Anne Teresa De Keersmaeker et Philippe Jordan dédoublent à l’Opéra de Paris
Publié le 30-01-2017 à 07h01
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La chorégraphe belge dans "Cosi fan tutte", le chef avec Mozart et Wagner Est-ce pour se mettre au diapason de la capitale française, que la pollution contraint au rythme de la circulation alternée des plaques ? Toujours est-il que Philippe Jordan dirige Mozart les jours pairs, et Wagner (lire ci-dessous) les jours impairs. Le directeur musical de l’Opéra de Paris est au four et au moulin, navettant d’un soir à l’autre entre un nouveau "Cosi fan tutte" au Palais Garnier et un (presque) nouveau "Lohengrin" à Bastille. La performance n’est pas mince, même pour un généraliste - et stakhanoviste - comme le Suisse. Qui, dans le Mozart, tient en plus la partie de pianoforte du continuo.
Sa direction atteint un bel équilibre entre les apports du mouvement baroqueux et la tradition des grands orchestres traditionnels. L’Orchestre de l’Opéra de Paris s’est mis pour l’occasion aux cors naturels et, si l’ouverture paraît encore un peu plate à force d’être trop sage, la suite gagne progressivement en relief avec une belle caractérisation de chaque scène.
Plutôt modeste sur papier, la distribution se révèle à l’usage remarquablement solide et, surtout, parfaitement homogène. Elle vient entièrement d’outre-Atlantique, avec deux Américaines (Ginger Costa-Jackson, Despina ébouriffante, et Jacquelyn Wagner, Fiordiligi émouvante), un Brésilien (Paulo Szot, Don Alfonso puissant) et trois Canadiens (Philippe Sly, Guglielmo éclatant, Frédéric Antoun, Ferrando suave et Michèle Losier, lauréate du Concours Reine Elisabeth 2008, qui campe ici une attachante Dorabella).
Chaque soliste est doublé d’un danseur
Mais l’événement de la soirée, c’est évidemment la mise en scène d’Anne Teresa de Keersmaeker. On se souvient que la chorégraphe belge avait, en 2003, tâté une première et unique fois de la mise en scène d’opéra, et que cela avait été un ratage complet (sa biographie du programme passe d’ailleurs ce précédent sous silence). Ici, le spectacle se révèle assez réussi, et pour cause : plutôt que de tenter de se fondre dans les codes du théâtre musical, ATDK fait ce qu’elle fait le mieux, c’est-à-dire du mouvement, de la danse et, pour tout dire, du De Keersmaeker.
Chaque soliste est, d’abord, doublé d’un danseur (tous venus de la compagnie Rosas, les membres du ballet de l’Opéra de Paris s’étant désolidarisés du projet en cours de répétition). Le procédé n’est pas nouveau, mais De Keersmaeker a eu ici l’intelligence de ne pas faire du danseur une copie conforme du chanteur : ni physiquement, ni dans les costumes (seules les couleurs disent l’apparentement), ni même dans le positionnement - les deux sont parfois aux deux extrémités opposées da la scène. Le danseur est là pour offrir un degré de lecture supplémentaire. Parfois, il enrichit la perception du personnage mais, à d’autres moments, il semble inutilement redondant, que ce soit quand il montre ce que dit le texte ("ah, je meurs", et le danseur tombe) ou - pire encore - quand il reflète ce que dit la musique. Certes, ATDK contraint parfois ses danseurs à l’immobilité pour éviter l’effet de sous-titrage, mais le procédé, d’abord intéressant, peut finir par lasser en fin de soirée.
Sans décors, sans maquillage, sans coiffure
Finalement, la partie la plus intéressante du travail de la Flamande réside dans son travail de chorégraphe sur les chanteurs : qu’il s’agisse de longues courses, de diagonales, d’arcs de cercle ou simplement de gestes des mains, d’inflexions du torse ou de mouvements de la tête, il y a là toute une grammaire qui, si elle n’apporte rien à l’œuvre et à la compréhension des personnages, renouvelle les images et les perceptions. D’autant que le spectacle se donne sans décors - un immense espace blanc et nu -, sans accessoires (on mime la pierre mesmérique ou le médaillon) et, pour les chanteuses, sans maquillage, sans coiffure et avec des costumes peu flatteurs. Dans cette vérité contrainte, plus encore que la danse, c’est le corps qui prend le pouvoir.
Paris, jusqu’au 19 février, www.operadeparis.fr. Diffusion dans les salles UGC le 16, sur Mezzo le 23 et sur France Musique le 5 mars.