Les chansons douces que chante Keren Ann
"You’re gonna get love" est le 7e album de l’auteur compositrice et interprète française. Rencontre.
- Publié le 01-06-2016 à 09h32
- Mis à jour le 03-06-2016 à 16h46
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Sur la pochette de "101", son précédent album sorti en 2011, Keren Ann arborait une coiffure semblable à celle de l’héroïne de la série "Chapeau melon et bottes de cuir". Depuis, pas mal d’eau a coulé sous les ponts. "You’re gonna get love", son 7e album, la voit évoluer dans un décor sépia de fleurs fanées, papillons et fourmis en sus. Elle ne chasse rien, elle accueille. Beaucoup de douceur émane de cette image. Comme de son opus, d’ailleurs. Excepté "You’re gonna get love", le premier morceau éponyme dont le rythme est soutenu, les dix autres titres de la chanteuse française se déploient dans une ambiance feutrée. Musicalement et, surtout, vocalement. Comme si la jeune mère qu’elle est depuis juillet 2012 avait dû composer sa nouvelle œuvre dans une pièce jouxtant la chambre du bambin alors que celui-ci fait la sieste.
Horaires chamboulés
"Souvent, dans les arrangements, je recherche une enveloppe spécifique. Ici, il se fait que j’ai opté pour un paysage sonore réconfortant" raconte la jeune femme alors qu’on la rencontre à la terrasse d’une brasserie schaerbeekoise par un bel après-midi ensoleillé. Si elle ne considère pas que la douceur extrême avec laquelle elle chante est liée à sa maternité, elle reconnaît l’influence de cette dernière sur ses horaires. "Au tout début, quand ma fille n’avait que quelques semaines, je travaillais pendant ses siestes. Je composais des musiques de film alors que j’étais en train d’allaiter, aussi. Avoir un métier où l’on peut choisir ses plages de travail, Je vois cela comme un privilège" se réjouit, disserte et prolixe, celle que l’on a connue tellement plus réservée.
Longtemps, l’artiste de 42 ans a craint de devoir effectuer une longue pause dans sa carrière artistique après la naissance de sa fille Nico. Comme Ricky Lee Jones ou Kate Bush avant elles. Ce ne fut heureusement pas le cas. Si elle a laissé s’écouler six ans entre ses deux albums, ce n’est pas pour autant qu’elle a chômé. Elle a écrit des musiques pour le cinéma et le théâtre. "Cela m’emmène dans des formats que je n’exploite pas dans la chanson. Un piano-cordes de 20 minutes, par exemple." Mais ce qu’elle préfère, c’est le songwriting, paroles, musique et… réalisation. Elle cite Springsteen, Dylan et Cohen comme références. Depuis 2003, Keren Ann la polyglotte chante en anglais. Une langue qui sied parfaitement au blues teinté de soul de son dernier opus.
Même si elle considère que "l’inspiration est là tout le temps, il faut juste la laisser s’installer", Keren Ann insiste sur le fait que "dans la chanson, il faut être très centré sur soi pour écrire - les mots et la poésie sont des choses très personnelles. Or, on ne peut jamais l’être quand on est parent. On n’a pas ce luxe. Donc, il faut pouvoir dénicher l’un ou l’autre moment pour s’isoler."
Paris-Brooklyn, aller-retour
Après avoir vécu à Manhattan puis à Brooklyn, Keren Ann a décidé de revenir vivre en France. "Je suis attachée à Paris. Je suis européenne dans le sang. J’ai besoin d’avoir près de chez moi mon petit marché où je peux acheter mes produits frais." Qu’elle pouvait, ceci dit, tout aussi bien trouver à Brooklyn, près de Prospect Park où elle résidait. Elle reconnaît que la mentalité américaine - "qui tourne autour du succès, du travail" - ne l’enthousiasmait pas plus que cela.
Depuis 2012, Keren Ann Zeidel est française. Elle est israélienne aussi, par son papa, et néerlandaise, par sa maman - qui réside à Amsterdam; autre raison de revenir en Europe. Elle pourrait obtenir la nationalité américaine (parce que le père de sa fille est américain), mais cela ne l’intéresse pas. "Si on est très patriote, je pense que c’est important de pouvoir voter. Mais cela m’intéresse davantage de voter en France et en Israël."
--> "You’re gonna get love", Keren Ann, Universal / En concert au Théâtre 140, le 10 décembre. www.theatre140.be.
Différentes casquettes
Auteur, compositrice, interprète, mais aussi réalisatrice. Son premier album, "La biographie de Luka Philipsen", Keren Ann le sort en 2000. Elle l’a écrit avec Benjamin Biolay. Dans la foulée, la paire préside au retour d’Henri Salvador grâce au disque "Chambre avec vue" (2001). Comme BB, Keren Ann écrit et réalise pour d’autres - Sylvie Vartan comme Emmanuelle Seigner. "On me demande d’écrire des chansons. En général, j’essaie de les adapter à l’interprète." "Le son, c’est aussi mon univers", commente celle qui se mue alors en productrice. "Dans mon domaine, derrière les femmes - qu’elles soient auteures, compositrices, productrices ou réalisatrices -, on cherche l’homme. Bénédicte Schmitt ne travaille absolument pas dans l’ombre de son mari, Dominique Blanc-Francard; et Edith Fambuena est reconnue pour ses propres talents. C’est un métier artistique, pas du tout technique." Et quand bien même…
La religion, une affaire personnelle
"Where did you go ?" est sans doute le plus émouvant des titres contenus sur cet opus. Keren Ann demande à son père, décédé en 2010, où il s’en est allé. Elle est restée à ses côtés alors que, ce dernier, se sachant condamné, a voulu s’éteindre sur ses terres, en Israël. "Je n’ai pas été élevée dans une doctrine, mais dans le respect des traditions - on fêtait autant Noël que Hanoucca", témoigne celle qui considère que la religion relève du domaine de l’intime. "Je ne suis pas religieuse, mais spirituelle. Cela signifie savoir différencier les valeurs entre le bien et le mal. Mais je ne crois pas au Paradis." Keren Ann considère que l’oppression de la femme dans les religions est un vrai problème. "Dans les années 70, Téhéran était le lieu où les jeunes couples comme mes parents allaient passer un week-end romantique. Ils allaient y écouter du jazz, apprécier les derniers cris de la mode. Tant que les femmes ne pourront pas être dévoilées sans être condamnées, il n’y aura pas d’avancée", tempête-t-elle.