Le violoncelle enfin consacré au Reine Elisabeth (ANALYSE & REPORTAGE)
Le Concours Reine Elisabeth débute ce lundi 8 mai à 15 h. Cette année, le violoncelle est pour la première fois à l’honneur Un instrument discret, longtemps resté dans l’ombre.
- Publié le 07-05-2017 à 14h00
- Mis à jour le 07-05-2017 à 19h51
Le Concours Reine Elisabeth débute ce lundi 8 mai à 15 h. Cette année, le violoncelle est pour la première fois à l’honneur. Un instrument discret, longtemps resté dans l’ombre.
Il s’appelle Sihao He (photo), est né en 1993 et étudie actuellement avec le Danois Hans Jorgen Jensen à la Bienen School of Music de la Northwestern University dans l’Illinois. Et, même s’il arrive déjà paré de divers prix dans d’autres concours, on ne sait jusqu’où il ira dans la compétition. Mais ce jeune Chinois passera à la postérité pour avoir été le premier candidat de la première session violoncelle du Concours Reine Elisabeth. Après le violon (1937), le piano (1938) et la voix (1988), sans oublier la composition aujourd’hui abandonnée, 2017 voit en effet la prestigieuse compétition belge s’ouvrir à un nouvel instrument, le violoncelle.

A première vue, hormis l’instrument, rien ne change : six jours de première épreuve dès aujourd’hui et jusque samedi au Studio 4 de Flagey, qui permettront de sélectionner vingt-quatre demi-finalistes, annoncés dans la nuit de samedi à dimanche. Lesquels s’affronteront à nouveau pour six jours, du lundi 15 au samedi 20, toujours à Flagey, avant que le couperet du jury ne tombe à nouveau pour retenir les douze finalistes. Dès dimanche 21, ces finalistes entreront deux par deux à la Chapelle Reine Elisabeth pour découvrir et apprendre, dans les habituelles conditions d’isolement, l’œuvre imposée qu’ils joueront en finale avant leur concerto au choix. Et enfin, du lundi 29 au samedi 3 juin, on passera dans la grande salle Henry Le Bœuf du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles pour la semaine des finales, avec proclamation du palmarès dans la nuit du 3 au 4 juin.

Installée près de la place Flagey au sein de l’Atlelier Flagey, la luthière Catherine Janssens estime que le violoncelle est encore trop rarement en haut de l’affiche. Elle se réjouit donc de ce premier Concours Reine Elisabeth lui étant dédié.
Passe ton Bach après
Toutefois, au-delà de ce calendrier quasi immuable (seuls les chanteurs y échappent), il y a bien quelques changements. Ainsi, à la différence des violonistes et des pianistes qui le présentent au premier tour, les violoncellistes ne passeront leur Bach - trois mouvements d’une suite pour violoncelle seul bien-sûr - qu’en demi-finale. En première épreuve, les 68 candidats - 70 avaient été admis à concourir; la déperdition est donc minime - joueront chacun le premier mouvement de la Sonate pour violoncelle seul d’Eugène Ysaÿe, un extrait d’une sonate de Luigi Boccherini, accompagnée par un autre violoncelle, et une œuvre avec accompagnement de piano, à choisir parmi le premier mouvement de la Sonate en la mineur D821 (Arpeggione) de Franz Schubert, deux des cinq pièces dans le style populaire op. 102 de Robert Schumann, le Rondo op. 94 d’Antonín Dvorják ou les Variations concertantes op. 17 de Felix Mendelssohn. Il y aura donc sur la scène de Flagey, outre les violoncellistes solistes et les pianistes accompagnateurs, des violoncellistes accompagnateurs.

Au deuxième tour, Mozart n’ayant pas composé de concertos pour violoncelle, c’est un concerto d’Haydn ou de Boccherini que joueront les demi-finalistes, accompagnés de l’Orchestre Royal de Chambre de Wallonie, dirigé par rien moins que Frank Braley, ancien vainqueur du Concours piano. Comme les pianistes et les violonistes, les 24 sélectionnés se produiront chaque fois à deux reprises à quatre jours d’intervalle : une fois pour leur concerto, et une fois pour leur récital avec le Bach, l’imposé du deuxième tour ("A chacun(e) sa chaconne" d’Annelies Van Parys) et une sonate pour violoncelle et piano.
Autre changement par rapport aux dernières sessions de piano et de violon : les candidats masculins sont largement majoritaires, puisqu’ils seront 47 pour seulement 21 candidates. Et plus de cheffe sur l’estrade des finales : l’Orchestre national de Belgique et Marin Alsop cèdent la place au Brussels Philharmonic et à son directeur musical, le Français Stéphane Denève.
Analyse par Nicolas Blanmont.

