Pourquoi les studios d’enregistrement belges séduisent les stars internationales?
- Publié le 10-05-2017 à 18h57
- Mis à jour le 10-05-2017 à 20h05
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La commune de Malmedy avait déjà ses forêts, sa gastronomie, sa bière triple et ses vestiges de la Seconde Guerre mondiale. Désormais, il faudra ajouter à ce tableau de chasse la présence d’un des plus grands studios d’enregistrement de Belgique : Daft Studios, un bâtiment high tech de 200 m2 emballé dans une structure en bois pour mieux s’intégrer dans le paysage ardennais. Construit début 2017 dans le village de Géromont mais officiellement ouvert au public dimanche dernier, le studio joue la carte "haut de gamme". Un penthouse pour artistes, un héliport, et un hôtel avec piscine de 14 chambres ont été installés à proximité de la structure musicale. Stijn Verdonckt, le propriétaire des lieux, met également en avant la présence d’une belle galerie d’instruments dont "la batterie de Ringo Starr" prêtée par un collectionneur flamand.
Même Abbey Road a failli fermer
"C’est vrai, le fait que ce soit la batterie des Beatles importe peu", reconnaît l’intéressé lorsque nous l’interrogeons sur ce beau coup de communication. Un cancre restera toujours un cancre, même avec un instrument doré entre les mains. "Mais cela nous a permis de mettre en avant notre partenariat avec Ives Mergaerts qui nous prête son incroyable collection d’instruments vintage dont des pièces très rares. Pour les musiciens, constamment à la recherche de nouveaux sons lors de l’enregistrement, c’est un véritable atout."
La Belgique a toujours été particulièrement bien fournie en studios d’enregistrement. La grande flexibilité des ingénieurs du son belges et des coûts moins élevés qu’en France ont toujours attiré des musiciens internationaux. Aujourd’hui encore, le pays compte plus d’une centaine de studios dont les mythiques studios ICP à Bruxelles, qui ont enregistré au cours des trente dernières années des artistes comme The Cure, John Cale, Mylène Farmer, Charles Aznavour, Pharrell Williams et bien d’autres, dans un cadre au moins aussi luxueux et professionnel. Ce qui pose la question de la viabilité de ce nouveau studio. "Il est clair que si nous étions arrivés à Bruxelles, nous aurions eu du mal à concurrencer un studio comme ICP", reconnaît Stijn Verdonckt. "Mais dans les Ardennes nous offrons autre chose, et notamment un certain isolement qui permet de se concentrer sur la musique. Nous venons également avec notre clientèle, puisque nous avons géré les studios La Chapelle à Waimes pendant des années avant de déménager ici."
Le contexte est pourtant loin d’être optimal. Depuis une bonne vingtaine d’années, un nombre croissant de studios ferment leurs portes, en France et au Royaume-Uni, notamment. Il y a quelques années, même les mythiques studios d’Abbey Road à Londres ont bien failli être vendus avant qu’une mobilisation populaire et l’intervention personnelle de Paul McCartney ne permettent de sauver les lieux.
Multiplication des studios à domicile
"Seuls les studios haut de gamme et les tout petits studios bon marché sont restés", nous explique Dan Lacksman, ancien membre du groupe Telex et fondateur des studios SynSound. "Tout ce qui était situé au milieu a dû fermer." Avec la numérisation de la musique et la crise du disque, les studios ont drastiquement revu leurs budgets à la baisse. Désormais, seules les valeurs sûres se voient encore offrir un long séjour dans un studio coûteux. Cette numérisation a parallèlement ouvert l’accès à toute une série d’outils et de programmes d’enregistrement abordables et facilement utilisables à domicile, qui ont changé le processus. Les groupes débutants peuvent facilement enregistrer une démo avec les moyens du bord, aujourd’hui, et les artistes accomplis comme Soulwax ou dEUS possèdent eux aussi leurs propres studios d’enregistrement, qu’ils utilisent parfois pour enregistrer des pairs. "Il y a aussi les délocalisations", ajoute Dan Lacksman. "Les bandes originales de films qui étaient enregistrées dans les studios occidentaux sont souvent produites dans les pays de l’Est, qui coûtent beaucoup moins cher et possèdent d’excellents musiciens."
"Citez-moi un grand groupe de rock récent"
Tout le monde ne partage pas cette vision. Pour John Hastry, le discret créateur des studios ICP, "tout cela est faux. Un grand studio a récemment fermé en France, mais il appartenait aux autorités locales qui ont simplement voulu faire un autre usage du bâtiment". Pour lui, le vrai problème vient des artistes. "Il n’y a plus de grands groupes de rock parce qu’il y a un problème au niveau du développement des artistes. Ceux qui veulent faire du ‘cheap’ auront un résultat pauvre. Les artistes d’expérience, eux, viendront toujours dans les studios équipés et expérimentés."
