Une vie après le boys band? Pourquoi certains artistes percent pendant que d'autres sombrent dans l'oubli
- Publié le 12-05-2017 à 12h39
- Mis à jour le 12-05-2017 à 16h19
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Harry Styles, le leader de "One Direction" part en solo
Vous ne connaissez pas le groupe britannique "One Direction" ? Demandez à votre fille, votre petite-fille ou votre nièce de 14 ans. Toutes les trois possèdent plus que probablement l’un des cinq albums du boys band, plusieurs de ses produits dérivés et une flopée de posters à l’effigie des cinq jeunes et beaux garçons qui ont fait son extraordinaire popularité. De sa création en 2010 à sa séparation en 2015, "One Direction" a vendu plus de 50 millions d’albums à travers le monde. En pleine crise du disque, ce n’est plus une performance, c’est un véritable phénomène social et musical, construit de toutes pièces par les producteurs de télévision et les maisons de disques.
Recalés aux épreuves individuelles
Les choses avaient pourtant mal commencé pour Niall, Liam, Louis, Zayn et Harry. Tous les cinq candidats à l’émission de télévision X-Factor - équivalent de The Voice - en 2010, ils ont été recalés lors des épreuves individuelles. Ni leur voix, ni leur physique, ni leur prestation n’avaient à l’époque séduit les membres du jury. Ces derniers ont alors eu une idée de génie. Sentant le bon coup marketing, ils ont proposé à ces ados de 17 ans de se représenter ensemble dans la catégorie "Groupe", lançant la longue et lucrative aventure "One Direction". Au menu : une pop acidulée, tantôt festive, tantôt meurtrie, totalement calibrée pour les jeunes adolescentes.
Le succès est immédiat, le public dévoué, mais les garçons se fatiguent et nourrissent progressivement d’autres ambitions. Vient alors la deuxième et délicate étape : la transition vers une ou plusieurs carrières solo. Pour la maison de production, c’est le moment de miser sur le bon cheval. Et tout laisse à penser que les producteurs ont parié sur Harry Styles.
La couverture de "Rolling Stone"
A 23 ans, le jeune homme "simple et discret" qui a "du mal à gérer" le succès colossal du groupe s’apprête à sortir un premier album solo. Un disque "de rupture" qui ne propose aucun refrain pop, mais des morceaux folks écrits par Styles qui s’est inspiré de son expérience personnelle et veut "se dévoiler". D’autres membres du groupe - comme Zayn Malik - lui ont grillé la politesse et ont déjà rencontré un certain succès en solo. Mais l’engouement suscité par l’entrée en scène de Harry Styles a quelque chose de différent. Le bonhomme - qui n’a pas encore prouvé grand-chose en tant qu’auteur/compositeur - vient de faire la couverture du célèbre magazine musical "Rolling Stone". Doté d’une certaine ressemblance avec Mick Jagger, il est d’ores et déjà pressenti pour incarner le leader des "Stones" à l’écran dans un biopic dont l’existence n’a même pas encore été confirmée, et il sera bientôt à l’affiche de la superproduction "Dunkirk" du très estimé Christopher Nolan. Côté musique, son premier single "Sign of the Times" a été vu plus de 55 millions de fois depuis sa mise en ligne sur "Youtube" il y a un mois, et les 179 000 tickets de la tournée mondiale qu’il entamera en septembre (dans des salles de taille moyenne, certes) se sont écoulés en quelques minutes. L’implacable machine qui soutient le jeune chanteur s’est manifestement mise en route. Reste désormais à savoir si son album "Harry Styles" produit par Jeff Bashker (Kanye West, Jay Z, les Rolling Stones,…) battra les records de vente pour lesquels il a été programmé.
Pourquoi certains artistes percent pendant que d'autres sombent dans l'oubli?
Né à la fin des années 80 et popularisé dans les années 90 avec des groupes comme Thake That, *NSYNC ou les Backstreet Boys, le phénomène des boys band - littéralement "Groupe de garçons" - s’est fait plus discret au début des années 2000. Certains membres de ces formations comme Robbie Williams (Take That) ou Justin Timberlake (*NSYNC) en ont profité pour mener une brillante carrière solo. Mais la plupart des chanteurs et danseurs sélectionnés sur casting par des professionnels du show-business sont retombés dans l’anonymat.