Les dates-clés du concours
- Du 8 au 13 mai : premier tour avec les 68 candidats à Flagey.
Tickets : 7 € la séance/12 € la journée (2 séances). - Du 15 au 20 mai : second tour avec 24 demi-finalistes à Flagey.
12 € la séance de l’après-midi/15 € la séance du soir/25 € la journée. - Du 29 mai au 3 juin : finales avec les 12 finalistes à Bozar.
Tickets : 16 €, 38 €, 65 € ou 85 € la soirée (3/6 complet). Abonnement finales + 2 concerts de lauréats : 105 €, 255 € 410 € ou 530 €. - Infos et billets : www.cmireb.be.
Abonnement complet (première épreuve, demi-finales, finales et 2 concerts) : 250 €,400 €, 555 € ou 690 €.
Pour les luthiers de Flagey, il y aura un "effet concours"
Reportage de Valentin Dauchot.
Logé à quelques encablures de la bouillonnante place du même nom, l’Atelier Flagey est un véritable havre de paix. Une échappatoire temporaire mais vivifiante au monde moderne et à l’urgence permanente qui le caractérise. Ici, on travaille l’érable, l’épicéa et le peuplier. On passe 60 heures sur un archet, 200 heures sur un violon et plus de 600 heures sur un violoncelle, entièrement conçu à la main.
Longtemps moins bien considéré que le violon et donc moins demandé, le violoncelle ne compte qu’un nombre limité de pièces "d’époque". Pour le plus grand bonheur des luthiers, les musiciens se tournent donc davantage vers des instruments récents ou les font construire dans des ateliers spécialisés comme celui-ci. "Le violon est un instrument star. Il a été mythifié par les compositeurs, les musiciens virtuoses et les grands luthiers italiens des derniers siècles", explique Catherine Janssens qui partage cet espace avec une autre luthière et trois archetiers. "C’est un instrument très mélodique et aisé à mettre en valeur, là où le violoncelle, plus grave, a longtemps été perçu comme un instrument d’accompagnement, une basse pour violons."

Un répertoire tardif
Selon la luthière, il faut attendre le milieu du XVIIIe siècle et l’apparition de cordes plus fines pour que le violoncelle produise un son plus mélodieux et gagne progressivement le grade d’instrument soliste. "Le répertoire pour violoncelles est arrivé plus tard; il est donc plus limité", précise-t-elle. "Ce qui ne veut pas dire qu’il est moins bon. Pour donner de la finesse et de la précision à un instrument aussi puissant est complexe, les concertos pour violoncelles doivent être particulièrement bien écrits."
En dépit de ce nouveau statut, le violoncelle ne parvient pas à devenir un instrument à la mode et se retrouve encore trop rarement en haut de l’affiche. "Ce qui est encore illustré par le fait que le Concours Reine Elisabeth ne décide de le mettre à l’honneur qu’en 2017", estime l’artisane, installée dans une salle annexe à l’atelier, où plusieurs instruments sont exposés.
Aucune pièce n’est actuellement en cours de fabrication, mais plusieurs violoncelles sont en rénovation et les planches de bois déposées ci et là annoncent de futures mises en chantier. "Ici nous avons deux pièces que nous allons coller ensemble", explique Catherine Janssens. "Chaque violoncelle fournit un son différent, mais on peut contrôler le processus et aboutir assez précisément au son que l’on veut lui donner en jouant sur plusieurs éléments, comme la densité et l’épaisseur du bois, les contours de l’instrument, son amplitude…"

Le son de la voix humaine
Le son du violoncelle, justement, est "très proche de la tessiture de la voix humaine", ajoute la luthière. "Les chanteurs lyriques fournissent un son vraiment très proche à celui de l’instrument. Quelque part, il est donc plus abordable. Un public moins aguerri pourra sans doute rentrer plus facilement dans un concerto pour violoncelle que dans une œuvre pour violon."
De quoi, peut-être, donner un petit coup de jeune à un concours dont l’élitisme et le niveau peuvent parfois effrayer les novices. Pour les luthiers, qui profitent de l’occasion pour organiser une exposition consacrée à l’instrument, cette médiatisation pourrait même engendrer un "effet concours" et susciter des vocations. De quoi enfin consacrer un instrument qui a trop longtemps fait son office dans l’ombre.
Du 18/05 au 20/05 : rencontres et concerts à la Maison de quartier Malibran. Du 10/05 au 20/05 : expositions à Flagey.
Rens. : www.ekho-violins.com.
