Kraftwerk perd ses droits sur deux secondes de musique
En Allemagne, un jugement rendu mardi relance le débat sur le sampling.
- Publié le 01-06-2016 à 09h44
- Mis à jour le 01-06-2016 à 09h59
:focal(465x240:475x230)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/R5RV5BPTKFDZJF2YFU767IQ22Q.jpg)
C’est la fin d’une longue bataille juridique susceptible de bouleverser le monde de la musique. Mardi, la Cour constitutionnelle allemande a débouté Kraftwerk, pionnier de la musique électronique, qui se battait depuis 1997 pour faire valoir ses droits sur un court extrait sonore (un "sample" ou échantillon) repris sans son accord. Au cœur du différend, deux secondes d’un rythme de percussions puisé dans le titre "Metall auf Metall" et repris en boucle dans "Nur Mir" de la rappeuse allemande Sabrina Sethur.
Ralf Hütter et Florian Schneider-Esleben, membres du légendaire groupe allemand, avaient pourtant obtenu gain de cause en 2012 devant la Cour fédérale. Celle-ci avait estimé que l’utilisation d’une "fraction sonore" d’un morceau original était soumise aux droits d’auteur et d’exploitation. La Cour constitutionnelle l’a désavouée, jugeant que dans certains cas, la liberté artistique prévaut sur les intérêts économiques. Si l’atteinte aux droits est "marginale", indique la juridiction, "alors la liberté artistique prend le pas sur les intérêts du propriétaire du droit d’auteur".
Vide juridique
Même s’il est trop tôt pour l’affirmer, cette décision pourrait faire jurisprudence et avoir d’énormes conséquences dans une discipline, la musique, qui a de plus en plus recours à la technique du "sampling". Ce verdict intervient alors que la réglementation européenne de 2002 sur les droits d’auteur et les droits d’exploitation ne traite pas de la question de l’échantillonnage. Une absence étonnante dans la législation européenne vu l’ancienneté du procédé.
La technique de l’échantillonnage est tout sauf récente. Les premières expérimentations remontent aux années 40-50. Mais c’est au début des années 70 que le "sampling" connaît un premier essor considérable qui n’a fait que croître depuis. Des producteurs de dubs jamaïquains aux musiques électroniques les plus récentes en passant par le hip-hop, l’échantillonnage est devenu l’ADN de nombreux genres musicaux.
Tu ne voleras point
Contrairement à l’Europe, les Etats-Unis ont depuis longtemps adopté une position bien tranchée dans le domaine. Au début des années 90, le juge de la Cour fédérale saisi d’une affaire mettant aux prises la société Grand Upright Music et le géant Warner, a donné le la en commençant son jugement par ces mots : "Tu ne voleras point." Autrement dit, l’échantillonnage est permis à condition qu’il soit expressément autorisé par les titulaires des droits concernés.
Consciente de son retard, l’actuelle Commission européenne présidée par Jean-Claude Juncker a fait de la modernisation des règles concernant les droits d’auteur une priorité. "Tous les secteurs de l’économie et de la société passent à l’ère numérique. Pour ses citoyens et ses affaires, l’Europe doit être à la pointe dans cette révolution. Les obstacles qui se dressent contre le numérique sont autant d’obstacles pour l’emploi, la prospérité et le progrès", indique le programme de l’exécutif européen.
Samplings célèbres
Rapper’s Delight. En 1979, "Rapper’s Delight" du groupe Sugarhill Gang est le premier titre hip-hop à s’inviter dans les charts américains. Il emprunte des échantillons de"Good Times", signé Chic (Nile Rodgers et Bernard Edwards).
Manu Dibango. En 2009, sur son titre "Please Don’t Stop The Music", Rihanna utilise un échantillon de "Wanna Be Startin’ Something" (1982) de Michael Jackson. Cesample, le Roi de la pop l’avait lui-même emprunté au titre "Soul MaKossa" (1972) de l’artiste africain Manu Dibango qui avait traîné ce beau monde devant les tribunaux.