Les DJ sont riches, populaires... et souvent très seuls
- Publié le 27-10-2017 à 12h34
- Mis à jour le 22-01-2019 à 09h52
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"La Libre" a rencontré les trois patrons incontestés de la techno pour recueillir leurs impressions sur la scène actuelle: Laurent Garnier, Dave Clarke et Jeff Mills. Hormis leur statut, ces pionniers ont toutefois assez peu de points en commun. Les trois hommes ont une musique, une approche, une personnalité et finalement une expérience assez différente. Mais un élément a priori étonnant revient systématiquement dans leurs entretiens : la solitude ressentie par les DJ.
"C'est vraiment l'aspect du métier qui m'use le plus" reconnaît Laurent Garnier. "Et plus le temps passe, plus ça s'aggrave, parce qu'à 20 ans, tu es très libre, tes potes voyagent avec toi et tout est très simple. Mais quand tu arrives à cinquante ans dans ce métier, la plupart des gens avec qui tu bosses ont une vie, une famille et n'ont pas forcément envie de venir faire les gugusses avec toi tous les week-ends." "C'est mieux pour eux d'ailleurs, parce qu'avec la technologie moderne, je peux travailler pratiquement 24h/24h dans mon coin avec mon casque vissé sur les oreilles. Alors qu'avant, je ne pouvais pas checker mes vinyles quand j'étais dans l'avion."

"Je n'ai pas beaucoup d'amis, ni de hobby"
"Je voyage seul, je mixe seul et je compose mes disques seul" lance de son côté Dave Clarke dont le mode d'expression est aussi frontal que la musique. "De temps en temps, quand je joue dans une ville que je connais bien et que j'ai droit à une guestlist, j'ai un ou deux amis en backstage, mais je ne peux pas m'habituer à ce genre de chose quand je joue à Amsterdam un soir, puis à Tokyo le lendemain et dans une troisième ville le surlendemain." "Du coup, je me suis habitué à cette vie de solitude" ajoute le DJ taciturne. "Ce qui peut expliquer que je n'aie pas envie de communiquer et que j'aie l'air un peu monomaniaque quand je mixe."

Reste l'ami Jeff Mills, le plus cérébral, réfléchi et certainement le plus introverti des trois. "Ma vie est simple" explique-t-il laconiquement. "Pas le temps de traîner après mon set, j'ai un avion à prendre. Juste petit-déjeuner et dormir un peu. Puis travailler encore. Du coup, je n'ai pas beaucoup d’amis, ni de hobby d'ailleurs, si ce n'est la musique (…) C’est un truc de Detroit je pense... Jamais d'excès ! Un gars comme Derrick May a grandi, comme moi, dans ces familles afro-américaines où la mesure importe plus que tout. Surtout, ne jamais perdre le contrôle. Personnellement, je ne fume pas, et je n'ai jamais bu jusqu'à l'ébriété alors que je joue chaque soir devant des milliers de personnes qui ne s'en privent pas et font même davantage."
"À Berlin, on ne croise personne de plus de 65 ans"
Tous les trois passent logiquement une bonne partie de leur temps dans les avions et les aéroports, où ils sont rarement accompagnés. "Plus tu vieillis dans ce métier, moins tu as besoin des autres" confirme Laurent Garnier. "Tu connais pratiquement tous les gens avec qui tu vas travailler, alors tu as installé un mode opératoire dans lequel tu te débrouilles très bien tout seul." "J’ai dû voler deux cents fois vers Londres, pareil pour New York où j'ai aussi vécu. Et là, je vis entre Chicago (pour des raisons familiales) et Paris" conclut Jeff Mills, toujours aussi chirurgical dans ses explications. "Paris est la ville la plus intéressante que j'ai connue, que ce soit pour vivre ou travailler. Il y a plein d'événements culturels, toujours quelque chose à faire quel que soit votre âge. Parce qu'il y a des villes où on ne croise personne de plus de 65 ans. Comme Berlin, où j'ai vécu quinze ans…".