits endroits), étaient dubitatifs, voire consternés. Au départ, le tourneur et la boîte de disques (dans laquelle je venais d’arriver, en plus) criaient au fou. Mais ils sont venus aux concerts pour voir à quoi cela ressemblait. Je n’ai pas eu à baratiner pour les convaincre - c’est ce qu’il y a de pire dans ce métier.
Miossec, "Mammifères", un CD Columbia/Sony.
"Oui je t’aime Papa" : tel est le refrain de la chanson "Papa". Déclaration, dans le plus simple appareil verbal, d’un fils à son père - de son vivant, précisons-le. "C’est parti de ce refrain. J’avais besoin de réduire l’écriture au plus simple - et c’est une constante sur ce disque -, mais quand on arrive à des phrases comme ‘oui je t’aime papa’, on se demande quand même : est-ce sérieux ? Et puis, justement, lors de ces petits concerts, à balancer cette phrase, je me suis retrouvé à parler avec beaucoup de gens. C’est drôle, il y a un vrai problème des mecs avec leur père. Et j’entendais tellement de regrets quand le père a disparu…"
Pour la petite histoire , "au départ, le mot ‘Cascadeur’ était pour Johnny Hallyday, dans une autre chanson que celle-ci, mais il n’a pas aimé. Le mot, lui, est resté traîner là" , poursuit celui qui a aussi prêté sa plume à Juliette Gréco, Daran ou encore Stephan Eicher. "C’est un mot qui se prête à pas mal de boulots en fait.Chanteur, c’est un peu cascadeur aussi. En vingt ans de boulot, je connais tellement de gens qui ont dû arrêter de faire de la musique parce qu’ils s’étaient pris des gamelles - et qui ne s’en sont pas bien remis. Quand on voit la rubrique ‘que sont-ils devenus ?’…"
Le mot "Mammifères", qui donne son titre à l’album, apparaît dans la chanson "La vie vole" : "On est des mammifères/On veut de la compagnie/[…] Ainsi la vie vole/A coups de phrases et de belles paroles […]/A coups de baffes et de belles torgnoles." Dans quel sens entend-il ce mot "mammifère" ? "Cela m’a été inspiré par l’expo "Darwin, l’original", c’est plutôt dans le sens scientifique de l’évolution , raconte Miossec . Dans cette évolution, je ne vois pas l’ombre de Dieu, ou d’une croyance, ou de quoi que ce soit en fait - on est des mammifères. Or on est dans une période religieuse. On parle de l’Islam en permanence, mais les catholiques se sont incroyablement durcis en France. Dernièrement, en plus, Marion Maréchal a été invitée dans un évêché du Sud : les barrières sont en train de tomber entre catholicisme français et Front national. On est loin du catholicisme social des années 70" , observe Miossec, dont l’athéisme, dit-il, se voit renforcé par l’actualité. Fait piquant : pour la petite histoire, dans le film "Fleur de Tonnerre" de Stéphanie Pillonca-Kervern (sortie prévue en 2016), Miossec joue le rôle du… curé.