Saule, dix ans de musique et un rôle au cinéma
- Publié le 18-11-2016 à 19h39
- Mis à jour le 24-11-2016 à 10h41
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Le chanteur belge Baptiste Lalieu, alias Saule, publie un 4e album, ardent, éclectique et sans complexe : "L’éclaircie". Il a fait ses premiers pas comme acteur dans un film, "Une part d’ombre", dont le tournage vient de s’achever.
Lundi 7 novembre 2016. Un appartement ixellois. "Silence s’il vous plaît, on tourne." Un couple. Une dispute - à coup de silences, de regards et de sourires en coin qui en disent autant que les mots. L’objet du conflit : David, un grand ami, a été interrogé par la police dans le cadre d’un meurtre. Face à Myriem Akheddiou dans le rôle de Cathy, Baptiste Lalieu campe un Noël un peu bonhomme, fuyant le conflit. L’artiste belge, surtout connu comme chanteur sous le nom de Saule, effectue là ses premiers pas au cinéma. "Une part d’ombre" est le premier long métrage de fiction de Samuel Tilman; les deux premiers rôles sont tenus par Fabrizio Rongione et Natacha Régnier.
On est là dans les derniers jours de tournage. L’agenda de Saule est serré : il s’apprête à publier son quatrième album, "L’éclaircie" (lire ci-contre), qui marque dix ans de carrière musicale.
Entre deux prises, l’auteur-compositeur-interprète-acteur se livre sur cette double actualité et ses récents projets.
Si ce rôle dans un film est une première, on imagine qu’il constitue une sorte de retour aux sources pour vous, qui avez une formation de comédien à la base.
J’ai fait le conservatoire de théâtre de Bruxelles, il y a très longtemps (après un an à l’Ihecs). J’ai joué dans deux ou trois pièces et j’en ai écrit deux - du café-théâtre, pour la Toison d’Or. Mais très vite, je me suis impliqué dans la musique. Ce qui est marrant, c’est que j’étais avec Fabrizio Rongione, au conservatoire, et c’est le meilleur ami de Samuel Tilman. Samuel est venu me trouver - nos enfants sont dans la même école - pour me parler du rôle de Noël dans son film. Il m’a dit : "J’ai fait plusieurs essais avec d’autres acteurs, et c’est vraiment à toi que je pense pour ce rôle." Jouer dans ce film est une chouette expérience. Cela dit, je me sens toujours un peu illégitime, même si j’ai fait le conservatoire - où il n’y avait quasiment pas d’approche cinéma.
En quoi l’approche vous semble-t-elle différente ?
Le jeu est plus "retenu", plus naturel au cinéma. On "projette" beaucoup moins, c’est rare qu’il y ait des éclats de voix. Là, on est dans une scène de dispute, et on joue quelque chose de très petit en fait. C’est même étrange parce que dans la vie, moi, j’ai tendance à plus éclater. Ici, c’est une autre palette. C’est donc très intéressant. Mon personnage fuit le conflit, et est très peu démonstratif - à cet égard il est très différent de moi. C’est aussi quelqu’un qui essaie de désamorcer, par l’humour, les moments dramatiques - ça, c’est quelque chose dans lequel je me retrouve.
Puisqu’on parle de cinéma : quel est votre film culte ?
"Arizona Dream" d’Emir Kusturica. Il a un truc dingue, ce film. La scène où ils sont à table et où une tortue n’arrête pas de passer d’un côté à l’autre; Johnny Depp, bien allumé, qui se fait draguer par cette vieille dame, sorte de Leonard De Vinci au féminin, qui rêve de voler; l’oncle, qui refait pour la énième fois cette scène où il est poursuivi par un avion, qui veut absolument devenir acteur… Il y a une poésie dans l’humour et dans le côté grotesque exacerbé que peut avoir la vie. Les personnages de Kusturica sont hauts en couleur, généreux. Très entiers en fait.
En 2007, vous avez composé la musique du film "Cowboy" de Benoît Mariage. D’autres B.O. en vue ?
J’ai adoré faire cela, en tout cas. Nadine Monfils, que j’adore (NdlR : auteur belge, réalisatrice du film "Madame Edouard" tiré de son livre éponyme), travaille sur l’adaptation d’un de ses romans au cinéma, et elle a envie que je fasse la musique. Je ne sais pas quand elle fera le film, mais en tout cas on s’est promis de travailler ensemble.
Le cinéma (en tant qu’acteur) vous permet-il de développer une autre facette de votre personnalité, par rapport à la musique ?
