Ars Musica, taikos battant
Ouverture grandiose au Bozar : Brussels Philharmonic et virtuoses japonais sont dirigés par Peter Rundel.
- Publié le 13-11-2016 à 15h46
- Mis à jour le 13-11-2016 à 17h24
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Ouverture grandiose au Bozar : Brussels Philharmonic et virtuoses japonais sont dirigés par Peter Rundel.
De mémoire de critique, jamais un concert d’ouverture d’Ars Musica n’aura suscité autant d’enthousiasme, de plaisir, de sidération. Et de se dire que quelques décennies après la vague des grands interprètes, c’est au cœur même de la création musicale que le Japon se présente aujourd’hui comme une source d’inspiration et une nouvelle voie de rencontre avec le public.
A tout seigneur tout honneur : puisque le festival 2016 est placé sous le signe du "Sonore levant", la soirée de samedi s’est ouverte avec la tête de file des compositeurs japonais du XXe siècle, Toru Takemitsu (1930-1996), créateur visionnaire, ouvert et cultivé, aussi célèbre pour ses œuvres de musique « pure » que pour sa collaboration avec le réalisateur Akira Kurosawa. Œuvre de saison, « November Steps » (1967) signa à l’époque une bascule chez le compositeur qui, pour la première fois, associa les influences occidentales et japonaises, ici représentées par l’orchestre symphonique (le Brussels Philharmonic, en forme cosmique) et deux solistes japonais jouant des instruments traditionnels (Akiko Kubota, biwa (luth), et Reison Kuroda, shakuhachi (flûte droite en bambou)). De quoi savourer les contrastes et les échanges entre le foisonnement sonore de l’orchestre et l’intimité des passages solistes, balancés entre des sons bruts, physiques - le souffle dans le shakuhachi, ou le bruit du plectre tapant les cordes du biwa - et la pureté lumineuse des sonorités "accomplies".
En seconde partie, on entendra « Ran », la suite pour orchestre d’après la musique du film de Kurosawa, confirmant la place Takemitsu parmi les géants du XXe siècle, popularité en sus.

Le Mont Fuji vu par un Belge
Trois autres compositeurs étaient au programme de la soirée, à commencer par le Belge Frederick Neyrinck, né en 1985, pianiste (un ancien élève de Piet Kuijken !) et compositeur, aujourd’hui établi à Vienne. « Ste. Fuji » pour orchestre symphonique - commande d’Ars Musica, en création mondiale - se révéla une pièce extraordinaire de vitalité, d’énergie, de sûreté d’écriture, logé dans les formes classiques d’un poème symphonique, avec le mont Fuji au centre du jeu, et la virtuosité du Brussels Philharmonic en appui. Ce fut un (premier) moment de pure euphorie, longuement ovationné par le public.
Avec "Secret Forest" - nettement plus feutré…-, le Japonais Dai Fujikura (né en 1977) proposa une expérience sensorielle, spatialisée et sophistiquée, assez amusante à suivre dans son déroulement (une partie des musiciens se trouve dans la salle) mais inutilement ingrate sur le plan strictement musical.
Céleste fracas
Dernier compositeur en lice, le Japonais Maki Ishii (1936-2003) mit le feu à la salle, avec « Mono-Prism » pour sept taiko (tambours japonais) et "orchestre occidental", entendez un énorme effectif symphonique, avec, à l’avant de la scène dix taikos ( trois grands, côté cour, et, côté jardin, six petits, placés au sol, et, à l’angle de la scène, un denier, énorme…), tenus par six solistes internationaux, japonais, chinois et belges.
Impossible de lâcher la scène des yeux un seul instant, ni de se soustraire au flot de puissantes sensations déclenchées par ce Mono-Prism proprement "inouï" (création en Belgique). Et impossible de ne pas percevoir que, portées, ornées, enrobées par les chatoiements de l’orchestre, les sonorités brutes des taikos l’ont finalement emporté en subtilité, se sont échappées de la matière, et, à travers les fracas, ont conduit l’assistance "au point ultime où se fait entendre la musique du ciel". Expérience stupéfiante, saluée debout, par une salle en liesse. Et fruit du travail exceptionnel mené par le Brussels Philharmonic et le chef allemand Peter Rundel.
Ars Musica, 90 concerts et événements, du 12 au 27 novembre. Infos : www.arsmusica.be