Opéra: le timbre d'argent, quand Saint-Saëns se lâche
Publié le 17-06-2017 à 13h03 - Mis à jour le 17-06-2017 à 13h06
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Exhumation d’un objet lyrique atypique. Avec une Jodie Devos souveraine. C’est à Paris, en 1877, que Camille Saint-Saëns créa "Le Timbre d’argent" : un opéra qu’il avait déjà achevé douze ans plus tôt, et dont la dernière version, encore remaniée, serait donnée à la Monnaie en 1914. Une sorte d’opéra maudit dont un critique écrivait alors : "Jamais opéra ne subit plus de transformations, ne rencontra plus d’entraves, ne fut […] offert à plus de théâtres que ce malheureux Timbre d’argent." Un opéra assez atypique aussi, dont le livret évoque "Faust" ou "Les contes d’Hoffmann" et dont la musique fait référence notamment à Gounod, Wagner, Auber ou Berlioz.
Timbre-poste ? Timbre de voix ? Non. Le timbre ici est une de ces petites sonnettes qu’on frappe pour appeler un valet ou un portier. Celui que détient Conrad, jeune peintre raté et malade, est magique : son propriétaire voit couler l’or à flots chaque fois qu’il l’utilise mais, aussitôt, une personne de son entourage tombe morte. Et comme Conrad aime Fiametta, une danseuse que n’attire que la richesse, il est tenté d’y recourir même s’il en sait le terrible prix. Signé Barbier et Carré - les auteurs des "Contes d’Hoffmann" - le livret narre l’écartèlement du jeune homme entre le bien - sa fiancée Hélène, sa belle-sœur Rosa et son ami Benedict - et le mal - Fiametta et son acolyte Spiridion, un méphistophélétique Baron qui n’a de cesse de le voir user du timbre maléfique.
Le spectateur est, lui aussi, écartelé entre des pages d’une musique très raffinée - duos élégiaques, chœurs lyriques, orchestration parfois très recherchée - et d’autres où la partition se fait triviale, frisant même le music-hall. Le personnage de Fiametta, aussi, met mal à l’aise : un vrai rôle dansé, avec donc des pages instrumentales (pas les plus subtiles) mais aussi, ici, une chorégraphie qui, plus d’une fois, frise la vulgarité.
Magie et inventivité
Avec ce qu’il faut de magie et d’inventivité, la mise en scène de Guillaume Vincent et la direction musicale de François-Xavier Roth excellent à magnifier tout le potentiel de l’œuvre. Orchestre d’instruments anciens (Les Siècles), chœur aguerri (Accentus) et distribution vocale des plus solides sont d’autres atouts. Mention spéciale pour le ténor chinois Yu Shao, ancien de la Chapelle Reine Elisabeth au français impeccable, pour Hélène Guilmette, lauréate du Concours Reine Elisabeth chantant ici enceinte jusqu’aux yeux, pour Tassis Christoyannis (Spiridion) et pour une Jodie Devos en grande forme dans le rôle délicat de Rosa.
Paris, Opéra-Comique, jusqu’au 19 juin, www.opera-comique.com. Diffusion sur France musique le 2 juillet à 20h.