L’Eurovision, cette tribune politique pour les Etats

Gobert Sébastien

En Ukraine, le concours est devenu une arme pour rappeler l’existence du conflit.Reportage de Sébastien Gobert, correspondant en Ukraine."Notre religion : la liberté." Sur Maïdan Nezalejnosti, la place de l’Indépendance à Kiev, l’imposante bannière captive le regard. Pour les milliers de visiteurs qui affluent vers la capitale ukrainienne pour assister à l’Eurovision, du 9 au 13 mai, le message est clair. L’énorme peinture d’une chaîne qui se brise recouvre les murs encore noircis de la maison des syndicats, qui avait brûlé en février 2014, dans les dernières heures de la Révolution de la Dignité. Plus de trois ans après, le combat n’est pas terminé. L’Eurovision, regardé par une moyenne de 18 millions de téléspectateurs à travers le monde, est devenu une arme de l’Ukraine post-Maïdan.

Portraits géants de vétérans

Sur l’avenue Khreshatyk, fermée à la circulation pour la semaine, les touristes s’arrêtent devant des portraits géants de vétérans de guerre, portant pour la plupart des prothèses. Un moyen plus qu’explicite de rappeler le conflit meurtrier qui persiste à l’est du pays. Au-delà de cette exposition, l’Ukraine a utilisé l’Eurovision à plusieurs reprises pour dénoncer la Russie comme agresseur. D’abord en 2016, à travers la victoire de la chanteuse Djamala. Tatare de Crimée, elle avait servi à rappeler l’annexion de la péninsule par la Russie en 2014. Pour l’édition 2017, les autorités ukrainiennes ont remis la Crimée annexée sur les unes des journaux, en interdisant à la chanteuse russe Ioulia Samoilova d’entrer sur le territoire ukrainien, et de participer à l’Eurovision. L’artiste s’était produite en Crimée quelques mois auparavant, sans avoir obtenu d’autorisation préalable de Kiev. Mais en réaffirmant sa souveraineté de jure sur les frontières de la péninsule, Kiev avait remporté une victoire médiatique en demi-teinte. L’Union européenne de Radio-télévision (UER), organisatrice de l’Eurovision, avait pris la défense de Ioulia Samoilova, artiste en fauteuil roulant, et menacé l’Ukraine d’une possible sanction.

La dimension géopolitique de l’Eurovision ne se limite d’ailleurs pas à un affrontement direct avec la Russie. Au cours des dernières semaines, le centre de Kiev s’est totalement transformé. Des poubelles neuves ont été installées, les pots de fleurs ont été repeints. Il importe à l’équipe du maire Vitaliy Klitschko de montrer le visage d’une métropole moderne et européenne, qui se serait fondamentalement transformée au cours des dernières années.

Au-delà des couleurs de la "fan zone" sur Khreshatyk et des sourires des volontaires mobilisés pour l’accueil des visiteurs, l’Eurovision 2017 n’aura toutefois pas été exempte de scandales, qui reflètent les contradictions de l’Ukraine post-révolutionnaire. En février, 21 membres de l’équipe d’organisation avaient démissionné, en dénonçant un manque de transparence dans la gestion de l’événement. En avril, une enquête de "Radio Liberté" a révélé un potentiel conflit d’intérêts dans l’attribution d’un marché public lié à l’Eurovision. Mais la controverse qui saute aux yeux, c’est à quelques mètres de Maïdan Nezalejnosti qu’on la trouve.

Lutte contre l’homophobie

L’Arche de l’Amitié entre les Peuples, sculpture monumentale datant de l’époque soviétique, a quasiment été recouverte de panneaux aux couleurs de l’arc-en-ciel pour concrétiser le slogan "Célébrer la diversité" de cet Eurovision. Ce qui a permis à de nombreux artistes LGBT de s’illustrer. Mais la fête a tourné court, à Kiev, avant même l’ouverture de l’Eurovision. Après des protestations de mouvements religieux homophobes, des militants nationalistes ont interrompu les travaux de décoration de l’Arche par la force, obligeant la municipalité à renoncer à son projet "d’Arche de la Diversité".

Selon les autorités, 16 000 policiers ont été déployés dans Kiev pour sécuriser l’événement. Officiellement, le principal risque est celui d’une "provocation russe". Mais le potentiel de déstabilisation des mouvements nationalistes n’est pas à ignorer. Pour l’heure, la fête bat son plein dans le centre de Kiev. Cette année, l’Ukraine présente une chanson apolitique, "Time", du groupe O.Torvald. Pas forcément pour une victoire, mais bien pour montrer l’image d’un pays déterminé, malgré les obstacles, à regarder de l’avant et à s’inscrire dans le concert européen.

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