Johnny Hallyday est décédé (PORTRAIT)
Publié le 06-12-2017 à 06h03 - Mis à jour le 06-12-2017 à 11h43
Le rockeur est décédé dans la nuit de mardi à mercredi des suites de son cancer. Derrière le mythe, reste la carrière exceptionnelle d’un personnage fragile, qui a fini par laisser entrevoir Jean-Philippe Smet.
Johnny. Jamais un prénom – fut-il d’emprunt – n’a eu autant de sens pour tant de gens. Certes, depuis des lustres dans les stades et les salles surchauffées, le public scande “Johnny Hallyday, Johnny Hallyday, Johnny Johnny, Johnny Hallyday”. Mais là encore, c’est Johnny qui gagne, incarnation d’un mythe. D’ailleurs, en fait d’Hallyday, ce devait être Halliday, pseudo calqué sur celui du mari de sa cousine Desta, le danseur américain Lee “Halliday” Ketcham, de Tulsa, dans l’Oklahoma. Mais, pas de chance, le nom de scène du petit Jean-Philippe Smet a été retranscrit Johnny Hallyday sur son premier disque, et ç’en est resté là. Les questions d’identité n’ont jamais été simples pour Johnny.
En France et alentours, Johnny Hallyday est la plus grande star de la chanson. Entre trois et quatre générations de Français, Belges, Suisses, ont grandi au son de son rock’n’roll et de ses coups de gueule, vibré au son de sa voix impériale, croisé les avant-bras sur “Gabrielle” et “J’ai refusé… mourir d’amour enchaîné”, au rythme de son blues et de ses frasques en tout genre. Johnny fait partie de l’histoire de France, un pays dont il reflète toutes les contradictions vis-à-vis de la culture américaine qu’il y a importée.
Né le 13 juin 1943 dans le IXe arrondissement de Paris, Jean-Philippe Smet a vécu une enfance foireuse, à tout le moins ballottée. Abandonné à 6 mois par son père belge, Léon Smet, absent à sa naissance, il est élevé par sa tante Hélène Mar, née Smet, en compagnie de ses deux cousines Desta et Menen. Leur métier de danseuses les mène à bourlinguer, sous la supervision d’Hélène, en compagnie de Jean-Philippe confronté très jeune au music-hall et à la vie d’artiste.
Celle-là même qui va être sa bouée de sauvetage et devenir sa raison d’être : “Si je ne pouvais plus chanter ni faire la comédie, je ne sais pas ce que je ferais”, dira-t-il. Sur les routes, Jean-Philippe a appris à danser, à jouer de la guitare, à se produire sur scène pour interpréter “Dans les plaines du Far West”, “La Ballade de Davy Crockett” habillé en cow-boy de pacotille. Ou des chansons de Georges Brassens. L’un dans l’autre, ça forme. Revenu à Paris, de son propre aveu, la vision de “Loving You”, un de ces nombreux films taillés sur mesure pour Elvis Presley, sera le déclic rock. Il avait 12 ans et saura s’en souvenir.
Jeunes canailles Deux ans plus tard, en 1958, l’adolescent scolarisé sporadiquement enregistre ses premières maquettes, adaptées de classiques américains comme “Heartbreak Hotel” (Elvis) et “Tutti Frutti” (Little Richard). A l’époque, il fréquente un club parisien qui fait office de tremplin pour jeunes chanteurs énervés, le Golf Drouot. Il y rencontre un certain Claude Moine, qui deviendra Eddy Mitchell, ainsi que Christian Blondieau, dit Long Chris, ami et partenaire indéfectible. Quant au play-boy Jacques Dutronc, il le croise dans leur quartier natal, celui de la Trinité, dans le IXe. Claude, Jean-Philippe, Jacques, jeunes canailles.
