Tamino, le prince d'Anvers à la conquête du monde
- Publié le 21-10-2018 à 10h24
- Mis à jour le 16-11-2018 à 18h00
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À presque 22 ans, Tamino sort un premier album magnifique. Sensible et charismatique, le chanteur anversois envoûte. Et fait musicalement appel à ses origines libano-égyptiennes.
Certaines personnes dégagent quelque chose qu’il est pratiquement impossible de décrire. Un charisme animal, une empathie sincère, une sagesse communicative, qui vous donnent instantanément envie de creuser pour aller aux fondements de ce rayonnement.
Tamino Amir Moharam Fouad est de cette trempe-là. À une semaine de son vingt-deuxième anniversaire (!), le chanteur/compositeur anversois sort Amir. Un premier album intense et lumineux, porté par une voix d’une maturité invraisemblable et un univers musical extrêmement riche, qui emprunte autant à Radiohead qu’aux orchestres arabes des années soixante. Plongée dans l’univers singulier d’un jeune homme touché par la grâce.
En intitulant cet album "Amir", vous aviez envie de mettre ostensiblement en avant vos origines arabes ?
Oui, c’est un élément important. Mon premier EP était une carte de visite, une introduction. Cet album, c’est ma carte d’identité, l’aboutissement d’une série d’expériences très personnelles car chaque note, chaque ligne de texte vient profondément de moi. "Tamino" est mon premier prénom, celui que tous mes amis utilisent. "Amir" est le second. On l’a utilisé parce qu’en arabe, cela signifie "prince". Un prince naît avec sa condition, il ne choisit pas son statut royal, et c’est exactement la façon dont je vis la musique. Je suis né pour être musicien, je n’avais pas le choix et je n’ai jamais envisagé d’autres options.
En même temps, dans votre famille, c’est une tradition…
C’est vrai, mon grand-père (Moharam Fouad, NdlR) est un musicien extrêmement célèbre en Égypte. Mon père a été chanteur professionnel, et ma mère joue de la musique. Ce contexte m’a permis de ne pas remettre cette passion en question. Nous ne sommes pas musiciens par tradition, mais je pense qu’il y a un héritage génétique auquel on ne peut pas échapper.
Musicalement, l’album regorge d’instruments orientaux, c’est un élément essentiel de la transmission familiale ?
Je n’y pense jamais quand j’écris un morceau, mais plusieurs éléments se sont imposés d’eux-mêmes : l’arabité, l’électronique, la place centrale de la voix… J’adore le son des orchestres arabes des années 50/60 par exemple, les Firkas, qui reposent moins sur l’harmonie que les rythmes et la mélodie. Du coup, la majorité des morceaux ont été enregistrés avec un orchestre traditionnel, même si cela s’entend plus ou moins selon les cas.
Vous jouez vous-même du oud (du luth)…
Oui et j’en joue sur l’album, mais je ne me sens pas encore capable de le faire en live. Cet instrument est précédé d’une très longue tradition. Il n’y a pas vraiment de règles pour jouer de la guitare, mais il y en a énormément pour le oud. Vous ne pouvez pas faire n’importe quoi, il faut étudier extrêmement longtemps. Même s’il y a de grandes différences de style entre des références comme Hamza El Din, plus porté sur le groove et le feeling, ou Farid El Atrache qui est davantage dans la démonstration, les règles de base sont très fortes. Je suis d’ailleurs toujours étonné de voir que ces noms sont inconnus ici, alors que certains sont les plus grands génies du siècle du monde arabe.
Vous vous êtes déjà produit en Égypte ou d’autres pays arabes ?
Je ne peux pas juste "aller jouer" en Égypte, mon nom de famille est beaucoup trop connu. Là-bas, je suis littéralement "le petit-fils de", donc je veux absolument être correctement préparé. Ce n’est pas un pays arabe, mais je suis allé jouer en Turquie, à Istanbul où une bonne partie du public venait du Liban, d’Irak, Iran… C’était incroyable.
Quelle est votre proximité avec l’Égypte, sa culture, sa situation politique ?
