Leonard Cohen sur scène, l’humilité lumineuse
Le poète et chanteur montréalais était la générosité incarnée, l'élégance et le souffle. Souvenirs de concerts-fleuve.
- Publié le 12-11-2016 à 07h41
- Mis à jour le 12-11-2016 à 12h51
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En concert, le poète et chanteur montréalais était la générosité incarnée, l'élégance et le souffle.
"Avec l’aide de Dieu et d’un ou deux policiers, nous serons ici jusqu’à ce que rouille la chaise roulante", lançait le dandy qui ne céda aux sirènes du jeunisme pas plus qu’il renonça jamais aux plaisirs de l’autodérision. C’était en août 2012, place Saint-Pierre, à Gand, lieu d’une escale précédente, et où Leonard Cohen inaugurait la tournée européenne intitulée "Old Ideas", dans le sillage de l’album sorti en janvier de cette année-là.
On ne croise pas tous les jours un vieux monsieur de presque 78 ans à la prestance aussi leste, tenant en haleine quelque 8 000 personnes - toutes générations confondues - pendant près de quatre heures, notions-nous alors, découvrant enfin en scène la voix d’or qui depuis toujours nous consolait dans l’intimité. Voix d’or, de velours de plus en plus râpé, au timbre descendant toujours davantage avec les années. Il est né comme ça et l’affirme, sourire en coin, en concert comme sur disque :
"I was born like this, I had no choice, I was born with the gift of a golden voice."
L’humour était à n’en pas douter un autre de ses dons, avançant de pair avec cette mélancolie souvent citée à son propos. En miroir : quelque chose comme la saudade qui coule dans les veines de la joyeuse samba.
L’élite, gage de respect
Briller sur scène, fût-ce pour un auteur-compositeur-interprète de cette trempe, n’est pas seulement affaire de bagout. Si Leonard Cohen - au-delà de ses chansons côtoyées depuis si longtemps - marqua tant ceux qui auront eu la chance de le voir en live, c’est aussi par la foudroyante sincérité d’un homme qui a le talent de s’entourer. Et pour qui l’élite n’avait assurément rien d’un gros mot : engager les meilleurs - musiciens, choristes, ingénieur du son -, c’était respecter son art autant que son public, leur offrir les meilleures conditions pour un moment d’exception. Tant de netteté et de profondeur sonores, en plein air ou même à Forest National, pas précisément réputé pour l’excellence de son acoustique, sont des cadeaux.
Le prix des places (une centaine d’euros en Belgique, parfois beaucoup plus dans des salles prestigieuses en Europe) de la tournée qui le vit renouer avec la scène, entre 2008 et 2013, après quinze ans d’absence, en a surpris plus d’un. De même que ses raisons de reprendre la route.
Escroqué par une manageuse "indélicate", Leonard Cohen se retrouve près de la ruine en 2004. L’artiste confie alors avoir besoin de "reprendre un travail qui [lui] assure un revenu", rappelle "Le Monde". Et lui permette de rétribuer ses collaborateurs. À Montréal d’abord, où il est une icône, dans le monde ensuite, l’accueil est triomphal. C’est une légende qu’on retrouve, quitte pour ce faire à casser sa tirelire.
Essayer, se tromper, se relever
Une légende très humaine. Un homme qui, sur scène, témoignait d’une humilité bouleversante, d’une générosité vertigineuse, s’inclinant avec respect devant le talent de ses compagnons. Un homme qui avait tout essayé, tout osé, au risque de se tromper, qui avait été trompé, qui s’était relevé, regardant obstinément le rai de lumière que laissent passer les failles du monde.

"C’est le cadeau de départ le plus raffiné ; cette voix, ses vérités répandues à travers les ondes au moment précis où nous en avons le plus besoin" : d'un tweet, l'artiste performeur canadien Stewart Legere salue celui qui laisse derrière lui, avec son élégance de toujours, une œuvre immortelle.
Cohen sur scène : à découvrir ou à se remémorer dans le triple CD enregistré au 02 Arena de Dublin le 12 septembre 2013 : "Live in Dublin".