Signé par les disques Vogue, le garçon sort son premier super 45 tours à 16 ans, le 14 mars 1960. Il comprend quatre titres, un en anglais, “Oh Oh Baby”, trois en Français, “Laisse les filles”, “J’étais fou” et “T’aimer follement”, adaptation de “Makin’Love” (Floyd Robinson) pour… Dalida. Le disque sort sous le nom de Johnny Hallyday, avec deux “y” donc, présenté comme un chanteur américain originaire de l’Oklahoma profond. Ben tiens, comme un certain Lee Halliday…

“Le manque de père a hanté ma vie” Plus tard, Johnny admettra s’être inventé une origine américaine par honte de son père, Léon Smet (1908-1989), considéré après la guerre comme un collaborateur avec l’occupant allemand à Paris. À tort ou à raison, mais le jeune artiste a voulu s’en démarquer. “De lui, je n’ai connu que les pires aspects, dira-t-il à l’hebdomadaire français Télérama, le 29 octobre 2014. L’abandon petit, puis les factures ou les frais d’hôpitaux à régler, la déchéance. […] Le manque de père a hanté ma vie. Jusqu’à sa mort, en 1989, à Bruxelles. Je ne souhaite à personne de finir ainsi. A son enterrement, j’étais seul.” Une solitude bien réelle, palpable à maints moments, omniprésente dans son répertoire, couplée au sentiment d’abandon, “Et pourtant, la solitude ne m’a jamais effrayé. Elle est même ma meilleure amie depuis toujours.”
Avec sa mère, Huguette Clerc (1920-2007), ce n’est guère mieux. Il fait sa connaissance à 18 ans, en allant la voir à Grenoble, pour demander son émancipation. “Je n’ai jamais pu dire ‘maman’ à ma mère avant l’âge de 55 ans, lorsqu’elle est venue habiter chez moi à Paris”, dira-t-il. Elle mourra le 3 septembre 2007, à 88 ans, alors qu’elle accompagnait son fils en vacances à Saint-Barthélemy. Inutile de chercher plus loin un sens aux chansons “Fils de personne”, “Né dans la rue” voire “A propos de mon père” (1974).
En attendant, les passages en radio et le parrainage de Line Renaud assurent au premier super 45 tours des ventes confortables, dépassant les 100 000 exemplaires et confortées par le succès de “Souvenirs, souvenirs”, en juin 1960.
Non content d’affoler les hit-parades, le jeune Johnny casse aussi la baraque sur scène, ce que son public ne manque pas d’appliquer aussi dans la salle, où les fauteuils volent bas. Il a 17 ans quand il fait son premier Olympia, le 20 septembre 1961, où il restera jusqu’au 9 octobre. Il y reviendra régulièrement par la suite, avant d’investir le Palais des Sports qui va devenir son ring de boxe préféré. En attendant le Parc des Princes puis le Stade de France, sur le toit duquel, les 5 et 6 septembre 1998, Johnny débarque en hélicoptère Écureuil piloté par… Michel Drucker. Jusqu’à 400 000 personnes étaient à son concert parisien le soir du 14 juillet 2009, au Champ de Mars, au pied de la Tour Eiffel.
Dès le début, le jeune Johnny Hallyday se place dans le sillage de ses héros américains, James Dean et, surtout, Elvis Presley. A 18 ans, il enregistre son troisième album à Nashville où rôdent les plus fines lames de studio : “Sings America’s Rockin’Hits” sort le 20 avril 1962. Il y retournera, tout comme à Memphis, ville natale d’Elvis qui y a sa résidence Graceland, ainsi qu’à Los Angeles. Comme celle d’Elvis Presley, sa popularité traversera plusieurs générations, suscitant des sosies plus ou moins réussis et surtout un vrai lien affectif, indéfectible, un lien d’appartenance réciproque. On est fan de Johnny ou on ne l’est pas, fan pour lequel le Johnny en question avoue le plus grand respect: “On est très content d’être avec vous ici ce soir, lance-t-il au Palais 12 à Bruxelles le 26 mars 2016, je suis heureux avec vous, ouaouh!” L’on peut le croire sur parole. Ces fans, il va jusqu’à les envier dans “La vie à l’envers” (“De l’amour”, 2015), sur des mots très sensibles de Vincent Delerm.