Assez restreinte. Mon père est libano-égyptien, je vais régulièrement dans ces deux pays pour voir de la famille, mais ça se limite à cela. Je suis né en Belgique, à Anvers, je ne suis pas un citoyen d’Égypte mais de Belgique et je ne parle pas arabe, même si j’aimerais l’étudier un jour. Donc je dirais que j’ai une forte connexion avec le monde arabe, mais qu’elle est avant tout musicale et humaine.
L’album est simple, direct, épuré. Tout a été mis au service de votre voix ?
Généralement, le plus simple est d’enregistrer la voix, puis d’ajouter le piano, les guitares, les basses, quelques samples… Quand c’est fait, vous réalisez souvent que vous avez ajouté beaucoup trop d’éléments. Ma chance, à moi, a été d’enregistrer Amir de façon assez chaotique, avec beaucoup d’interruptions pour donner des concerts, assurer la promo… Du coup, quand je suis revenu en studio et que j’ai réécouté les enregistrements, j’avais assez de distance pour réaliser qu’on avait mis beaucoup trop de couches. Verses par exemple, le morceau le plus acoustique de l’album, comportait initialement toute une partie orchestrale. On a réalisé que ça n’apportait rien, et on a tout retiré.
C’est moi où on entend fort l’influence de Radiohead sur certains morceaux ?
Ma façon de chanter est toujours venue naturellement. Je chante depuis que je suis tout petit, et ma première réelle référence a été John Lennon. Donc à ce niveau-là, je ne pense pas avoir été influencé par Radiohead. En revanche, le groupe a eu un impact important sur mon écriture, car leur façon de concevoir la musique est unique. Les mélodies sont jolies, et les harmonies viennent systématiquement imprimer quelque chose d’autre, qui n’existe que chez eux au niveau harmonique.
Vous avez d’ailleurs collaboré avec Colin Greenwood, le bassiste de Radiohead. Comment ça s’est passé ?
J’adore mes fans, mais les compliments les plus incroyables sont ceux qui viennent des musiciens que vous avez toujours admirés. Colin Greenwood a assisté à l’un de mes shows à Anvers, où nous avons un ami commun. Puis il a acheté mon album, et il est venu me voir dans les loges avec mon disque sous le bras ! Je n’en croyais pas mes yeux, c’était totalement surréaliste. Il m’a dit qu’Indigo Night était son morceau préféré, et quand je lui ai demandé s’il voulait assurer la basse sur l’enregistrement, il m’a remercié. C’était complètement fou. Quand il est entré dans le studio j’ai dû me pincer.
Vous parlez de quoi, finalement, sur cet album ?
J’aime le contraste, la superposition des couches. Le meilleur exemple que je puisse citer, c’est Stromae. Vous entendez d’abord un refrain accrocheur qui a l’air dansant, puis vous constatez que la musique est plus complexe qu’il n’y paraît, que les paroles renvoient à des sujets bien sérieux, et que les deux sont en compétition. C’est là, à mon sens, qu’on passe dans le volet artistique. Je veux toucher les gens avec la musique, car je suis un chanteur, pas un poète, puis exprimer quelque chose sur le fond, où je parle essentiellement de mes expériences. Comme je n’ai pas eu une vie exceptionnellement différente de celle des autres, les thématiques qui reviennent sont universelles. Je parle énormément d’amour, par exemple, car c’est la chose la plus abstraite et puissante qui soit. Vous ne pouvez pas saisir, ni comprendre l’amour, mais il illumine votre vie comme il détruit celle de ceux qui en manquent. Tout est plus extrême quand l’amour est en jeu, c’est ce qui le rend si attrayant et effrayant à la fois, et c’est ce qui m’inspire.
Vous êtes un romantique assumé sur scène et dans la vie ?
La romance que je chante est une romance voulue, choisie, une sorte de rébellion contre le nihilisme que je peux avoir en moi et que j’observe tout autour de moi. En Europe, tout est centré sur la raison et très peu sur les sentiments. Je pense que les civilisations du Sud sont mieux connectées avec leurs bases. Je l’ai encore constaté avec mes musiciens. Je ne le savais pas, au début, mais certains membres de l’orchestre étaient réfugiés. Ils ont tout perdu dans leurs pays respectifs, et malgré cela, ou peut-être à cause de cela, ils étaient plus positifs, professionnels, aimables et passionnés par la musique que tous les autres. Je ne sais pas comment réagiraient les gens d’ici, s’ils devaient affronter une telle situation.