Le principe n’a pourtant pas disparu. Les formations pop conçues sur mesure pour le public adolescent ont pris une ampleur inégalée en Asie - principalement Corée et au Japon - dès la fin des années 2000, et les maisons de disque sont parvenues à relancer la machine en Occident grâce, entre autres, aux émissions de téléréalité comme la "Star Academy" ou "The Voice".
À l’image du boys band britannique "One Direction" (lire ci-contre), les groupes de cette seconde vague arrivent à leur tour à maturité, aujourd’hui. Certains de leurs membres parviendront à percer en solo, mais les autres sont une nouvelle fois voués à chercher un nouveau boulot. Avec cette question : quels critères font que certains percent et d’autres pas ?
1. Une incroyable réserve de fans
Les artistes issus d’un boys band ont d’abord tous un avantage indéniable : ils possèdent une solide base de fans. Avant même la sortie de son premier single, un artiste comme Harry Styles (One direction) est suivi par plus de 15 millions de personnes sur Facebook et 30 millions de fans sur Twitter. Comme Robbie Williams et Justin Timberlake avant lui, il s’était déjà clairement positionné en tant que leader de son groupe et possède une marée d’admirateurs pratiquement conquis d’avance. Pour la maison de disque qui le produit, une bonne partie du travail de promotion est donc déjà réalisé.
2. L’existence de castings filmés
Selon le sociologue français Gabriel Segré, fin connaisseur du milieu, les artistes pop contemporains ont par ailleurs un net avantage sur leurs aînés : le succès des émissions de téléréalité. "Des émissions comme ‘The Voice’ sont en quelque sorte des castings filmés" estime le professeur de l’Université Paris-Nanterre. "Désormais tout le processus de sélection et de fabrication des futures ‘stars’ est filmé, médiatisé et mis en scène. Ainsi mis en spectacle, ces castings permettent aux producteurs de tester dès le début les apprenties vedettes, leur effet sur le public, et les attentes qu’elles génèrent." On sait très vite qui a un potentiel de star, qui n’en a pas, et les studios - qui disposent souvent d’accords d’exclusivités avec ces émissions - sont impliqués dès le début du processus de starification.
3. La bonne personnalité
Reste à sélectionner le bon candidat, l’artiste qui répond exactement à la demande du public à un moment donné. "À ce niveau, on retrouve des profils types" explique Gabriel Segré. "La figure du rebelle, le chanteur sensible et vulnérable, le beau ténébreux sûr de son charme,… Tous ces profils vont et viennent en fonction des demandes des jeunes adolescentes ." Si vous avez le bon profil au bon moment, c’est gagné. Mais si vous la jouez rebelle, quand la mode est au sentimentalisme, par contre, il vaut mieux changer de personnalité. "Aujourd’hui, le public attend également de l’artiste qu’il dégage une certaine familiarité" analyse le sociologue et chercheur émérite du CNRS Michel Fize. "Il y a quelques dizaines d’années, les vedettes étaient considérées comme des êtres supérieurs et intouchables. Désormais c’est tout l’inverse : il faut être simple, accessible. Les gens veulent quelqu’un qui leur ressemble." Le talent joue un rôle également, mais ici aussi tout est question de mode. "Avec Céline Dion, on a assisté à une domination de grandes voix" explique Gabriel Segré. "On a ensuite vu émerger Lara Fabian, Chimène Badi, et des wagons entiers d’artistes similaires. Puis on est passé aux chanteuses sans voix comme Carla Bruni. Les modes changent."
4. L’élaboration d’un personnage
Vient ensuite l’utilisation des réseaux sociaux. Rôdées à la communication, les jeunes stars de la pop multiplient bien souvent les messages a priori anodins pour supprimer au maximum les barrières qui les séparent de leur public. Ça renforce le lien affectif. Le quidam découvert dans un concours de chant se transforme en star planétaire mais garde une apparence de jeune garçon comme les autres "qui mange ses tartines au choco tous les matins". Une démarche simple mais essentielle, pour laquelle les artistes sont souvent suivis et coachés.
Au final, Harry Styles comme Robbie Williams constituent des produits marketing. Cela peut paraître choquant, mais la pratique - certes poussée à l’extrême - n’a rien de neuf. Sheila en son temps, avait tout d’une starlette conçue sur mesure. Elvis Presley lui-même a été largement façonné pour incarner le rêve américain, et malgré tous ces éléments, le succès n’est jamais totalement acquis. Comme le dit Gabriel Segré "parfois, on a beau mettre tous les ingrédients qu’il faut et bien mélanger, la mayonnaise ne prend pas."