Les dérapages et ennuis
Malheureusement, comme son idole, il s’est fourvoyé dans la démesure, jusqu’à devenir une caricature de lui-même… largement récupérée par les humoristes français, Guignols de l’Info en tête. Sans doute est-ce parce qu’il a poussé l’imitation trop près du modèle, avec un répertoire largement dominé d’adaptations françaises de succès américains, que Johnny Hallyday n’a jamais vraiment conquis un public international, son aura restant confinée à l’Hexagone et à l’espace francophone.
Ses modèles américains n’étaient pas toujours de bons exemples, quand il s’agissait d’alcool, de cocaïne ou d’excès de vitesse. Une vie émaillée d’accidents de voiture, comme celui impliquant sa femme Sylvie Vartan, le 20 février 1970, lorsque leur Citroën DS glisse sur le verglas. Ce ne fut pas plus simple avec les femmes, où les dérapages furent aussi nombreux : deux mariages et deux divorces avec Adeline Blondieau, fille de l’ami Long Chris, ou deux mois et deux jours de mariage avec Élisabeth Étienne, dite Babeth. Sans compter les ennuis récurrents avec le fisc, les maisons de disques, les producteurs de concerts et un entourage pas toujours trié sur le volet. Il n’eut pas des divorces et des procès qu’avec les femmes.

Sa fin maintes fois annoncée depuis le milieu des années septante, Johnny est le champion du rétablissement. On le croyait fini au début des années 1980, mais l’arrivée dans sa vie de Nathalie Baye, en 1982, change la donne : oublié le blouson, place à l’imper ou au pardessus. Changement de style aussi au cinéma, où le chanteur se voit offrir, par Jean-Luc Godard, le rôle de Jim… Warner dans le film “Détective” (1985).
De renaissance en résurrection, à 300 à l’heure toute sa vie, Johnny joue avec la mort, ou est-ce la mort qui joue avec lui ? Tourmenté, à 23 ans, il tente de se suicider le 10 septembre 1966, dix jours avant la sortie de “Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir”, qui paraît un mois plus tard sur l’album “Génération perdue”. Il lui échappe depuis des décennies, passant notamment, fin 2009 à Los Angeles, par deux comas artificiels après une hernie discale et des complications post-opératoires. Rockeur en chaise roulante, rockeur sur des béquilles, sa popularité repose aussi sur les failles et les faiblesses. Avec une certaine autocomplaisance pour le mythe du “survivant”… Du combattant aussi, sur scène encore récemment avec les Vieilles Canailles, puis en studio, malgré la maladie. “Bientôt 2018 tournée rock and blues”, tweete-t-il le 6 août dernier.
“Tunnel de souffrances” Brèches dans la carapace, blouson de cuir élimé : une première interview-vérité paraît dans Le Monde le 7 janvier 1998, où Jean-Philippe Smet pose un regard sans complaisance sur Johnny Hallyday. “Etre Johnny Hallyday, c’est un métier”, dira le même Jean-Philippe à Télérama, 18 ans plus tard. “Mais quand je ne travaille pas, je suis Jean-Philippe Smet.” “Ma vie a été un tunnel de souffrances où je ne me sentais pas toujours en accord avec moi-même, vivant au jour le jour, tenaillé par la peur du lendemain.”
Dans le film “Jean-Philippe” (Laurent Tuel, 2006), Fabrice Lucchini, fan ultime, se réveille à l’hôpital dans un monde sans Johnny Hallyday. Désormais, même Jean-Philippe Smet n’est plus là pour rattraper le temps perdu.
"Hommage à Johnny" sur DH Radio ce mercredi!