Une vision en partie partagée par Stijn Verdonckt. "Les studios ont besoin d’une importante superficie. Beaucoup de fermetures ont eu lieu dans de grandes villes comme Londres ou Paris car la pression immobilière y est importante. C’est plus simple dans les Ardennes. Et je crois également que les artistes auront toujours besoin d’une structure professionnelle. D’abord, parce qu’un disque dépend énormément de l’ambiance dans laquelle il a été enregistré, ensuite parce que certains éléments - comme l’acoustique - ne peuvent pas être obtenus dans une chambre avec un ordinateur, il faut un cadre adéquat."
Les trois patrons mettent en avant le même phénomène : un nombre croissant d’artistes enregistrent une partie de leur album chez eux, mais ils viennent ensuite en studio pour mixer ou mastériser leurs morceaux sur du matériel analogique. Comme le disait Dan Lacksman en guise de conclusion lors de son interview : "Le numérique a fait beaucoup de progrès, mais pour le son, rien ne surpasse la table analogique."
A côté des gros, les petits
A côtés des mastodontes comme le Daft Studio à Malmedy ou ICP à Bruxelles, il existe d’autres espaces. Un des premiers critères qui entre en ligne de compte pour choisir un studio, c’est le budget dont l’artiste dispose, évidemment. Christophe Waeytens connaît bien le milieu. "Nombreux sont ceux qui tirent la langue, les ventes de disques sont en chute libre et les artistes ne bénéficient plus des mêmes budgets. Même ICP est bien moins cher qu’il y a dix ans", explique celui qui, via sa structure Granvia, s’associe dorénavant aux artistes pour mettre l’argent sur la table, partager les risques et les rentrées - plus seulement des disques, mais aussi de la scène et de l’édition. Il appelle ça un contrat 360 °.
La Belgique, terre de studios ? A entendre la liste qu’il énumère, on serait tenté de dire oui. Après, ce qui fait la différence d’un espace à l’autre, c’est aussi, outre le matériel, l’ingénieur du son. "Chaque studio a son ingé son qui possède sa propre patte. C’est généralement lui qui investit dans telle ou telle machine." Pour le moment, Christophe Waytens est avec Jeronimo au Chênée Palace à Liège afin d’y enregistrer son nouvel album. "On y travaille un son analogique sur un 24 pistes à bandes. Une fois tiré, on ne sait plus retoucher le mix, mais en contrepartie, on bénéficie de la chaleur de la table et du son des pré-amplis" relève l’intéressé.
Chaque formule possède ses avantages et ses inconvénients. "Imaginez si les Beatles devaient enregistrer aujourd’hui dans un studio digital", lance-t-il. Un exemple qui permet de bien comprendre les subtilités des enregistrements. Entre une table de mixage analogique 16 pistes à lampes et une d’aujourd’hui, digitale, qui peut en comprendre 100… "ICP a acheté une table à lampes provenant d’Allemagne et datant des années 50. Il faut une bonne demi-heure avant qu’elle soit prête", sourit le spécialiste. Cet achat montre l’intérêt que l’on porte de nouveau à ce type de matériel.
Importance du mixeur
"Le dernier album de Sharko, ‘You don’t have to worry’, a été enregistré en France, chez ICP à Bruxelles puis mixé à New York, chez Mark Plati. Dès qu’on a ouvert la session, ça sonnait Mark Plati", se souvient M. Waytens. Ce cas démontre l’importance du mixeur. Restons en Belgique. Charles de Schutter (studio Rec and roll à Bruxelles) est également réputé. C’est lui qui s’occupe du son du chanteur français - M - en live.
Pour la petite histoire, le plus ancien studio d’enregistrement de Belgique est le Jet Studio à Koekelberg, racheté en 2011 par Rudy Coclet (ex-Rising Sun Studio) et Pascal Flamme (ex-Caraïbes, par où étaient passés quelques beaux noms de la scène belge mais aussi Etienne Daho ou Björk). Quand on se targue d’être le plus vieux, c’est qu’on y a accueilli Edith Piaf ou Jacques Brel...
Ces stars venues chez nous
La Belgique a toujours attiré un nombre incroyable de stars de la chanson dans ses studios. A commencer par Marvin Gaye qui est venu enregistrer une partie de son album "Midnight Love" à Ohain dans les années 80, après être passé par une longue cure de désintoxication à Ostende.
Installés à Ixelles , les studios ICP affichent de leur côté une impressionnante liste de célébrités : The Cure, Solomon Burke, Johnny Hallyday, Moby, Noir Désir, Michel Polnareff, The Stranglers, Za zie et plus récemment Pharrell Williams sont passés par là lors des trentre dernières années.
Les studios SynSound, eux, ont enregistré Mark Knopfler, David Bowie et le jazzman Branford Marsalis.