Je pense qu’on sollicite des choses assez similaires, mais pas avec la même intensité, pas de la même manière. Dans le cinéma, il faut davantage aller chercher dans son propre vécu, des choses poignantes, solliciter sa mémoire affective. Par exemple quand je joue, dans le film, une scène de rupture où on finit tous les deux les larmes aux yeux. Quelque part, dans l’écriture de chansons, c’est un peu pareil, mais on prend davantage de recul, de distance. J’ai parfois écrit des chansons six mois après avoir vécu quelque chose de fort, sans doute parce que cela avait besoin de décanter, que j’aurais trouvé indécent d’en parler trop tôt. Et il m’est arrivé de me dire, en réécoutant une prise : là je pleure presque en chantant, c’est trop.
Un album "plus personnel" et "décomplexé"
En prélude à l’album "L’éclaircie" publié ce 18 novembre, était paru le single "Comme". Une chanson à la mélodie entêtante, évoquant le désir d’échapper à la norme, au formatage et aux plans com’, écrite par un Saule un peu remonté. Tout est parti - ou plutôt s’est figé à cause - du titre "Dusty Men" que Saule interprétait en duo avec Charlie Winston à l’époque de l’album "Géant", et qui connut un énorme succès. "Du coup, mon label français m’a dit : ‘Bon, c’est clair, la suite, c’est ‘Dusty men 2’, ‘Dusty Men 3’, etc .’, raconte Saule. Cela m’a énervé : ‘Cette chanson a été un heureux accident pour tout le monde, mais laissez-moi écrire ce que j’ai envie d’écrire s’il vous plaît !’ J’ai commencé à composer des titres plus folks, dont ‘L’éclaircie’. Et tout à coup je me suis amusé, décomplexé, j’ai refait un morceau up-tempo, où justement, je me moque de cette idée de devoir faire ‘comme’ (comme ‘Dusty Men’, ou ‘comme Stromae’ ainsi qu’on l’entend dans les maisons de disques à Paris et à Bruxelles). Cela, tout en faisant une chanson finalement très formatée, très radiophonique. Mais avec un côté doux-amer."
Arcade Fire et Jeff Buckley
Sur cet album éclectique et vivifiant produit par l’excellent Mark Plati (David Bowie, The Cure…), Saule donne l’impression de se "lâcher" totalement. Non seulement musicalement et vocalement (il file dans l’aigu plus d’une fois et multiplie les chœurs), mais aussi dans cette façon d’assumer pleinement son amour pour des groupes anglo-saxons ou d’inspiration anglo-saxonne. La chanson épique "Quand les hommes pleurent" rappelle clairement Arcade Fire, "Respire" évoque la disco de Chic, le magnifique titre "LC" semble tiré d’un album d’Arman Méliès… "Ah celle-là a aussi un côté Jeff Buckley, pour moi, prolonge Saule. Et ‘Je reviens’un côté ‘OK Computer’de Radiohead. Ce qui m’intéressait, c’était de traiter tout cela en français." "Sur l’album ‘Géant’ , poursuit Saule, il y avait eu un déclic : arrête de susurrer en chantant, et assume le fait que tu écoutes du rock (et du folk), Arcade Fire, Jeff Buckley… J’ai eu envie d’encore développer cela sur le nouvel album. Avec une nuance tout de même : du côté des textes, cela va moins dans tous les sens, il y a une unité de ton (autour de la crise identitaire, du couple, de la rupture et de la reconstruction). Et il y a moins le côté autodérision, déconne."
"Aventurier" rock
"J’ai participé à la tournée ‘Les aventuriers d’un autre monde’ (ou ‘Pop Rock Party’) avec des artistes français tels Jean-Louis Aubert, Richard Kolinka, Cali et Christophe, raconte Saule. C’était génial. Pendant deux heures, on jouait nos morceaux et des reprises. Raphael reprenait Arcade Fire, je chantais un Led Zep, ‘Whole Lotta Move’, avec Aubert et Kolinka qui m’accompagnaient. Pour la première fois, j’ai eu l’impression d’appartenir à une vraie famille, très rock - tout en chantant en français."
Dans l’écriture de ce nouvel album, "il y a des choses plus personnelles que j’ai osé assumer", confie-t-il encore. "Une phrase m’avait marqué dans une biographie de Gainsbourg. Il disait : ‘ Si j’avais pensé à mes parents quand j’écris, je n’aurais pas écrit les huit dixièmes de ma discographie ’. Un morceau comme ‘LC’(qui aborde le thème de l’infidélité), jamais je n’aurais osé l’écrire il y a cinq ans."
Saule, "L’éclaircie", CD Pias. En concert au Cirque Royal le 10 février 2017.