Oasis ou l'art du psychodrame permanent
- Publié le 07-03-2018 à 11h48
- Mis à jour le 09-03-2018 à 17h22
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En 1897, dans Les nourritures terrestres , André Gide écrivait ce vers resté célèbre : « Familles, je vous hais ! ». Nul doute que la postérité actuelle de ces quatre mots est méritée, mais en matière de règlement de compte familial, les maîtres de la britpop des années nonante Oasis représentent un sommet indépassable – désolé, André. Même après une séparation qui semble irrémédiable, les deux frangins continuent leur guéguerre, à grand renfort de provocations et de joutes twittesques. Rétrospective.
C'est moi le plus beau
Liam, Noel, deux frères que même leur succès n'a réussi à réconcilier. Mais d'où vient une telle rivalité ?
Selon la maman, Liam aurait tout simplement tiré la couverture vers lui dès sa naissance. Selon la psychologie de comptoir, le fait que le père ait battu Noël mais pas Liam représenterait la fracture originelle.
Selon la légende, les hostilités sont déclenchées un soir comme les autres. Dans leur petit appartement de Burnage, petite cité prolétaire où Peggy Gallagher et ses enfants ont dû fuir pour échapper à un patriarche violent, Noël, l'aîné, et Liam, de 5 ans son cadet, partagent une chambre. Mais ce soir-là, la cohabitation tourne mal. Liam rentre tard, ivre. Il peine à trouver l'interrupteur. Et l'irréparable se produit : il urine sur la toute nouvelle chaîne stéréo de son frère. La guerre est déclarée.
Cet épisode est assez emblématique de ce qu'on peut percevoir de la relation entre les deux frères. Si les deux ont vendu leur âme au rock'n'roll, ils n'en ont pas la même définition. Le cader le voit comme un état d'esprit. Sexe, drogue et problèmes d'alcool, Liam squatte les couvertures peu flatteuses des tabloïds. Pour l'aîné, le rock'n'roll, c'est d'abord de la musique. C'est lui qui compose, écrit et perfectionne, tandis que Liam se contente de ses dons innés pour le chant et le show.
Une répartition du travail que le premier résumera en ces termes : « Je suis le cerveau du groupe. Liam est le crétin de la bande. Et les trois autres sont les trois autres. »
Il suffit de voir les conditions de l'enregistrement de (What's the story) Morning Glory , l'album de Wonderwall et de Don't look back in anger qui les propulse sur le devant de la scène britpop, pour comprendre. Pendant que Noel ne compte pas ses heures pour boucler ce bijou, Liam ramène tout un pub d'ivrognes dans le studio, transformé en cellule de dégrisement. Noel chasse tout ce petit monde à coup de batte de cricket. Explication du frangin : « Noël est jaloux parce que je suis plus beau que lui ». C'est sans doute ça.
Les frères ennemis confronteront ces deux visions de leur art dans une interview tellement mythique qu'elle sera éditée en single sous le nom de « Wibbling Rivalry ». Une dizaine de minutes de « S hut the fuck up ! » et de « That's bullshit ». L'effet cathartique est assuré.
La haine, cette discipline artistique
« Les gens commenteront et diront ce qu'ils veulent là-dessus, mais je ne pouvais tout simplement pas travailler un jour de plus avec Liam . » C'est dans ce message sommaire qu'il annonce la fin d'Oasis, en 2009, après une énième dispute dans les coulisses du festival Rock en Seine. En cause : une histoire de marque de vêtements que Liam vient de lancer et dont il voudrait qu'Oasis assure la promo.
Ce n'est pas la première fois que l'un tourne le dos à l'autre avec un air grave et une démarche parfaitement maîtrisée. Mais cette fois c'est la bonne pour les drama queen Gallagher. Depuis cette séparation, c'est par interviews interposées qu'ils s'adressent la parole. Pour Liam, ses tweets tonitruants sont aussi un excellent moyen de donner de ses nouvelles à son frère : il est toujours fâché. Mais alors vraiment fâché. Tout rouge.
(« Clown effrayant achetant du lait aperçu dans un supermarché de Londres. Si vous le voyez, appelez la police. LG »)
Des années plus tard, après la séparation du groupe, c'est Liam qui monte sur scène quand Morning Glory est sacré meilleur album de ces 30 dernières années aux Brit Award. Égal à lui même, du haut de toute sa désinvolture, il n'oublie pas de ne pas remercier son frère.
Rien de tel qu'une cible commune
Il est pourtant un terrain sur lequel les deux frères se sont bien entendus : Blur. Dans les années nonante, en Grande-Bretagne, il y a deux camps : les pro-Oasis et les pro-Blur. Les deux groupes incarnent le même renouveau artistique et se détestent, sur fond de « qui vendra le plus ? ». En 1995, Blur remporte une manche en vendant 50 000 singles de plus qu'Oasis.
De toute façon, aux yeux de Noel Gallagher, Blur n'est « qu'une bande de branleurs de classe moyenne essayant de jouer les durs avec des héros de la classe ouvrière », et Damon Albarn mérite même de « crever du sida », ni plus ni moins.
Les relations se sont semble-t-il apaisées puisque depuis Noel a partagé la scène avec Damon et a même prêté main forte à Gorillaz pour l'enregistrement du dernier album du groupe, Humanz . S'il avait voulu provoquer son frère il ne s'y serait pris autrement. Mais de toute façon, « on se contrefout de savoir ce que pense Liam », dit-il.
Ce qui ne va certainement pas empêcher ce dernier de donner son avis, sur Twitter, annonçant clairement qu'il déterrait la hache de guerre (qui, sans doute, ne devait pas être enterrée très profondément). Lisez plutôt :
(« Cette merde sortie de Blur peut avoir transformé Noel Gallagher en énorme fillette, mais croyez-moi, la prochaine fois que je le vois, ça sera la guerre »).
Bon, d'accord, mais à quoi bon ?
Pourtant, entre deux insultes, Liam s'amuse à laisser planer le doute autour d'un avenir potentiel du groupe. Toute cette animosité ne serait-elle que mise en scène ? Récemment, la rockstar laissait clairement entendre qu'elle était prête à reformer Oasis avec son frère. « La balle est dans son camp », confiait-il au journal Le Parisien .
Plus perturbant, ce tweet dans lequel Liam indique que lui et son frère se sont rabibochés. Il n'en faut pas plus pour que les fans d'Oasis s'enflamment sur les réseaux sociaux. On peut douter du retour d'Oasis cependant. Jamais avare de tragédie, au moins aussi bouleversant que Phèdre, Noel Gallagher expliquait que la reformation du groupe « le tuerait ». C'est mal engagé.