Opéra: Bolton et Guth révèlent Jephta

Nicolas Blanmont, envoyé spécial à Amsterdam
Opéra: Bolton et Guth révèlent Jephta
©Printscreen

Créé à Londres le 26 février 1752, "Jephta" est l’ultime oratorio de Haendel. Et donc la dernière grande œuvre d’un compositeur qui, devenu aveugle, allait se contenter d’improviser à l’orgue jusqu’à la fin de sa vie sept ans plus tard. Composé sur un texte biblique, l’ouvrage n’est en principe pas destiné à la scène, même si les Opéras de Strasbourg et Bordeaux avaient déjà tenté l’expérience voici quelques années.

Avec Paris

En coproduction avec l’Opéra de Paris, l’Opéra d’Amsterdam propose une formidable production de cette œuvre rare dont l’histoire rappelle celle de l’ "Idomeneo" de Mozart : envoyé combattre pour la libération du peuple d’Israël, Jephta promet à Yahvé de sacrifier la première personne qu’il rencontrera à son retour victorieux. Et c’est Iphis, sa fille unique, qui l’accueille. La jeune fille se résigne au sacrifice que doit perpétrer son père mais, in extremis, un ange apparaît et avertit de ce que Dieu ne demande pas sa mort, mais seulement qu’elle se consacre à son service en restant vierge.

Claus Guth traite l’action comme un drame véritable, et réussit à donner un sens théâtral à chaque moment de la partition.

La direction d’acteurs est idéale pour conférer à chaque personnage toute la gamme des sentiments qui le déchirent, et le travail sur les chœurs est hallucinant d’intelligence et de précision. Les lettres des premiers mots de l’œuvre ("It must be so", "il doit en être ainsi") reviennent de façon récurrente comme les coups d’un destin impitoyable. D’allégorique, l’histoire devient éminemment crédible, et même le final - avec une Iphis à qui l’on coupe les cheveux et qui sombre dans la folie - questionne fort à propos le texte pour démentir le happy end un peu convenu que suggère la musique. Le tout est d’une grande beauté visuelle, avec des lumières à la Robert Wilson, des tableaux vivants et un usage discret mais efficace de la vidéo.

Formidable Croft

Musicalement, on est aux anges avec les instruments anciens de l’Orchestre baroque de Fribourg dans la fosse et la direction musicale à la fois sensuelle et passionnée du chef anglais Ivor Bolton. La distribution est de tout premier plan, avec en tête d’affiche le formidable Jephta du ténor anglais Richard Croft, l’émouvante Iphis de la soprano allemande Anna Prohaska et l’excellent contreténor Bejun Mehta dans le rôle de Hamor, fiancé un peu effacé d’Iphis. Comme dans d’autres mises en scène récentes de Guth - "Fidelio" à Salzbourg ou "Le couronnement de Poppée" à Vienne - l’orchestre ajoute quelques bruitages façon musique concrète pour accompagner, hors partition, certains déplacements et gestes.

Amsterdam, Nationale Opera, les 15, 17, 20, 24 et 27 novembre; www.dno.nl

Ni ancien ni moderne

Né en 1964 à Francfort, Claus Guth est un des metteurs en scène les plus demandés du monde lyrique, et probablement le plus passionnant. Baroque, classique, romantique ou répertoire contemporain, il a abordé tous les genres, même s’il est assez rare de le voir s’aventurer du côté de la comédie. Son cycle Mozart Da Ponte au Festival de Salzbourg (et notamment d’inoubliables "Noces de Figaro" à la Strindberg avec Nikolaus Harnoncourt), ses Monteverdi au Theater an der Wien ainsi que ses Strauss ou ses Wagner aux quatre coins de l’Europe ont particulièrement marqué les mémoires.

A l’Opéra de Vienne ou au Covent Garden de Londres, à la Scala de Milan ou à l’Opéra de Paris, à Francort ou à Berlin, à Bayreuth ou à Salzbourg - et Glyndebourne l’an prochain - on apprécie sa capacité à renouveler la mise en scène d’opéra sans jamais verser dans les outrances ou les provocations. Formidable directeur d’acteurs, Guth excelle aussi à créer des univers visuels caractéristiques. On rêve qu’il soit enfin invité en Belgique.

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