Que penser d'"Amor Fati", le nouvel album de Bertrand Cantat ? Voici notre critique

Valentin Dauchot
Bertrand Cantat - "Amor Fati" °°°* (CRITIQUE)
©Live Nation

En remontant sur scène en 2013, Bertrand Cantat pensait sans doute avoir fait le plus dur. Dix ans après avoir entraîné la mort de sa compagne Marie Trintignant lors d'une violente dispute, il a réalisé qu'il pouvait revivre en tant qu'artiste. Formé en duo avec le bassiste Pascal Humbert, "Detroit" est parvenu à passer outre la polémique pour trouver son public, combler la critique et écouler au final plus de 170.000 disques. De quoi élargir drastiquement les horizons de Cantat qui ose aujourd'hui un second retour, sous son nom, avec un album solo intitulé "Amor Fati".

Amor Fati
©Universal

Premier constat et non des moindres, le ton n'est plus à la discrétion. Le visage de Cantat illustre la pochette de l'album, le chanteur s'est offert il y a quelques mois la "Une" du magazine "Les Inrockuptibles", et cette visibilité accrue a fini par relancer la polémique qui l'entoure sur les réseaux sociaux. Si certains considèrent que l'homme a purgé sa peine, payé sa dette et dispose donc du droit de se reconstruire, d’autres estiment que son retour sur le devant de la scène est une injure et que les bourreaux ont souvent plus de visibilité que les victimes. Un argument audible, encore renforcé cette semaine par la publication d'une nouvelle série de révélations du magazine "Le Point" qui avance qu'une véritable omerta entourerait Bertrand Cantat dont la violence récurrente envers les femmes aurait été tue lors de son procès à la demande d'une ex-compagne. Attribués à d'anciens membres de Noir Désir, ces propos ont rapidement été réfutés par les principaux intéressés, mais la flèche a touché sa cible. La personnalité de Cantat semble plus trouble que jamais, et plus l'artiste reprendra sa part de lumière, moins la zone d'ombre qui plane au-dessus l'homme sera laissée de côté.

Amor Fati
©Inrockuptibles

Reste donc à juger son album. Contexte oblige, chaque parole est involontairement analysée et disséquée. La moindre tournure de phrase pourrait facilement paraître déplacée. Mais fort heureusement pour lui, cet "Amor Fati" commence bien. "Amie Nuit" ouvre magistralement les hostilités sur un synthé New Wave mi-rétro, mi-futuriste qui donne une réelle ampleur à la voix de Cantat. Fidèle à lui-même l'auteur déploie sa plume torturée avec bon goût et subtilité, porté par un univers sonore auquel la trompette d'Erik Truffaz vient encore ajouter en profondeur. Bertrand s'est toujours vu poète…. avec talent, et une certaine prétention qu'on lui pardonne volontiers lorsque l'ensemble fonctionne.

Bertrand et son destin

"Amor Fati", la plage titre, enchaîne dans une veine différente. Adieu les envolées New Wave, retour à la guitare et un phrasé rapide qui rappelle immédiatement Noir Désir. "Amor Fati amor","Amor Fati Amor" se répète Cantat comme pour se convaincre d'accepter le destin qui est le sien et d'ajouter plus loin: "De toute façon maintenant il n'y a plus le choix tu le sais bien. Tout l'espace est ouvert, tous les champs des possibles, autant de flèches que de cibles." Le morceau n'est pas mauvais, on y retrouve la verve qui a fait la gloire du Bordelais, mais quelques banalités et une certaine lassitude laissent déjà pointer le bout de leur nez, annonçant malheureusement la couleur d'un album qui ne cessera par la suite de perdre en qualité.

Avec "Silicone Valley", Cantat revient à ses thèmes de prédilection: la mondialisation, l'ultra-capitalisme, l'effacement de l'humain face au profit,… Autant de sujets brillamment explorés avec Noir Désir, qui font ici l'objet d'un traitement simpliste et dénué de finesse. Le phrasé est pénible, forcé, faussement désincarné et globalement mal torché. "Excuse My French" sauve quelque peu les meubles avec sa complainte sur la solitude urbaine, mais on retombe rapidement dans la médiocrité avec "L'Angleterre". Irréprochables jusqu'ici, les arrangements musicaux laissent à désirer, les paroles sont d'une platitude affligeante, et les refrains niais de type "palapapalapaaaaa palapapalapaaaa" achèvent ce piètre morceau pop rock dénué de la moindre qualité.

Pas grand-chose à écrire sur la suite, à l'exception de "Maybe" la plage finale, qui permet tout à Cantat de garder l'unique étoile que nous lui avons attribuée. Même "Chuis con" conçu comme un punk rock rapide pour dynamiser les concerts n'est qu'une pâle imitation des brûlots enflammés de Noir Désir, dont cette resucée n'arrive pas à la cheville. Galvanisé par le succès de "Detroit", Cantat a pris la voie la plus directe vers un retour sur scène. Mais cette fois, c'est raté.

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